Jean-Claude Juncker sur Europe 1 : une communication froide et lisse qui dessert l'Europe - Mediapicking
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Jean-Claude Juncker sur Europe 1 : une communication froide et lisse qui dessert l'Europe

Dernière actualisation : 03/11/2015, 18:20

Jean-Pierre Elkabbach a interviewé Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne, le 19 mars 2015, à quelques heures de l’ouverture d’un Conseil Européen. Il n’a pas ménagé sa peine, face à un Jean-Claude Juncker qui verrouille, fait des réponses très courtes, dit des choses et leur contraire, tout en abusant de la langue de bois et de son débit monocorde. Ce mode de communication pose problème et dessert l’Union Européenne. Je voudrais ici dire pourquoi, en mettant l’accent sur trois points.

L’incarnation d’une Europe froide et lointaine

Jean-Claude Juncker s’exprime avec retenue et/ou froideur. Comme il est l’une des incarnations de l’Union Européenne (UE), ses traits d’identité sont attribués à l’institution qu’il préside – la Commission – et, plus largement, à l’Union. Il énonce un constat froid (8 min 50) – « il y a un énorme fossé entre l’attente du grand public, donc des peuples d’Europe et l’action de l’Union Européenne et de la Commission » - et dit avoir pour ambition de réduire ce fossé. En posant le problème au niveau de l’action de l’UE, il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que le problème se situe au niveau de l’identité et de la perception de l’UE.

L’ensemble de l’interview ne suscite ni envie, ni bonheur. Elle ne crée pas d’appétence pour l’Europe. Elle nourrit l’image d’une Europe lointaine, technicienne et gestionnaire, même si Jean-Claude Juncker s’attache à user de formules et à exprimer des émotions.

Côté formules, Jean-Claude Juncker dit à deux reprises que « l’armée française sauve souvent l’honneur de l’Europe » (3 min 30). Il caresse l’auditeur français dans le sens du poil, mais soit la formule est creuse (qu’est-ce que l’honneur de l’Europe en Syrie ?), soit il convient d’en tirer toutes les conséquences, et notamment l’idée que les pays européens sans armée ou n’engageant pas leur armée saliraient l’honneur de l’Europe. Je choisis la première option : la formule est creuse.

Côté émotions, même lorsque Jean-Claude Juncker dit « je me suis senti très tunisien » (1 min 25) après l’attentat au Musée du Bardo ou « je suis un amoureux de la Grèce » (9 min 40), cela sonne froid et mécanique. J’aurais aimé une incarnation plus chaleureuse de l’Europe.

Une expression lisse, refusant les aspérités

Jean-Claude Juncker est un président qui, souvent, prend soin de ne pas décider, brusquer, alarmer, ni incarner sa fonction par l’expression de ses opinions.

Il ne s’affirme pas, probablement par souci de survie politique. Il ne prononce pas un mot plus haut que l’autre et a volontiers recours à la langue de bois ou à une langue technicienne, par exemple lorsqu’il indique que l’Europe n’est pas en danger, mais en alerte (0 min 30) et que « nous sommes en face d’un risque de guerre poly forme » (3 min) – ce qui veut tout dire et rien dire. Si ces langues, en vogue dans les institutions européennes, font prendre peu de risque, elles empêchent les auditeurs de visualiser des actions concrètes et entretiennent la méconnaissance de l’UE.

Dans le même registre, Jean-Claude Juncker s’efface souvent derrière un débat en cours ou à ouvrir et derrière le processus législatif, par exemple à propos de son propre plan d’investissements. Après avoir déclaré que « sans l’armée française, l’Europe serait sans défense », il refuse de s’aventurer dans des terres instables et risquées, lorsque Jean-Pierre Elkabbach lui demande : « est-il normal que les Français paient pour la sécurité de tous [les Européens] ? » (3 min 45) et lorsqu’il l’interroge sur une mutualisation européenne des dépenses françaises de défense et sur la prise en compte de ces dépenses dans le calcul du déficit de la France. A ce moment de l’interview, Jean-Pierre Elkabbach aurait certainement pu bousculer davantage le Président de la Commission.

Une réponse courte pour dire une chose, puis une autre réponse courte pour dire son contraire

Jean-Claude Juncker multiplie les réponses très courtes – ce qui lui permet de saucissonner son message et de dire une chose et une contraire dans des réponses distinctes et espacées de quelques questions. Illustration avec la séquence de l’interview consacrée à la France, à ses dépenses publiques et au respect des règles budgétaires européennes (4 min 55).

Jean-Pierre Elkabbach doit enchaîner trois questions fermées avant d’obtenir une réponse simple. Jean-Claude Juncker commence par la langue de bois, puis considère qu’il existe un débat et non pas une défiance de Bruxelles vis-à-vis de Paris et, enfin, affirme croire Manuel Valls lorsque celui-ci dit que la France tiendra sa promesse d’un déficit réduit à 2,8% en 2017 (5 min 40).

A ce stade, on comprend que Paris a réussi à convaincre Bruxelles. Les questions portent ensuite sur les 4 Mds€ d’économies supplémentaires qui doivent être réalisées par la France. Jean-Pierre Elkabbach demande : « estimez-vous que la France fait des efforts suffisants ? » (6 min 20). La réponse de Jean-Claude Juncker tombe comme un couperet : « pour l’instant, les efforts [de la France] ne sont pas suffisants ». On a maintenant du mal à comprendre, mais Jean-Pierre Elkabbach ne reboucle pas avec la réponse affirmative énoncée une minute plus tôt par Jean-Claude Juncker et déjà distante de plusieurs questions.

Lors de son accession à la présidence de la Commission en octobre 2014, Jean-Claude Juncker donnait l’impression d’avoir pris conscience de l’urgence : il parlait alors « d’une Commission de la dernière chance ». Aujourd’hui, il ne semble pas avoir pris conscience qu’il y a urgence à changer sa communication orale et l’image qu’il projette pendant ses interviews.

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