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Etude Randstad sur les religions dans l'entreprise. Qu'ont retenu les journaux ? Parler des religions de façon indéfinie permet-il d'y voir plus clair ?

Dernière actualisation : 22/04/2015, 17:59

L’Institut Randstad et l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE) ont médiatisé, les 21 et 22 avril, la troisième édition de leur étude annuelle sur « Le travail, l’entreprise et la question religieuse ». Cette initiative de Randstad est à saluer car elle vise à quantifier et à objectiver un fait social qui peut donner lieu à toutes sortes de mythes, fantasmes ou manipulations.

Randstad a choisi d’accorder une exclusivité au Parisien qui, en plus des résultats, présente, le 21 avril, une interview de Lionel Honoré, professeur à Sciences-Po Rennes et président de l’OFRE. L’AFP a rendu compte de l’étude dans une dépêche qui a été complétée par LeMonde.fr et LaCroix.fr. Libération, Le Figaro et Les Echos ont, chacun, publié un article sur le fait religieux en entreprise dans leur édition du 22 avril.

L’étude Randstad et les journaux font le choix de parler des religions de façon indéfinie et indifférenciée. Les résultats et les explications, qui sont mis en avant, peuvent varier fortement d’un journal à l’autre. Le questionnaire et l’échantillon de l’étude Randstad appellent plusieurs précisions. En résumé, on est encore loin d’y voir clair sur les religions dans l’entreprise… ou sur l’islam au travail. Pas sûr que ce flou soit positif pour les Musulmans de France !

Un fait religieux n’est pas nécessairement une revendication religieuse.

Tous les journaux mettent en avant la progression du fait religieux en entreprise : 23% des personnes interrogées en 2015 déclarent être confrontées régulièrement (c’est-à-dire de façon quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle) au fait religieux en entreprise, contre 12% en 2014.

Certains articles reprennent, en titre, cette progression, avec un biais pour deux d’entre eux. La question posée dans l’étude Randstad est vague : elle parle de « confrontation au fait religieux ». Elle ne décrit pas cette confrontation, ni n’emploi le mot « revendication ». Le Parisien et LeMonde.fr sont moins regardants et opèrent un glissement qui est loin d’être neutre. Ils ont respectivement choisi de titrer « Religion : deux fois plus de revendications au travail » et « Les revendications religieuses au travail augmentent ».

Augmentation des conflits ou contexte apaisé ? Cela dépend du journal que vous lisez.

Tous les journaux se focalisent sur un autre résultat de l’étude : le pourcentage de personnes interrogées confrontées à des cas conflictuels et/ou bloquants. Ils le font de façon très différente, probablement liée à leur positionnement sur les questions d’identité.

Le Parisien et Le Figaro mettent l’accent sur la progression de ce pourcentage en 2015 par rapport à 2013 : un triplement, soit le passage de 2% en 2013 à 6% en 2015. Les autres journaux reprennent le message inscrit dans l’étude Randstad : « dans l’ensemble, le contexte reste malgré tout apaisé puisque 88 % des cas rencontrés n’entraînent ni conflit, ni blocage ».

Les journaux ne vont pas beaucoup plus loin dans la restitution des résultats de l’étude. Ils essaient d’expliquer la forte progression du fait religieux en entreprise : les uns parlent de crispation et invoquent les attentats de janvier 2015 (l’étude a été réalisée en février et mars 2015), les autres parlent de banalisation, au motif « des salariés hésiteraient moins à faire des demandes à leur hiérarchie en lien avec leurs croyances ou pratiques religieuses ».

Le choix de parler des religions de façon indéfinie et de ne pas nommer l’islam

L’étude Randstad prend le parti de traiter du fait religieux de façon indéfini, sans lien avec une religion spécifique. L’étude et les journaux parlent des religions, comme si elles étaient toutes concernées, à parts égales, dans les faits religieux qui sont rencontrés en entreprise. Qu’en est-il ?

Le Parisien fait porter la réponse par Lionel Honoré, l’universitaire qui coréalise l’étude avec Randstad. Il lui demande si « certaines religions reviennent plus que d’autres ». Lionel Honoré répond : « Toutes sont concernées. Mais la plus grande majorité des cas viennent de l’islam ». Il ne peut pas s’arrêter sur ce constat : il pointe immédiatement la méconnaissance de l’islam par les managers, souligne que « l’image [de l’islam] reste liée aux attentats et à l’islam radical, ce qui nuit aux musulmans », ajoute que « 95% des Musulmans […] placent, dans leurs priorités, l’entreprise avant la religion ». Lionel Honoré ne pourra pas, ainsi, être accusé d’avoir stigmatisé l’islam.

Le Parisien ne cite l’islam à aucun autre endroit. Et aucun autre journal ne cite l’islam à propos du fait religieux en entreprise. Comme si des fidèles de toutes les religions demandaient, dans les mêmes proportions, des « absences pour fêtes religieuses », le « port ostentatoire d’un signe (croix, kippa, foulard, turban, etc) », des « demandes d’aménagement du temps de travail (horaires, planning) », la possibilité de prier pendant les pauses ou pendant le temps de travail. Je reprends ici la liste des « faits religieux les plus fréquemment rencontrés », tels qu’ils sont formulés par Randstad dans son étude.

On parle indifféremment des religions, on ne cite pas l’islam, mais en revanche, on illustre les articles de journaux avec des photos relatives à l’islam : un musulman (portant un gilet de la CGT) prosterné pour sa prière dans un parking pour LeMonde.fr et LaCroix.fr, un chapelet musulman posé près d’un clavier d’ordinateur pour Les Echos. Le Parisien joue, lui, le contre-pied et/ou la sécurité avec une caricature mettant en scène Jésus.

Je ne suis pas certain que les Musulmans de France aient à gagner de cette hypocrisie où l’on parle d’eux sans les nommer, mais avec photo à l’appui.

Mieux décrire, dans les prochaines études, l’ensemble des faits religieux en entreprise

J’en viens maintenant à l’étude Randstad. Celle-ci pourrait mieux décrire les faits religieux rencontrés en entreprise en fonction de la taille et du secteur de l’entreprise. Surtout, elle pourrait demander aux personnes interrogées de décrire tous les faits religieux qu’elles ont rencontrées en entreprise – et pas uniquement le type de faits le plus fréquemment rencontré. En effet, rien ne permet de dire si les personnes interrogées ne rencontrent pas aussi d’autres faits qui sont listés dans le questionnaire.

Image - Etude Randstad - faits religieux

Exemple : 4% des personnes interrogées disent que le fait religieux qu’elles rencontrent le plus fréquemment est le refus de travailler avec une femme. Pour autant, l’étude ne permet pas de dire si les 19% de personnes interrogées qui citent, elles, les demandes d’absence pour fêtes religieuses ne sont pas aussi confrontées – mais moins souvent – à des refus de travailler avec une femme.

L’étude pourrait également être plus précise et plus spécifique sur la question de l’interdiction des signes religieux au travail. Elle vise, de façon indifférenciée, tous les signes religieux, depuis la croix ou l’étoile de David en pendentif autour du cou et la médaille de baptême jusqu’à la kippa, le foulard ou le voile. Mais peut-on considérer tous ces objets de façon indifférenciée ?

Réaliser les prochaines études sur un échantillon plus représentatif de la population française, de ses croyances et de ses incroyances

L’Institut Randstad et l’OFRE gagneraient à publier la liste de toutes les questions posées et l’intégralité des résultats obtenus, au-delà de leur document de communication dont le plan n’est pas clair et dont la lecture est parfois difficile.

Surtout, ils gagneraient à mieux décrire l’échantillon interrogé et à mieux s’assurer de sa représentativité. Ils écrivent, en page 27 de leur document, que « l’échantillon compte 56 % de croyants et 44 % de non-croyants et 24 % de pratiquants réguliers, 21 % de pratiquants occasionnels et 55 % de non-pratiquants ».

Ces chiffres sont très éloignés de ceux qu’indiquent habituellement les quelques sondages menés sur les croyances et pratiques religieuses auprès d’échantillons représentatifs de la population française. Seulement 36% des Français disaient croire en Dieu dans un sondage de 2011, tandis que l’échantillon de Randstad compte 56% de croyants. Il y a peut-être un biais quelque part !

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