Imam assigné à résidence à Montpellier. Pourquoi l'indulgence du Figaro et de Libération pose problème. - Mediapicking
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Imam assigné à résidence à Montpellier. Pourquoi l'indulgence du Figaro et de Libération pose problème.

Dernière actualisation : 10/12/2015, 15:39

Etat d’urgence : plus de 2.200 perquisitions, plus de 300 assignations à résidence. Quelques histoires sont médiatisées. Parmi elles, celle de l’imam Mohamed Khattabi de Montpellier avec, entre autres, l’AFP, France 3, Europe 1, 20 Minutes, Libération et Le Figaro. L’imam est assigné à résidence. Il conteste cette décision dans les médias et devant les tribunaux.

Deux articles longs sont à noter : « Querelle de minarets à Montpellier » dans Libération du 5 décembre et « Un imam au double langage pris au piège de l’état d’urgence » dans Le Figaro du 9 décembre. Ces deux articles racontent deux épisodes différents de la vie de Mohamed Khattabi. Pour autant, ils illustrent, tous deux, de la difficulté de journalistes à rendre compte d’une opposition entre deux visions du monde.

Dans Libé, le récit d’un conflit

L’article de Libération présente un épisode antérieur à l’assignation de l’imam Khattabi : le conflit qui l’a opposé en 2014 et 2015 à l’imam Farid Darouf, qui avait été recruté pour le remplacer à la mosquée du quartier de la Paillade et qui a fini par jeter l’éponge. Il raconte « la guerre de deux imams incarnant des visions opposées de l’islam ». Il voit dans cette guerre « une histoire qui résume les affres de l’islam de France, tiraillé entre une conception républicaine et une forme plus traditionaliste ».

L’article fait le récit d’un conflit. D’un côté du ring, l’imam Khattabi, « habile orateur », « charismatique », porteur du projet d’une nouvelle mosquée, décrit par des témoins anonymes comme « très ouvert, très intègre, pas radical », se décrivant comme « un imam populaire qui n’a pas une langue de bois », mais aussi « soupçonné de dériver vers l’extrémisme » et jugé « trop tumultueux, trop affranchi et ingérable » par les responsables de la mosquée de la Paillade.

De l’autre côté du ring, l’imam Darouf, successeur de l’imam Khattabi à cette mosquée de la Paillade, au « discours pacificateur » et à la « ligne progressiste », appelé aussi l’imam des médias, l’imam de la préfecture et l’imam du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), imam qui est Charlie et qui manifeste le 11 janvier 2015, décrit par les mêmes témoins anonymes comme « ambitieux, arrogant », refusant un drapeau palestinien pendant la cérémonie de fin du ramadan en juillet 2014, en pleine guerre de Gaza, et qui, depuis, a démissionné et a déménagé en Alsace.

Un compte-rendu neutre, de l’indulgence pour le vainqueur

Pendant de longs mois, deux discours antagonistes s’adressent à la même communauté, l’imam Khattabi critiquant, sur Youtube, les prêches de l’imam Darouf. A croire les témoins anonymes cités par Libération, les fidèles auraient vite choisi : la mosquée de la Paillade se serait vidée et « chaque vendredi, Mohamed Khattabi voit ses inconditionnels se presser aux portes de sa salle de prière, un vaste hangar glacial ».

Libération rend compte du conflit en veillant à rester neutre et distant et à donner la parole aux deux camps, sans choisir entre l’imam populaire et l’imam républicain. Comme dit le titre, il s’agit uniquement d’une « querelle de minarets ». Dans ce conflit, il y a un gagnant et un perdant. A la fin de l’article, une fois que l’imam Darouf est sorti du paysage, Libération fait preuve d’indulgence pour le gagnant… qui se trouve, aujourd’hui, être victime d’une assignation à résidence.

L’article présente la contestation de l’assignation par l’imam et son avocat. Il s’achève sur une « pensée réconfortante » pour l’imam : le succès de sa collecte de fonds pour une nouvelle mosquée sous la signature « Je suis Khattabi ». Etonnamment, Libération relaie alors la défense de l’imam Khattabi, comme si l’assignation était abusive. Il ne dit rien des « prêches anti-occidentaux » qui motivent cette assignation alors même que plusieurs prêches sont publics et ont déjà été médiatisés, par exemple par 20 Minutes le 23 novembre. A ce stade, constatons seulement que ces silences sont surprenants.

Dans Le Figaro, le récit d’une victime de l’état d’urgence

L’article du Figaro est, lui, focalisé sur l’assignation à résidence de l’imam Khattabi. Il se lit comme la défense d’une victime de l’état d’urgence qui est soumise à « un bracelet électronique virtuel » et qui considère être la victime d’une vengeance, d’un « règlement de comptes politique ». L’imam et ses deux avocats sont abondamment cités. Face à eux, le préfet, la députée et une directrice juridique du Ministère de l’Intérieur n’ont presque jamais le dernier mot.

L’article du Figaro commence par poser un décor où l’Etat est sur la défensive. Après les perquisitions et assignations, ce sont « un vent de contestation et de nombreux recours devant les tribunaux », le malaise de fonctionnaires face à « des opérations pas toujours ciblées » et qui tapent à côté.

Dans ce décor, « la perquisition de la mosquée Aïcha, où prêchait l’imam Khattabi, […] n’a rien relevé de probant pour attester d’un lien avec la sphère djihadiste. Pas plus que celle de son domicile ». Suivent l’indignation des avocats (« un véritable déni de justice ») et le soutien des « fidèles [qui] parlent d’une décision ‘injuste’ vis-à-vis de cet homme qui ‘a toujours prôné un islam de paix et de fraternité’ ».

Condamnation de l’EI par l’imam aux "prêches anti-occidentaux"

Pourquoi l’imam Khattabi est-il assigné à résidence ? Le Figaro se tourne vers le Ministère de l’Intérieur qui invoque « des prêches anti-occidentaux, incitant au djihad et prônant l’usage de la violence ». Le Figaro cite quelques exemples que l’on retrouve dans d’autres médias, mais pas dans Libération. Il y est question de femmes inférieures aux hommes, de la volonté de supprimer l’Etat d’Israël et, dans le prêche du 13 novembre, jour des attentats à Paris, d’un soutien aux moudjahidins.

Le Figaro présente ensuite la défense de l’imam Khattabi qui rejette l’Etat Islamique (EI) et qui aurait été menacé par l’EI, suite à sa tentative d’empêcher l’un des jeunes de la commune voisine de Lunel d’aller en Syrie. Le journal cite l’imam : « tous ces Merah, Kouachi et Abdeslam sont des zéros, pas des héros ». Il s’agit pour lui de fous, de tueurs en série qui ont des problèmes psychiatriques. Un discours qui permet, au passage, de déresponsabiliser les tueurs et, a fortiori, la religion qu’ils revendiquent.

Un problème moral sans lien avec le terrorisme

Le Figaro attribue à l’imam Khattabi « une conception rigoriste de l’islam ». Il poursuit : « Au vu du dossier, les positions radicales de Khattabi porteraient moins sur le djihad que sur sa conception rigoriste de l’islam, sur le plan moral ». Il reprend l’argumentaire de l’avocat et de « spécialistes du salafisme » : pas d’amalgame « entre pratique ultraorthodoxe de l’islam et radicalisation violente », sous peine d’une « stigmatisation générale de la communauté musulmane ».

Nous sommes déjà à la fin de l’article et il n’y a plus le temps ou l’espace pour analyser l’argument qui, au passage, range tous les Musulmans dans l’ultraorthodoxie. Il n’y a pas davantage le temps ou l’espace pour analyser cette phrase du préfet : « [l’imam Khattabi] symbolise l’islam dont on ne veut pas dans ce pays ». La fin de l’article se lit avec ironie : à défaut d’un terroriste, la perquisition aura permis de débusquer un fraudeur aux prestations sociales et familiales.

L’opposition entre deux visions du monde

Au final, la lecture de ces deux articles laisse un sentiment très amer. Dans Libération, la majorité des fidèles rejette l’imam tourné vers la société française. Dans Le Figaro, l’imam apparaît comme une victime à qui l’on refuse le libre exercice de sa religion, fût-elle rigoriste et conservatrice.

Surtout, les deux articles semblent considérer qu’il s’agit de questions internes à l’islam. D’où la volonté de rendre compte avec équilibre et neutralité du conflit entre les deux imams. D’où une critique en creux, dans Le Figaro, des perquisitions et assignations qui « tapent à côté » parce qu’elles confondent radicalisme moral et radicalité violente.

En fait, les deux articles racontent l’opposition entre deux visions du monde, sans assumer que l’opposition se joue à ce niveau-là. Ils relaient tous les propos, sans prendre de distance, comme si tous les discours étaient acceptables et compatibles avec les principes et les lois de la République.

Les prêches qui valent à l’imam son assignation

En 2014, l’imam Khattabi déclarait dans un prêche : « Si [une femme] succombe à sa nature et refuse de reconnaître les droits de l’homme ou plutôt la supériorité de l’homme sur elle, elle devra aller [en enfer] ». De tels propos, cités notamment par 20 Minutes, ne sont pas compatibles avec le principe de l’égalité homme-femme. Ils nous concernent tous, que nous ayons ou non une religion.

Etonnamment, les journalistes de Libération et du Figaro – deux femmes – n’ont pas relevé ces propos, tout comme elles n’ont pas relevé les propos menaçants de l’imam Khattabi dans son prêche du 13 novembre : « Le musulman pour les Occidentaux, c’est un grand géant mais il est en train de dormir et il est malade. Ils ont peur que ce géant malade […] ne se réveille […] Qu’est ce qui arrivera ? Il reprendra sa place dans la sphère de la Terre, il reprendra son rôle, il va remettre les pendules à l’heure ». Qu’elle soit sous couvert de neutralité, d’équilibre, de justice ou de tolérance religieuse, leur indulgence pose problème.

Commentaires (1)

  • Bernard a écrit le 14/08/2016, 12:31
    Retrouvez sur le site de marianne.net un troisième article, le mien, qui complètera votre collection.
    Daniel Bernard
Votre commentaire a bien été enregistré et est en attente de validation.