François Fillon, victime ou bénéficiaire de sa diabolisation? - Mediapicking
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François Fillon, victime ou bénéficiaire de sa diabolisation?

Dernière actualisation : 23/11/2016, 21:39

Dimanche soir, Alain Juppé décide de continuer le combat, même s’il est distancé par François Fillon. Dès lundi, il se lance dans le pilonnage du rival qui l’a devancé de 16 points. Dimanche soir, une grande majorité de Français étaient heureux ou soulagés d’avoir sorti Nicolas Sarkozy. Lundi, c’est un peu la gueule de bois lorsqu’ils entendent, un peu partout, qu’ils ont substitué un « super-méchant » à un « méchant ». François Fillon est le nouveau Satan.

La diabolisation est une stratégie courante visant à disqualifier. En France, un débat agite les experts depuis des années pour dire s’il faut ou non continuer dans cette stratégie contre Marine Le Pen. Aux Etats-Unis, quasiment tous les médias ont diabolisé Donald Trump qui a, lui, diabolisé Hillary Clinton, avec succès.

Je prends, ici, le cas de François Fillon pour réfléchir sur la diabolisation. Je le fais en me référant principalement à l’interview de François Fillon par Thomas Sotto et Jean-Pierre Elkabbach, le 23 novembre sur Europe 1. Quels sont les ressorts de sa diabolisation ? Quels inconvénients présente cette stratégie ? Et pourquoi elle ne fonctionne pas ?

La diabolisation fait l’agenda médiatique

La diabolisation s’attaque aux fondements de l’individu : son identité, son caractère et ses amis. Elle colle sur sa cible des étiquettes, des rumeurs et des accointances qui interpellent et qui s’imposent vite comme le sujet prioritaire dans les médias. Elle entrave alors sa cible qui est sommée de s’expliquer, de se justifier ou de s’excuser. Elle guette ensuite le faux pas qui viendra confirmer ses allégations.

Depuis lundi, Alain Juppé et tous ceux qui lui ont emboité le pas veulent installer l’idée que François Fillon est un affreux réactionnaire, sous l’emprise d’extrémistes, ami de dictateurs et brutal en économie. Tout le monde a entendu ces attaques. D’une certaine façon, les interviews de François Fillon, et notamment celle du 23 novembre sur Europe 1, leur servent de caisse de résonnance puisqu’elles fournissent les angles de très nombreux questions et que le candidat est sommé de s’exprimer sur chacune d’entre elles.

François Fillon sommé de s’expliquer sur toutes les attaques d’Alain Juppé

La diabolisation de François Fillon joue sur plusieurs ressorts : son identité bien sûr, des citations partielles et extraites de leur contexte, des amitiés ou des références qui disqualifient, la violence économique. Peu importe que les deux journalistes de Europe 1 aient ou non l’intention de diaboliser François Fillon, force est de constater qu’ils déroulent l’argumentaire d’Alain Juppé pendant presque la totalité de l’interview.

Ainsi, les deux premières interpellations : « surnommé Mister Nobody lorsqu’il était Premier Ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon semble être devenu Monsieur Tradi », puis « vous êtes devenu le symbole de la droite catho, réac, sectaire ». Jean-Pierre Elkabbach demande, plus loin, s’il n’existe pas deux François Fillon, « un de Paris et un de la Sarthe »…  ce qui revient à dire à son invité qu’il est ambigu, à double face et qu’un diable se cache peut-être derrière ce visage familier.

Diaboliser sur l’identité et sur les « amis »

Les sujets identitaires, dans lesquels j’inclus ceux liés à la famille et à l’homosexualité, occupent un bon tiers de l’interview. Tout y passe : la religion de François Fillon, sa conviction intime sur l’IVG, sa relation au Pape François, sa position sur l’adoption plénière par les couples homosexuels, son refus de nommer NKM ministre au motif qu’elle était enceinte, son opinion sur une campagne anti-SIDA, la volonté qui lui est prêtée de mettre de l’huile sur le feu concernant l’islam…

Un autre tiers de l’interview est consacré aux « amis », aux soutiens ou aux modèles de François Fillon : « les militants activistes de Sens Commun », Margaret Thatcher, Vladimir Poutine, Bachar Al-Assad et « selon Alain Juppé, des soutiens d’extrême-droite ». Jean-Pierre Elkabbach indique que « la presse russe se réjouit », puis cite Alain Juppé qui appelle à « ne pas se comporter avec Poutine comme un béni-oui-oui ». Quand François Fillon répond que son premier voyage serait à Berlin et commence à parler d’Europe, Jean-Pierre Elkabbach le coupe et embraie sur la Syrie. Plus croustillant !

Alain Juppé à contre-emploi, une alliance contre-nature

Cette stratégie de diabolisation a plusieurs ressorts, mais présente aussi plusieurs inconvénients. En premier lieu, elle est portée par Alain Juppé qui, pendant de longs mois, avait fait de la réconciliation et de l’apaisement les maîtres-mots de sa campagne. Soit Alain Juppé joue son va-tout avec un rôle à contre-emploi, soit c’est lui qui, maintenant, tombe le masque et révèle l’agressif qui se cachait derrière le bonze de Bordeaux.

Alain Juppé a joué la différence avec Nicolas Sarkozy. Son positionnement zen et heureux du premier tour l’a desservi en le tiédissant et en le mollissant. Alain Juppé vient de le réduire en miettes et laisse les Français avec une grosse interrogation sur sa propre identité.

Ensuite, la diabolisation est reprise quasiment à l’identique par François Bayrou et par la gauche, tandis que le FN lance une charge très violente contre François Fillon. Si Juppé dit la même chose que Bayrou et la gauche, c’est bien la preuve qu’il s’est éloigné de la droite. Si le FN réagit si vite et si fort, c’est bien la preuve que Fillon le privera d’espace, qu’il mangera sur ses courants catho, tradi et libéraux et qu’il lui posera davantage de difficultés que les deux vainqueurs longtemps annoncés, Juppé et Sarkozy. Une telle alliance contre Fillon ne peut que conforter en sa faveur les électeurs de droite.

C’est « le système » qui diabolise.

En troisième lieu, la diabolisation a pour inconvénient d’exister et de s’exprimer à travers des acteurs et des médias généralistes, qui sont perçus comme les porte-voix et les emblèmes du « système ». Nicolas Sarkozy avait fait campagne au nom du peuple, contre les élites et « le système ». Jusqu’à la mi-novembre, François Fillon avait, lui, fait campagne en étant ignoré par « le système » et en ignorant « le système » qui annonçait sa défaite. Que « le système » porte et relaie la diabolisation voulue par Alain Juppé n’est pas de nature à donner crédit à cette diabolisation chez de nombreux électeurs de droite.

Sur Europe 1, il est facile à François Fillon de répondre à Jean-Pierre Elkabbach : « on parle d’un petit microcosme, toujours le même, qui pense qu’il a la vérité sur tous les sujets et qui croit parler au nom du peuple français ». Lorsque Jean-Pierre Elkabbach lui fait remarquer que « son compétiteur dit la même chose », François Fillon marque un point : « oui, [Alain Juppé] en fait partie [de ce microcosme] ».

Dernier inconvénient : la diabolisation n’est pas un blast, elle a besoin de temps pour s’installer dans les esprits. Alain Juppé l’a appris à ses dépens, lui qui a longtemps traité par le dédain le masque de « Ali Juppé » dont l’ont affublé ses opposants bordelais, puis nationaux. Aujourd’hui, Alain Juppé se pose en victime d’une stratégie de diabolisation qui le présente comme soumis à l’islam. Pour lui, c’est trop tard, le mal est fait. Le PS est, lui, dans un temps plus long. En diabolisant François Fillon dans l’entre deux tours de la primaire, il sème pour la campagne électorale à venir… et se réjouit d’avoir, face à lui, un adversaire à même de fédérer la gauche.

S’assumer, s’affirmer, ne pas donner prise

A court terme, le problème pour Alain Juppé est que la stratégie de diabolisation ne fonctionne pas. Elle cherche à mettre François Fillon en difficulté et sur la défensive. Elle permet, au contraire, à celui-ci d’assumer et d’affirmer qui il est : « catho oui, tradi, certainement pas, réac, certainement pas, conservateur, certainement pas, d’ailleurs la preuve, c’est que je veux tout changer », puis « oui, j’ai des valeurs et je ne m’excuse d’avoir des valeurs, je crois à la famille, à l’autorité de l’Etat, au travail ».

Ensuite, la diabolisation a besoin de trouver prise dans une erreur, une faille de la personne ciblée. Elle ne trouve pas prise chez François Fillon qui est perçu comme sérieux, honnête, ayant le sens de l’intérêt général et qui, surtout, n’a pas de passif judiciaire, ni de casserole connue. Thomas Sotto rapporte des propos sexistes contre NKM. François Fillon retourne l’attaque à son avantage en citant à son tour NKM et en concluant : « je suis capable de m’excuser d’une mauvaise plaisanterie ».

En économie, une vision en résonnance avec celle de nombreux Français

En troisième lieu, la diabolisation veut présenter François Fillon comme quelqu’un de brutal au plan économique. Elle réduit son projet à une hausse de 2 points de la TVA et à la suppression de 500.000 postes de fonctionnaires. Sur Europe 1, les deux journalistes mettent uniquement l’accent sur ces mesures.

Problème : le projet de François Fillon découle d’une vision grave et pessimiste de la France qui est partagée par de nombreux Français, principalement à droite. Si l’on est d’accord avec la vision, alors on est pris dans un entonnoir et l’on se retrouve d’accord avec les deux mesures proposées. En se contentant de reprendre l’argumentaire d’Alain Juppé, les deux journalistes n’aident pas à y voir plus clair sur le sujet pourtant crucial des fonctionnaires et du service public.

Lâcher les coups contre « le système » et ses journalistes

Dernier point, et Thomas Sotto en a fait les frais pendant l’interview : François Fillon a longtemps été ignoré ou dédaigné par les médias généralistes et par « le système ». Il a gagné le premier tour de la primaire sans ces médias, ni « le système ». Il peut donc, à l’occasion, se permettre de taper dessus, il sait que ce sera bon pour son image auprès de ses électeurs.

François Fillon lâche ses coups lorsque Thomas Sotto, citant la Une du Canard Enchaîné, le compare à Margaret Thatcher, accusée d’avoir augmenté le nombre de chômeurs et rendu les Anglais plus pauvres : « entendre des choses pareilles dans une radio sérieuse comme Europe 1, franchement, ça me met en colère », « Madame Thatcher a été élue trois fois, elle a fait trois mandats, c’était une femme extrêmement impopulaire comme chacun sait », « l’Angleterre, c’est un pays que je connais bien, j’ai épousé une Britannique et j’y allais beaucoup », « franchement, entendre des trucs pareils, ça laisse rêveur ».

Conclusion : la diabolisation, c’est redoutable, mais ça ne marche pas à tous les coups. Et quand ça ne peut pas marcher, il est préférable de s’abstenir car elle renforce la cible et se retourne contre l’attaquant.

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