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Les trois leçons économiques du Pape: Un faux sens?

Dernière actualisation : 04/09/2017, 16:41
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Il est fréquent chez les journalistes et commentateurs d’attribuer au Pape une vision dite, d’ailleurs à tort au vu des résultats, "progressiste", de l’économie, et pourtant, lorsqu’on réfléchit à ce qu’il dit vraiment, on est en droit de se demander si d’aucuns ne le ferait pas parler pour soutenir les thèses qu’ils affectionnent.

En effet, une large part de la presse française semble se conformer à une évocation de la parole du Pape selon un tropisme "de gauche", peut-être en relation, non explicite, et pas nécessairement exacte, avec la doctrine sociale de l’Eglise. La Faute à Rousseau présente une telle analyse dans un article, daté du 20 octobre 2015, intitulé "Trois leçons d'économie du Pape François" et traitant du discours du Pape François à la tribune des Nations Unies, le 25 septembre 2015. Qu’en est-il réellement?

"Leçon n°1": le fonctionnement des organismes internationaux.

L’auteur évoque une parole papale qui mettrait  en garde les organismes internationaux contre une immixtion dans les affaires des Etats

Les organismes comme le FMI, la BCE et le MSE, les deux derniers non d’ailleurs cités par le Pape mais par l’auteur de l’article, n’ont pas vocation à se substituer aux Etats ni à leur gouvernement, car leur statut ne leur permet pas. En revanche, s’ils viennent au secours d’Etat de gouvernements défaillants, sur des emprunts déjà contractés, ils le font logiquement à leurs conditions et non à celles de ces mêmes Etats.

Prétendre que ces organismes établiraient les conditions de la ruine des débiteurs internationaux, n’a pas vraiment de sens, et d’ailleurs le Pape n’affirme rien de tel, car les conditions de refinancement des Etats en difficulté sont d’abord décidées par ceux qui refinancent les dettes sur les marchés, à savoir le système financier international.  Les Etats en difficulté le sont pour s’être surendettés, à l’aide de différents supports, en gérant mal leurs finances, grâce à des systèmes de crédit qu’ils ont eux-mêmes choisis, en toute connaissance de cause.

L'argent a un prix.

La finance internationale n’est en réalité que le diminutif de la communauté mondiale d’investisseurs, et ces derniers obéissent à des Lois sur lesquelles ils n’ont pas de prise. En effet tout argent placé dans le monde a été gagné à un moment ou à un autre, i.e. il est le résultat d’un rendement et d’une valeur ajoutée. Le placer à des conditions inférieures au marché, équivaut à une destruction de valeur ajoutée pour l’investisseur, il exige donc un rendement conforme aux normes en vigueur au moment du placement pour accepter de le prêter.

Le niveau du rendement dépend à la fois de la quantité de liquidité disponible, mais également de la capacité implicite de l’emprunteur à rembourser, et si celui-ci est déjà en défaut, il lui sera réclamé un supplément pour attirer les capitaux des investisseurs, sinon ils préfèreront le placer ailleurs.

Les religions ont leur façon de voir les choses, et c’est respectable, mais un système financier mondialisé ne peut fonctionner, et le Pape le sait parfaitement, sur la base de la charité, parce qu’il est nécessaire de pouvoir établir le prix de l’argent, afin de déterminer les conditions de l’échange dans le temps.

Tout acte gratuit, fausse la concurrence, par exemple une subvention détruit le mécanisme de la valeur ajoutée, en fournissant une ressource, l’argent, à taux zéro. En effet celui qui reçoit une subvention peut fixer ses prix avec une ressource qui ne lui coute rien, alors que son concurrent qui n’en n’a reçu aucune, sera forcé en incluant le prix de cette même ressource, à annoncer un prix supérieur.

Il n’y a donc aucune forme de morale dans la fixation d’un loyer de l’argent, pas plus qu’il n’y a de volonté de punir les mauvais débiteurs en les faisant payer des intérêt plus élevés. Ce sont simplement les conditions usuelles, applicables à tous, connues dès le départ, par les Etats, leurs gouvernements, et les peuples qui leur donnent mandat, pour gérer leurs finances.

La remise des dettes: une décision politique

Citant le Pape, l’auteur déduit par extension, après avoir admis que les pays en voie de développements semblaient au cœur du sujet, que cette parole s’applique à la Grèce, dans les pensées des Européens. Certes le Pape eût pu le dire, mais voilà, il ne l’a pas dit, et c’est donc lui prêter une intention qu’il n’a apparemment pas jugé bon d’inclure dans son discours.

Les remises de dettes sont accordées par les Etats, et non par les organismes internationaux, qui ne peuvent consentir de rabais que sur les intérêts. Les acteurs ayant le pouvoir de décider une réduction, voire une suppression du capital dans les affaires de dettes publiques, sont les Etats, car ils obéissent à des règles différentes de celles de la finance internationale, celles de la politique, et ce sont bien les dirigeants des Etats qui sont pointés du doigt par le Pape, et non les organismes internationaux, qui ne sont que des instruments.

"Leçon n°2": la mesure des performances économiques

L’évocation de la complexité des éléments de mesure, pour en dénoncer les dérives bureaucratiques éventuelles, est du domaine de la tautologie.  En effet, tout système est soumis à l’entropie qui réduit la circulation de l’information au détriment de sa performance.

Ce n’est pas comme le laisse entendre l’auteur de l’article, la dénonciation de la confiance aveugle dans les constructions théoriques des planifications, qui est le sujet abordé par le Pape, mais bien l’utilisation sans vérification des instruments techniques, conduisant  à des politiques sur des données fausses, sans en vérifier la pertinence vis-à-vis du réel, avec ses exigences d’honnêteté, d’équité,  de morale, ce qui est le cas dans bien des pays, et fut d’ailleurs à l’origine de la crise Grecque.

Là encore, le Pape en réaliste, pointe du doigt ceux qui ont des responsabilités, afin qu’ils les exercent correctement.

"Leçon n°3": le rôle de l’Etat en matière économique

Le devoir de tout Etat étant d’organiser le territoire sur lequel il a juridiction pour le bien de la population qui en est membre, le Pape rappelle à leur devoir ceux qui s’écartent de cette règle, en mentionnant le logement, le travail, la nourriture, et l’accès à l’eau potable, conditions premières du développement.

L’auteur se livre à une longue analyse du contre sens qu’il ne faudrait pas faire, afin de mettre en avant des considérations typiquement françaises comme « l’aide à la pierre, ou la politique sectorielle en faveur du bâtiment », que le Pape n’aborde évidemment pas, pour défendre des tautologies sur les causes et leurs effets, en forme de « principes » et de « circonstances ».

La parole papale disparait ainsi sous ces considérations, qui pour n’être pas fausses, n’en sont pas moins hors sujet. Un logement personnel, si on veut se référer à la symbolique chrétienne, est un toit pour se loger, ce que les parents du Christ trouvèrent dans une étable, à Bethléem, et donc, pour faire court, un mi-max de chaque époque, en quelque sorte.

Digression interprétative sur la consommation outrancière

L’auteur de l’article fait référence au « travail digne et correctement rémunéré », et en rappelle les définitions, dans la « seconde priorité », en s’appuyant sur l’encyclique Laudato Si: « la création de postes de travail [par toute entreprise] est une partie incontournable de son service du bien commun » (§ 129). Puis il part dans une digression interprétative sur la consommation excessive, et les productions comme le pavot, oubliant par là-même la part essentielle de la pensée du Pape qui est la notion du partage dans une société normalement organisée, sans lequel la communauté des hommes reviendrait à la compétition des bêtes pour la survie.

La phrase du Pape est plus certainement une admonestation à accepter un moindre profit pour sauver des hommes, en prenant la dimension du « service du bien commun », qu’une leçon de morale sur le « gaspillage d’énergies fossiles » ou la manière de produire ou de consommer.

Le Pape a clairement visé les conditions de vie de nombre de pays, qui ne réunissent pas, en gâchant leurs ressources par ailleurs, le minimum compatible avec la dignité humaine, fidèle en cela à la doctrine de l’église qui est de venir en aide aux pauvres et aux déshérités. Il n’est pas certain, même si dans son encyclique il décrit longuement les effets des déchets non dégradables sur notre environnement, qu’il ait voulu  spécifiquement stigmatiser le consumérisme outrancier comme le laisse supposer l’auteur de l’article, qui l’admet d’ailleurs, en disant que « le Pape n’a pas développé ces analyses ».

Un appel à la refondation d'une morale

En revanche, l'auteur de l'article ne commente pas le rappel du Pape à la famille « base de tout développement social » au cœur de la doctrine de l’Eglise, et se limite à rappeler que le Pape a mis en garde contre toute mauvaise gestion de l’économie mondiale, sans relever le plus important après le minimum, le toit, la terre, et l’eau : le droit à l’éducation, la liberté de pensée et de religion, toutes considérations primordiales dans l’époque actuelle.

Les réflexions du Pape portent en elles la marque d’un humanisme chrétien, en réponse à l’utilisation des techniques et du progrès en général par les puissants, pour accroitre leur emprise sur le monde. Son appel à revenir sur des comportements fondamentalement prédateurs vis-à-vis de la planète et des hommes, jusque et y compris les jeux politiques égoïstes qui consistent à faire semblant, par des mesures parcellaires destinées à donner le change, sont un appel à la refondation d’une morale, dans une époque qui en parle beaucoup mais qui en manifeste si peu, fondée sur le rapport entre l’homme et son semblable, sa planète, et au-delà avec l’univers.

Les leçons du Pape à la tribune des Nations Unies étaient, somme toute, beaucoup plus humanistes et politiques qu’économiques.

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