"Un temps de Président" : faute ou réussite de l'Elysée? - Mediapicking
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"Un temps de Président" : faute ou réussite de l'Elysée?

Dernière actualisation : 04/10/2015, 21:36

A l’issue du reportage "Un temps de Président" réalisé par Yves Jeuland, Gael Sliman, président d’Odoxa, a résumé l’impression que beaucoup de téléspectateurs ont pu avoir : le conseiller du Président en presse et communication, Gaspard Gantzer, est le véritable héros de ce documentaire.

Or, une des règles de base de la communication est que celle-ci doit être invisible. Voler la vedette à son « client », qui plus est quand celui-ci est le Président de la République, apparait de prime abord comme une grossière erreur. Autrement dit, une bonne com’ est une com’ qui ne se voit pas ; et de ce point de vue, on pourrait penser que ce documentaire constitue un exemplaire raté de communication.

Une erreur…volontaire ?

Néanmoins, trois constats contredisent cette thèse trop évidente.

Le premier est que pendant tout le reportage, Gaspard Gantzer apparait comme un individu ayant un souci permanent du contrôle et de la pleine maitrise de la manière dont la parole présidentielle est reprise et mise en circulation par les médias. Il est donc difficile de penser qu’il soit tombé dans un travers aussi évident.

Ensuite, ce reportage laisse à penser que la loyauté de Gaspard Gantzer à l’égard de l’institution élyséenne et de François Hollande est à la hauteur de ce souci de contrôle. Par exemple, les éléments de langage que Gaspard Gantzer distille aux journalistes dans ce reportage sont les mêmes indépendamment de la rédaction, des relations qu’il peut entretenir avec les uns ou les autres et du contexte. Le off semble pleinement maîtrisé, et ce au service de l’Elysée. Ce faisant, on a du mal à croire qu’il ait pu voler la vedette au Président sans que ce dernier n’en soit le complice.

Enfin, il faut observer que cette mise en scène de la communication élyséenne dans des reportages et des sujets de presse n’est pas une première. Longue interview « vérité » de François Hollande dans Society en mars dernier, ouverture d’un compte de fact checking @elysee_com sur Twitter en avril, reportage au JT de France 2 en juin : nous sommes à l’évidence face à une stratégie délibérée et entretenue de mise en scène de la transparence et du décryptage.

La com’ de la com’ pour faire exister le Président de la République

Dans un contexte où la côte de popularité du Président reste désespérément basse - au-delà des micro-variations -, et où la parole présidentielle semble discréditée dans la mesure où les résultats de ses annonces n’arrivent pas, une des manières d’exister médiatiquement, de redorer l’image de l’institution, est de donner à voir de l’apparent décryptage et des coulisses, de faire en quelque sorte la com’ de la com’.

Cette mise en scène des coulisses fonctionne car elle correspond à la fois au détournement d’une routine journalistique et à une demande croissante des téléspectateurs.  D’une part, elle détourne le « mandat » du journaliste qui est de donner à voir ce que le pouvoir aime à cacher. Selon la belle formule d’Albert Londres « le métier est de porter la plume dans la plaie ». Or, en mettant en scène les coulisses de la communication élyséenne, ce reportage reprend les codes journalistiques du « décryptage » pour devenir vecteur de la stratégie de communication présidentielle. D’autre part, l’audimat est assuré et c’est un enjeu essentiel pour une institution à la parole démonétisée. 2,5 millions de personnes (10,7 % de parts d’audience), soit la meilleure audience pour un documentaire politique depuis mars 2013 (source Le Monde), ont été attentifs pendant près de 2 heures à ce que l’Elysée et le Président de la République ont à leur montrer.

Quid de la démocratie ?

« A l’Elysée, un temps de Président » est incontestablement un reportage fait « avec » ; le simple fait que François Hollande l’ait visionné il y a déjà un mois en atteste largement.

Sommes-nous en train d’assister à la création d’un « flou » autour de l’un des derniers pré-carrés journalistiques à savoir le devoir d’investigation ? Est-ce que d’une certaine manière ce reportage ne signale pas l’extension du domaine de la communication institutionnelle à la mise en scène des coulisses et donc à une nouvelle modalité du jeu d’associés-rivaux auxquels médias et politiques se livrent depuis toujours ?

En somme, si les communicants peuvent être témoins d’une opération de com’ réussie, si les téléspectateurs peuvent se réjouir d’un bon programme télévisuel, et si les journalistes sont eux hostiles à cette nouvelle manœuvre (Cf. Le Point avec «mélange de vanité et de vacuité », ou L’Obs avec « vulgaire et cruel »), que doit-on en penser d’un point de vue citoyen ?

Commentaires (1)

  • yves jeuland a écrit le 04/10/2015, 20:03
    Cher Raphaël Haddad, On vient de m'envoyer le lien de votre blog. C'est drôle, vous raisonnez comme s'il n'y avait qu'un seul domaine, celui dans lequel vous exercez et qui n'est pas le mien : la communication. Comme si l'Élysée était commanditaire de ce travail. Vous ne faites d'ailleurs pas le distinguo entre le film institutionnel, le reportage et le documentaire. Il y a des conseillers en communication, des journalistes et des réalisateurs - de fictions ou de documentaires. Chacun exerce son métier de façon différente. Vous écrivez notamment : "2,5 millions de personnes (...) ont été attentifs pendant près de deux heures à ce que l'Élysée et le Président de la République ont à leur montrer. « Un temps de Président » est incontestablement un reportage fait « avec » ; le simple fait que François Hollande l'ait visionné il y a déjà un mois en atteste largement." Oui, François Hollande a vu le film, comme tous les hommes et les femmes que je filme depuis bientôt vingt ans. Mais il a vu le film une fois terminé, sans aucun droit de regard sur mon travail et les conseillers du Président ne se sont pas invités en salle de montage. Le film aurait été tout autre, je vous l'assure. Si je montre le film à mes personnages, c'est par simple courtoise. Ils m'ont accordé leur confiance et je trouverais pour le moins inélégant qu'ils lisent des papiers dans la presse sur mon travail avant d'avoir pu le découvrir. Après, qu'ils aiment ou non le film, c'est leur affaire, je ne modifie jamais rien. Le réalisateur, c'est moi. C'est le réalisateur qui choisit ses personnages, et notamment les deux grands seconds rôles : Gaspard Gantzer et Jean-Pierre Jouyet. Le réalisateur qui, avec la monteuse Lizi Gelber, a passé cinq mois en salle de montage pour raconter cette histoire, en choisir les contrechamps, et réaliser un film documentaire de 104 minutes à partir des 75 heures de rushes tournées au long de mes six mois de présence. Bien sûr qu'en acceptant ma caméra, l'Élysée avait quelque chose derrière la tête, je ne suis pas dupe. Mais moi aussi. Ce que j'aime filmer par dessus tout, ce sont les contrechamps et ce qui échappe aux politiques. Et si je ne trahis jamais, je suis très soucieux de ma liberté. Là où vous avez raison, quand vous parlez de ce 'flou', c'est que les politiques ont compris (mais depuis assez longtemps) en quoi certaines caméras embarquées pouvaient leur être utile et les humaniser. Ils fabriquent désormais eux-mêmes leurs propres coulisses, adoptent avec talent le registre du faux-semblant, lâchent de fausses confidences... Mais ça finit souvent par se voir. C'est vrai qu'il est parfois ardu de contourner les communicants et de déjouer les plans médias. Pressés par le temps, les journalistes n'ont souvent pas d'autre choix que de faire avec. Le réalisateur a le luxe du temps ; et d'autres avantages dans le dispositif, les outils et la méthode que je ne vais pas détailler ici. Quant à la perception du film, vous dites que 'les journalistes ont été hostiles à cette nouvelle man'uvre'. Et de citer Le Point et l'Obs, deux hebdomadaires où j'ai eu sans doute mes meilleures critiques (voir plus bas). Je me serais d'ailleurs attendu à une réaction plus virulente des journalistes, car leur profession est un peu malmenée dans mon film. Bizarrement non. La critique a été étonnamment très favorable, ce qui a sans doute favorisé les bonnes audiences. Quant à la perception des téléspectateurs, des citoyens, pour les retours que j'en ai eus, innombrables je dois dire, ils sont incroyablement divers et contrastés. Peut-être parce que c'est un film qui se regarde plus qu'il ne s'écoute, sans commentaire ni entretien (ce qui est peu habituel sur le petit écran et comportait un vrai risque pour l'audience). Je laisse une liberté au spectateur, loin de toute man'uvre, ce qui ne retire rien à ma subjectivité et mon point de vue. Mais je ne livre pas un travail prémâché. Ce qui provoque des réactions très contradictoires qui vont de 'Grâce à ce film, Hollande va être réélu' à 'Ce film est dévastateur pour le chef de l'état'. Et ces divergences ne sont pas pour me déplaire. Car je déteste les films de communicants qui nous disent là où il faut penser. Tous les avis m'intéressent : ceux des journalistes, ceux des téléspectateurs-citoyens et puis vous, les communicants, que j'ai eu intérêt à lire. Mais ne voir ce film qu'à travers le prisme de la communication en réduit sensiblement la portée. Peut-être d'ailleurs serait-il utile de filmer ce monde des communicants. Bien sincèrement à vous, Yves Jeuland Le Point : http://www.lepoint.fr/politique/jeuland-filme-hollande-scenes-de-vie-extra-ordinaire-a-l-elysee-25-09-2015-1967951_20.php#xtor=CS2-239 L'Obs : http://teleobs.nouvelobs.com/actualites/20150924.OBS6453/les-secrets-de-la-com-de-l-elysee.html
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