Alain Juppé sur RTL. Une interview bienveillante, le décodage de son image, sa stratégie et ses risques - Mediapicking
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Alain Juppé sur RTL. Une interview bienveillante, le décodage de son image, sa stratégie et ses risques

Dernière actualisation : 16/12/2015, 21:14

Alain Juppé était l’invité d’Olivier Mazerolle sur RTL le 15 décembre, après avoir snobé la réunion de son parti la veille. Une interview pour faire entendre sa petite musique, lui qui fait la course en tête dans les sondages : 68% d’opinions positives et +5 points dans la livraison de décembre du baromètre IFOP.

Le Figaro a beau publié des sondages (voici celui du jour) pour montrer que François Hollande perdra en 2017 (c’est-à-dire arrivera 3ème au 1er tour), peu importe que le candidat de la droite soit Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy (cf. son sondage du 7 septembre, analysé ici). Rien n’y fait. A date, Alain Juppé est le chouchou des études d’opinion et le candidat préféré de nombreux journalistes.

L’interview sur RTL est l’occasion, pour Alain Juppé, de confirmer ses traits d’image. Elle est aussi l’occasion de décoder sa communication, d’avertir sur ses risques de rechute et de pointer du doigt la bienveillance du journaliste qui l’interviewe.

Sept traits d’image voulus par Alain Juppé

Alain Juppé est en train de conforter une image à la fois de sagesse et d’action. Pour cela, il se met en scène comme un homme épris de liberté, expérimenté, parlant vrai, ayant hauteur et méthode, qui fixe un cap et fait des propositions. Il sait que la sagesse lui est déjà acquise et que l’action pourrait lui manquer.

Liberté. Seul un homme libre peut parler et agir. Alain Juppé défend la liberté de parole dans son parti, dit sa liberté par rapport au futur programme de son parti, a « confiance dans l’esprit d’entreprise », donc dans la liberté d’entreprendre, veut « donner de la liberté à nos entreprises ». Liberté à tous les étages !

Expérience. Alain Juppé a un CV long comme le bras. Il peut donc recourir à l’argument d’autorité : sa propre expérience. A propos de la liberté de parole dans un parti, il rappelle : « j’ai été chef de parti ». Interrogé sur l’islam en France, il commence : « je suis maire d’une grande ville depuis 20 ans ».

Vérité. Alain Juppé est dans le registre : « on se dit les choses, sans se raconter d’histoire ». Son message-clé est : « les Français en ont marre des querelles partisanes et des partis traditionnels ». Il se démarque du discours officiel des partis après les régionales : « personne n’est en situation de faire cocorico ».

Hauteur. Alain Juppé vient sur RTL pour parler de l’essentiel (il le dit plusieurs fois), pas pour commenter l’actualité politicienne. Dès la 3ème question d’Olivier Mazerolle sur ce sujet, il tacle : « vous me permettrez, ce matin, de ne pas me consacrer entièrement aux problèmes internes de nos partis politiques ».

Méthode. Alain Juppé fait désormais de la politique en s’appuyant sur une méthode : écoute, proximité et modestie. « Essayons de reconquérir la confiance des Français en les écoutant, en essayant de les comprendre et en répondant à leurs attentes ». Il reprend, plus tard, ce triptyque : « écoutons, comprenons et répondons ». Il annonce qu’il participera, le lendemain, à une réunion publique.

Cap, objectif. Alain Juppé entend donner une perspective, donc un souffle et un élan permettant de surmonter les difficultés présentes, de s’extraire de la morosité et des bassesses politiciennes. Il dit sa confiance dans l’avenir : « mon objectif, c’est de dire aux Français, oui, nous pouvons retrouver le chemin d’un vivre-ensemble harmonieux ».

Propositions. Alain Juppé multiplie les propositions sur deux sujets : l’emploi après avoir qualifié le chômage de « cancer qui mine notre société » et les sujets régaliens qui sont le thème de son prochain livre-programme. Il énonce les propositions, les unes après les autres, pour montrer qu’il « en a beaucoup sous le pied », à l’instar de son principal rival et sans attendre le programme de son parti.

Cinq points qui caractérisent la communication d’Alain Juppé

On y voit clair sur l’image que veut donner Alain Juppé. Comment s’y prend-il pour l’atteindre ? Quelle est sa stratégie de communication ? On peut faire ressortir cinq points à partir de l’interview sur RTL.

Etre maître du tempo. Alain Juppé fait la course en tête dans l’opinion. Il doit gérer son avantage, sans commettre d’erreur jusqu’à la primaire de novembre 2016. Il a, pour cela, une feuille de route qui est ponctuée par les sorties de ses livres-programmes. Il y eut le livre sur l’éducation en septembre 2015. Il y aura le livre sur les missions régaliennes en janvier 2016. Il sait que son prochain livre amènera RTL et les autres radios à l’inviter à nouveau en janvier. En décembre, il se contente de faire du teasing.

Surfer sur des propositions générales. Alain Juppé ne veut pas prendre de risque. Il sait qu’une interview radio se prête mal à l’examen détaillé d’une proposition. Donc il enchaîne des propositions qui ont un sens très général, les unes derrière les autres, comme d’autres enfilent des perles. Sa hauteur et sa sagesse le protègent d’éventuelles questions sur des modalités pratiques.

Ne pas donner prise aux polémiques. Alain Juppé veut éviter tout ce qui pourrait polluer son image. Deux exemples. Après s’être démarqué du futur programme de son parti, il s’empresse de réfuter (« je n’ai pas dit cela ») quand Olivier Mazerolle lui demande si un programme ne sert à rien. Interrogé sur « le problème avec l’islam », il se garde de reprendre cette expression dans sa réponse.

Esquiver les questions qui fâchent. Une réponse à côté, une pirouette et une esquive valent toujours mieux qu’une parole qui dérape et qui pourrait réduire son avance dans les sondages. Quand Olivier Mazerolle lui demande s’il y a un problème Sarkozy, il dit les choses sans les dire : « je ne sais pas ; c’est aux Français de le dire ». Les Français voudraient des têtes nouvelles ? Il ose une pirouette : « le problème n’est pas de savoir s’il faut des têtes nouvelles, mais de savoir d’abord ce qu’il y a dans les têtes ».

Poser des alternatives biaisées. Alain Juppé a repris l’un des trucs préférés de Nicolas Sarkozy : enfermer son interlocuteur dans une alternative caricaturale, énoncer une solution repoussoir et emporter la mise avec sa solution. Il utile ce truc à propos de l’islam : d’un côté, la thèse d’une incompatibilité conduisant à la guerre civile, de l’autre côté, sa thèse qu’une interprétation de l’islam est compatible avec la République.

Attention à éviter les rechutes

Alain Juppé a un objectif d’image et une stratégie pour atteindre cet objectif. Il est en campagne pour la primaire de la droite et du centre depuis août 2014. Il a eu le temps de travailler sur ses points faibles, mais maintenant il a aussi le temps de rechuter. Il était ainsi meilleur dans ses interviews de fin août, début septembre 2015 que dans son interview du 15 décembre 2015 sur RTL.

Certes, Alain Juppé doit gérer son avance. Mais est-ce une raison suffisante pour donner des interviews sans surprise, où l’on s’ennuie et où il donne, lui aussi, l’impression de s’ennuyer ? Comment générer de l’envie, de l’appétence quand l’auditeur devine à l’avance ce que l’invité va répondre ou s’il va botter en touche ? Il manque à l’interview sur RTL ces touches de vie, ces anecdotes signifiantes, ces illustrations imagées qui font la force d’un propos. Elles étaient présentes dans les interviews de la fin de l’été (voir ici l’analyse d’une interview sur TF1). Elles ont, depuis, disparu.

N’y a-t-il personne dans l’entourage d’Alain Juppé pour lui dire que les interviews radio sont désormais filmées ? Alain Juppé souriait beaucoup à la fin de l’été. Il incarnait son concept d’identité heureuse. Sur RTL, il a souvent le visage fermé, les lèvres serrées, l’expression sérieuse et, au choix, la mine concentrée, renfrognée ou ennuyée. La fin de la vidéo est plutôt ratée : Alain Juppé regarde sur le côté, nous offre donc son profil, puis se met à se gratter l’oreille. Quand Olivier Mazerolle lui dit « vous allez maintenant répondre aux auditeurs de RTL », il lâche en regardant sur le côté et d’une voix glaciale : « avec plaisir ».

Ni relance, ni désaccord, bref de la bienveillance

Difficile de dire ce qu’il adviendra si Alain Juppé fait une rechute dans les travers de son image d’hier : un homme froid, distant et hautain. Difficile, aussi, de dire ce qu’il adviendra si les journalistes se mettent à l’interroger avec moins de bienveillance. Sur RTL, Olivier Mazerolle le relance uniquement sur les questions de partis, d’élections, de positionnement des uns par rapport aux autres… Il laisse filer les pirouettes. Il ne relance sur aucune proposition. Alain Juppé peut énoncer des généralités. C’est sans conséquence.

En matière d’emploi, nous ne saurons donc rien des réglementations qu’Alain Juppé veut supprimer pour donner de la liberté aux entreprises. Nous n’en saurons pas davantage sur les actions qu’il veut mener pour « changer la mentalité des administrations » à l’égard des PME. Idem sur les missions régaliennes ou sur l’islam. Quelle nouvelle politique pénale ? Quel nouveau contrôle des flux migratoires ? Quelles nouvelles actions pour « que les religions respectent strictement les lois de la République » ?

Olivier Mazerolle considère peut-être que le temps n’est pas venu de parler des propositions dans le détail (peut-être aussi qu’il n’aime pas parler des détails). Mais s’il est focalisé sur la vie politique et sur les élections régionales, pourquoi n’a-t-il pas réagi, en fin d’interview, quand Alain Juppé dit que son camp a progressé dans sa région ? Les chiffres disent le contraire : « [l’adjointe d’Alain Juppé, tête de liste de la droite et du centre] fait moins bien (en voix et pourcentage) qu’en 2010 à périmètre égal, avec les deux listes UMP et Modem réunies », écrit Le Monde.

Mais quand on est bienveillant au début et au milieu d’une interview, comment être dur à la fin de l’interview ?

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