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Pr. Dominique Belpomme dans Télérama, un cancérologue 70 % à 90 % à côté de la plaque

Dernière actualisation : 25/10/2017, 11:55
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Le docteur Dominique Belpomme, 73 ans, se présente lui-même comme un lanceur d’alerte en santé et environnement. Il s’est fait connaître du grand public dans les années 2000, en défendant l’idée que les pesticides organochlorés, notamment le chloredécone, étaient responsables de très nombreux cancers aux Antilles. Il considère, globalement, que l’environnement, au sens le plus large du terme, est la cause de l’essentiel des cancers.

Un autre de ses combats est l’électrosensibilité. Le Dr Belpomme délivre des certificats médicaux à des patients, attestant qu’ils sont atteints d’un syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques nécessitant impérativement de se mettre à l’abri d’un maximum de sources électromagnétiques, même de faible intensité, sous peine de détérioration cérébrale sévère.

Il se voit comme un homme engagé dans un combat pour mettre au jour des scandales sanitaires, que de puissants intérêts industriels et financiers tenteraient d’étouffer. Si tel est le cas, les industriels en question manquent singulièrement d’efficacité. Le docteur Belpomme, en effet, est omniprésent dans les médias. Le 23 juin 2015, il accorde un entretien au Midi Libre. Le 28 août 2015, il parle à Sciences et Avenir. Le 16 novembre 2015, il est sur Arte. Le 11 janvier 2016, il s’exprime dans Santé Magazine. Le 19 mars 2016, on le retrouve dans LaDépêche de Tahiti. Et le 6 avril dernier, Télérama lui accorde un long entretien, dans lequel il développe sa conception d’un environnement rendu dangereux par les pollutions de toutes sortes.

Compte tenu de leur caractère très général et du manque de références précises, beaucoup de ses assertions ne peuvent pas être utilement débattues, à commencer par le titre de l’entretien dans Télérama : « 70 à 90 % des cancers seraient liés à l’environnement ». Que faut-il entendre par « liés », ou même « environnement » ? En épidémiologie, le tabac et l’alcool sont considérés comme des causes « environnementales », puisqu’il s’agit de produits extérieurs absorbés par l’organisme. Ancien directeur de l’Unité de biostatistique du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) et du service de biostatistique du Centre Hospitalo-universitaire de Lyon,Jacques Estève avait analysé cet écart entre la compréhension grand public et l’acception scientifique du terme environnement, pour la revue SPS.

Il fallait préciser ce point aux lecteurs de Télérama, sous peine de les inquiéter inutilement. À moins, bien entendu, que le but du flou sémantique de Dominique Belpomme ne soit précisément d’inquiéter, en usant d’allusions et de contrevérités systématiquement anxiogènes. Passage en revue non exhaustif, l’intégralité de l’entretien étant disponible ici.

« Si dans les vingt ans à venir, on prévoit 22 millions de cas de cancers par an, c’est, de façon prédominante, dû à une dégradation de l’environnement ».

Le World Report cancer 2014 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) anticipe en effet 22 millions de cas annuels de cancer en 2030, contre 14 millions aujourd’hui, mais pas du tout à cause d’une dégradation de l’environnement. Les trois premières causes d’augmentation du nombre de cancers citées par l’OMS sont l’augmentation de la population mondiale, l’allongement de l’espérance de vie et la propagation du tabagisme dans les pays en voie de développement.

Les chercheurs français en cancérologie sont « pratiquement inexistants au plan international ».

L’annuaire du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS est accessible en ligne ici. Chacun peut constater que les Français y sont très nombreux. Peut-être, d’ailleurs, parce que le CIRC est à Lyon… Sans oublier l’agence d’expertise sanitaire et scientifique en cancérologie de l’État, l’Institut national du cancer (INCa), qui coordonne les actions de lutte contre le cancer et finance des recherches. Des recherches en cancérologie sont menées dans quasiment tous les centres hospitaliers français, dans des unités INSERM et des laboratoires du CNRS. Comme toutes les recherches, elles sont publiées dans des revues internationales, en anglais.

« Nos grands responsables institutionnels, notamment à l’INSERM et à l’Institut de veille sanitaire, ne lisent pas les publications internationales ».

De qui parle-t-on ? Les directeurs de ces instituts, les chercheurs ? Ces derniers non seulement lisent les publications, mais ils les écrivent en partie, les analysent et produisent des rapports de synthèses. « Les co-publications internationales représentaient 47,4 % des publications de l’Institut en 2012 », indique le site de l’Inserm.

« De plan cancer en plan cancer, on nous prédit un avenir meilleur, alors que loin de reculer le fléau persiste et même s’accroît ».

Clé de voûte du discours alarmiste de Dominique Belpomme, cette affirmation ne tient pas. Voici ce qu’on peut lire sur le site de l’institut de veille sanitaire (INVS). En France, « le nombre de nouveaux cas de cancers a considérablement augmenté entre 1980 et 2012 chez l’homme comme chez la femme (respectivement +107,6 % et +111,4 %) », mais « cette augmentation s’explique en grande partie par l’accroissement de la population, qui mécaniquement augmente le nombre de cas, et par son vieillissement, la majorité des cas survenant chez les sujets âgés ». Le dépistage plus systématique joue également. « Le risque de décéder », quant à lui, « a diminué notablement » entre 1980 et 2012 ! Le taux standardisé de mortalité, corrigé des effets de l’âge et de l’augmentation de la population, a « diminué en moyenne de 1,5 % par an chez les hommes et de 1 % chez les femmes au cours de la période 1980-2012 ». Épidémiologiste et biostatisticienne, spécialiste de l’étude de la fréquence et des causes du cancer, Catherine Hill fait le point sur cette question dans le numéro 316 de SPS(avril 2016).

« Rien ou presque n’est fait concernant le rôle néfaste des pesticides et perturbateurs endocriniens, de la pollution de l’air par les particules fines émises par le diesel ou encore de l’effet possiblement cancérigène des champs électromagnétiques ».

L’usage des pesticides a été constamment restreint ces 30 dernières années en France, comme dans toute l’Union européenne. Des dizaines de molécules ont été interdites. La loi Labbé de février 2014 a acté le « zéro phyto » dans les jardins et les espaces verts pour 2019. Un dossier complet consacré à ce sujet est disponible ici.

En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, l’Anses précise sur son site qu’elle « mène depuis 2009 un travail d’expertise d’envergure sur une trentaine de substances identifiées comme reprotoxiques de catégorie 3 ou/et perturbateurs endocriniens pour la reproduction et la fertilité ».

Quant au diesel, l’Union européenne en est à la sixième génération de normes sur les rejets des moteurs en matière de particules depuis 1993 ! La dernière en date, « Euro 6 », est entrée en vigueur en septembre 2015. Par rapport à la norme Euro 1, les quantités admissibles ont été divisées par trente.

En ce qui concerne les champs électromagnétiques, le docteur Belpomme peut encore moins ignorer que des travaux d’expertise ont été menées en France. Il les a tous contestés dans la presse grand public, sans jamais les réfuter de manière scientifiquement argumentée : rapports de l’agence nationale de sécurité sanitaire française (AFSSET) en 2009 et de l’ANSES en 2013. Il y aussi bien d’autres rapports publiés dans le monde, dont celui du Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux (Scientific committee on emerging and newly identified health risks : Scenhir) européen en 2015. Tous ont conclu à une absence de risque avéré dû à une exposition aux champs électromagnétiques radiofréquences de la vie quotidienne (téléphone, wifi, antennes...). Ceci est parfaitement cohérent avec leur classement par le CIRC en catégorie 2B « cancérigènes possibles » qui signifie que la preuve de leur caractère cancérigène n’a pas été apportée, comme c’est le cas aussi pour les champs extrêmement basses fréquences émis par les réseaux de transport d’électricité. Un nouveau rapport d’expertise collective publié ce mois-ci par l’Institut national de santé publique du Québec (où le gouvernement n’hésite pas à informer clairement les citoyens...) va exactement dans le même sens.

« Jusqu’à maintenant, les maladies étaient conçues comme résultant d’anomalies génétiques »

On sait depuis longtemps que des dizaines de pathologies sont liés à des facteurs externes, comme le cancer du poumon, le choléra, la pneumonie, la grippe ou le paludisme. Dominique Belpomme peut-il l’ignorer ? Dans le même entretien, il fait part de son admiration pour Louis Pasteur, inventeur de la vaccination, qui n’a d’autre objectif que de protéger les individus contre des facteurs de risque externes...

Sur l’électrosensibilité, « la situation actuelle ne permet pas le doute méthodique scientifique. Nous sommes dans un débat polémique, alimenté par des opérateurs qui créent la confusion pour défendre leurs territoires économiques et financiers avec l’aide de quelques scientifiques à leur solde ».

On peut au moins reconnaître un mérite à Dominique Belpomme, c’est la constance. Voilà bientôt dix ans qu’il accuse les opérateurs d’étouffer la vérité sur les dangers des ondes et nie l’existence d’une littérature scientifique maintenant conséquente sur le sujet. La réalité, qui devient de plus en plus difficile à esquiver, est que les études irréprochables sur le plan scientifique et éthique s’accumulent. La base de données EMF portal recensait exactement 22 530 publications scientifiques fin février 2016, dont plus de 3 000 rien que pour les fréquences de téléphonie et wifi ! Sur l’électrosensibilité, l’Académie nationale de médecine, au grand dam du Pr Belpomme, rappelle régulièrement les dérives qui entourent cette pathologie (par exemple ici ou ). Les centaines d’articles et de pages web présentant ces dangers comme une certitude scientifiquement étayée reposent sur une base très étroite. Les mêmes noms reviennent en permanence : la Canadienne Magda Havas, les Suédois Lennart Hardell ou Olle Johansson, et… Dominique Belpomme.

« On enferme les malades atteints de pathologies émergentes dans une forme de ghetto social sans les reconnaître ni leur porter secours » …

La liste des consultations spécialisées, ouvertes aux personnes qui pensent souffrir d’électrosensibilité, est disponible sur le site radiofrequences.gouv.fr. La recherche et les systèmes de santé ne nient pas la réalité des souffrances des patients. En France, ils sont pris en charge, quand leur état le justifie, par l’assurance-maladie. Certes, les consultations en médecine environnementale du docteur Belpomme ne sont pas prises en charge, mais c’est parce qu’il pratique des tarifs non-conventionnés...

« La France est absente des recherches » dans le domaine de l’électrosensibilité,« aucune équipe française n’étant aujourd’hui capable d’aligner des données scientifiques publiées » ...

Bien que la majorité des travaux sur l’électrosensibilité émane des pays scandinaves, de Grande-Bretagne et d’Allemagne, des recherches sont aussi conduites en France, pour la plupart avec le soutien de l’ANSES. Une étude lyonnaise publiée récemment, par exemple, exploite des entretiens approfondis menés avec 40 personnes se déclarant électrosensibles. De ces récits, il ressort qu’au cours d’un processus en sept étapes, les symptômes pré-existants, parfois de longue date, trouvent tout à coup une explication dans une émission de radio, un article de journal ou une conversation avec des proches relatant des effets néfastes des ondes. S’ensuivent des périodes de doute, puis de renforcement de la conviction que les ondes en sont la cause. C’est là que l’effet nocebo pourrait jouer, d’après l’auteur. Des témoignages que l’on peut lire régulièrement dans la presse l’illustrent.

On comprend que Dominique Belpomme préfère ignorer de tels résultats ! Pour sa part, il recherche des marqueurs biologiques sur ses patients, présentés comme la plus grande cohorte au monde, mais sans comparaison avec des personnes non électrosensibles, et sans indication que les ondes sont en cause. Que peut-on en tirer de sérieux, en terme de diagnostic ? Les recherches qu’il dit mener se déroulent en vase clos, via des organismes comme l’Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (Artac) ou l’Eceri (European cancer and Environment research), deux entités dont il est le président et qui ne se trouvent jamais associées à aucun programme de recherche d’envergure.

« Il faut des régulations, pour interdire, par exemple, les installations sauvages d’antennes relais, près des écoles primaires ou des hôpitaux. »

L’installation des antennes est évidemment réglementée, de façon à assurer la sécurité sanitaire du public et à répondre aux inquiétudes de certains riverains. Le décret du 3 mai 2002 mentionne expressément les « établissements scolaires, crèches ou établissements de soins ». De nombreuses informations sont disponibles sur le site de l’Agence nationale des fréquences (ANFR).

« Lisez les programmes des candidats pour les futures présidentielles, aucun ne parle de la santé ! La question reste totalement occultée ».

À la date de l’entretien, Jacques Cheminade, Nathalie Arthaud et Marine Le Pen étaient candidats déclarés pour la présidentielle 2017, et ils avaient tous publié des propositions en matière de santé. Secteur qui représente près de 12 % du PIB de la France, et qui occupe une place conséquente dans les programmes des candidats et les débats des présidentielles.

Conclusion

Dominique Belpomme a partiellement retenu la leçon des Antilles. En 2007, il avait rendu un rapport détaillé sur la « catastrophe sanitaire » imputable au pesticide chlordécone, avant d’être contraint de reculer publiquement, comme le rappelle Laurent Berthod sur son blog. En 2009, il a refusé de s’expliquer à ce sujet devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, s’attirant les critiques extrêmement sévères des rapporteurs. Désormais, il se cantonne à de grandes généralités, mais même dans ce registre, il commet des erreurs flagrantes. Celles que nous avons relevées pouvaient être corrigées rapidement, sans autre outil qu’un peu de sens critique et un navigateur Web.

 

Article publié par l'Association Française pour l'Information Scientifique (AFIS). Retrouvez d'autres informations sur ce sujet dans le site de l'AFIS et dans sa revue Science et Pseudo-Sciences.

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