Viande rouge, charcuterie et cancer. Une communication mal préparée par le CIRC et l'OMS? - Mediapicking
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Viande rouge, charcuterie et cancer. Une communication mal préparée par le CIRC et l'OMS?

Dernière actualisation : 23/10/2017, 16:12

Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a présenté, le 26 octobre, ses conclusions sur la viande rouge et sur la charcuterie. Comme d’habitude, il a demandé à un groupe d’experts d’analyser les études scientifiques et de classer les produits étudiés dans l’une de ses 5 catégories. Comme d’habitude lorsqu’il s’agit de produits de la vie quotidienne, il a allumé un emballement médiatique mondial.

Comment rendre compte de la décision du CIRC?

Le CIRC, agence de l’Organisation Mondiale de la Santé, a frappé les esprits en classant la viande transformée comme cancérogène et la viande rouge comme cancérogène probable. L’emballement médiatique est donc justifié. Mais vient très vite une question pour les journalistes : comment rendre compte de cette double classification ? Quel message à l’attention du grand public qui se nourrit et nourrit ses enfants de viande et charcuterie ? Quelle tonalité ? Qui faire parler ?

Ces interrogations apparaissent dans l’article de Libération, intitulé « Viande cancérogène les lectures anxiogènes d’une étude » : « Ce nouvel épisode de l’information scientifique renouvelle l’interrogation sur la manière dont elle est transmise aux consommateurs et aux citoyens. Comment rédiger un titre sur une information aussi complexe ? A quel niveau la placer ? ».

AFP, TF1 et France 2: 3 histoires différentes

Il n’est pas facile de traduire en langage courant une information scientifique produite en fonction des missions spécifiques d’une agence sanitaire et en fonction de la classification que cette agence a inventée. Je me suis intéressé à la façon dont trois médias-clé en France ont traduit cette information : la dépêche AFP qui a été reprise telle quelle par de nombreux médias en ligne, le 20h de TF1 et le 20h de France 2.

Les trois productions médiatiques sont très différentes les unes des autres. Cet écart dans les messages et dans leur mise en scène renvoie à la responsabilité du CIRC qui semble avoir peu anticipé et mal cadré l’impact de son annonce dans la société.

AFP: reprendre tels quels les mots du CIRC, puis faire réagir

La dépêche AFP reprend, mot à mot, de nombreux éléments du communiqué et du document questions-réponses du CIRC. Elle présente les deux classifications, sans expliquer le rôle, le travail et les limites du CIRC. Elle rend compte de la décision du CIRC, mais sans examiner les conséquences pratiques (quoi manger ?...) et émotionnelles (faut-il s’inquiéter ?...) de cette décision. Elle sort parfois de la neutralité du CIRC, par exemple dans son titre : « la charcuterie et les viandes accusées de favoriser le cancer ». En résumé, elle n’est ni pédagogique, ni orientée vers le grand public.

La dépêche AFP se termine par les réactions de trois parties prenantes : un épidémiologiste britannique qui recommande une consommation modérée, l’interprofession de la viande aux Etats-Unis qui attaque frontalement la décision du CIRC et, plus étonnant, les propos autoritaires du Ministre Stéphane Le Foll qui tient en haute estime le travail du CIRC et ordonne la consommation (raisonnable) de viande : « Je ne veux pas qu’un rapport comme celui-là mette encore plus la panique chez les gens. […] On peut et on doit consommer de la viande, mais on doit le faire de manière raisonnable ».

TF1 : la volonté de rassurer

Sur TF1, Gilles Bouleau indique d’emblée à son public que l’information qui va suivre « ne doit sûrement pas vous faire paniquer ». Puis, il relativise et minimise la décision du CIRC : « l’Organisation Mondiale de la Santé a ajouté aujourd’hui à la longue liste des produits potentiellement cancérogènes la viande rouge et la charcuterie ». Il relative lorsqu’il évoque « une longue liste ». Il se trompe lorsqu’il parle de « produits potentiellement cancérogènes » car cette catégorie, appelée 2B dans la classification du CIRC, est distincte des catégories choisies pour la charcuterie (catégorie 1 : cancérogène) et pour la viande rouge (catégorie 2A : probablement cancérogène).

Consommer avec modération

Le reportage de TF1 est cohérent avec le lancement de Gilles Bouleau : il cherche à rassurer. Le bandeau à l’écran n’est pas affirmatif, mais interrogatif : « Alimentation. Charcuterie et viande rouge, mauvais pour la santé ? ». Le reportage donne la parole à une scientifique qui présente la décision du CIRC. Il laisse le dernier mot à un médecin nutritionniste qui prône une consommation équilibrée et modérée de la viande et qui conseille de ne pas s’en abstenir : « il faut manger deux fois par semaine de la viande rouge ».

Les images qui accompagnent la voix off du journaliste montrent des étalages de boucherie et de charcuterie, la consommation d’un steak, la préparation d’un carré d’agneau et un apéritif convivial avec vin et saucisson… des images de vie quotidienne et de gourmandise.

Le reportage se termine par des chiffres montrant une diminution de la consommation de viande par an et par habitant. Il laisse ainsi entendre que les problèmes causés par une consommation excessive de viande et de charcuterie seraient en voie de résorption puisque, sans attendre la décision du CIRC, les Français auraient déjà réduit leur consommation depuis plusieurs années. Sur TF1, les choses vont dans la bonne direction. Nous sommes rassurés !

France 2: dramatiser, puis dégonfler

France 2 a choisi de traiter le sujet en deux temps, d’abord un reportage intitulé « Viande et charcuterie. L’alerte de l’OMS », puis une interview en plateau de Jean-Daniel Flaysakier, son journaliste santé qui est, par ailleurs, médecin. Elle souffle le chaud, puis le froid. Elle dramatise une alerte, puis la dégonfle.

Pour le lancement de cette séquence, Julian Bugier dramatise la décision du CIRC en parlant d’un « rapport choc de l’OMS pour les viandes rouges et la charcuterie ». Il met en scène une opposition entre experts et industriels… alors même que le reportage et l’interview à suivre ne donnent pas la parole aux industriels, ni ne mentionnent leur position. Il prend la tangente en s’interrogeant sur un principe de précaution poussé à l’extrême… puisque le principe de précaution est absent de la décision du CIRC.

Selon l'OMS, une surconsommation de charcuterie et de viande rouge favoriserait certains cancers

Un reportage inquiétant, voire biaisé

Le reportage se veut pédagogique et pratique. Il est focalisé sur la charcuterie. Il examine trois questions : quels sont les éléments cancérogènes ? Quels sont les risques ? Quelles sont les quantités à ne pas dépasser ? C’est la journaliste qui répond en voix off à ces questions, sans faire intervenir un scientifique ou un médecin. Son discours est inquiétant, voire biaisé. Il désigne un coupable : « les industriels ».

Le reportage montre la réunion d’experts du CIRC pour crédibiliser le propos en voix off. Il montre ensuite des traitements industriels et peu appétissants de la viande : viande sortant d’un hachoir industriel, viande sur un tapis roulant pour l’ajout de sel sur la viande… Après l’explication scientifique, le reportage se poursuit dans une charcuterie artisanale où l’on nous vante les produits traditionnels, par opposition aux produits industriels. Le CIRC fait-il cette distinction ? Non, mais les spectateurs n’en sauront rien.

Le reportage se termine sur un message inquiétant : « l’excès de viande rouge poserait aussi problème, elle vient d’être classée cancérogène probable par l’OMS ».

Consommation de viande et de charcuterie : un vrai danger ?

En plateau, une interview rassurante et hédoniste

Nous retrouvons en plateau Julian Bugier qui demande à Jean-Daniel Flaysakier : « Faut-il arrêter de manger de la charcuterie ? » La réponse tombe, définitive et joyeuse : « Sûrement pas ». C’est le grand écart entre le reportage inquiétant et la bonhommie joviale et hédoniste de Jean-Daniel Flaysakier. Le discours est extrêmement rassurant. Il ferait passer la classification du CIRC pour une décision d’angoissés et d’aigris. On a du mal à faire le lien avec le reportage. Julian Bugier résume ce sentiment : « Nous voilà soulagés. Le maître-mot est la modération ». Nous avons eu chaud, mais tout va mieux. Ouf !

Des journalistes s’accrochant à une phrase obscure du CIRC

Les reportages de TF1 et France 2 montrent que les intentions, les messages, les images, les tonalités et les intervenants peuvent être radicalement différents. Il y a, pourtant, une phrase que l’on retrouve quasiment à l’identique dans le communiqué du CIRC, dans la dépêche AFP et dans les reportages de TF1 et France 2 : « chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée quotidiennement accroît le risque de cancer colorectal de 18% ». Je ne comprends pas cette phrase.

Le CIRC ne dit rien sur la prévalence et l’incidence du cancer colorectal. Un risque augmente de 18%, mais on ne quantifie pas le risque initial. Ensuite, quelle consommation de charcuterie fait augmenter ce risque ? Que se passe-t-il si l’on mange moins de 50 grammes de charcuterie par jour, par exemple 30 grammes par jour ou 60 grammes, mais uniquement 2 jours par semaine ? Que se passe-t-il si l’on a réduit cette dose après l’avoir consommée pendant plusieurs années ?... Au final, le CIRC ne pouvait-il pas être plus clair ?

Grand écart entre les médias. La faute au CIRC?

Revenons à notre question initiale : comment traiter, dans un reportage de deux minutes, d’une décision scientifique à la fois simple dans son principe (consommation modérée) et complexe dans son énoncé (classifications 1 et 2A) ? L’exercice est difficile et a donné lieu à de grands écarts entre les reportages de TF1 et France 2 ou, dans le JT de France 2, entre le reportage et l’interview en plateau.

Mais au lieu de critiquer les journalistes, n’y a-t-il pas lieu, ici, de critiquer le CIRC qui n’a fait ni pédagogie, ni mise en perspective, qui a peu anticipé l’impact de son annonce, qui a peu préparé le travail des journalistes et qui ne semble pas s’être soucié d’élaborer un message-clé à l’attention du grand public ? Dommage car cela contribue à éloigner la science de la société, sans parler des discours et des comportements fondés sur une information scientifique mal comprise.

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