Emballement sur la kippa: ce qu'il nous dit sur les médias, les politiques et notre société. - Mediapicking
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Emballement sur la kippa: ce qu'il nous dit sur les médias, les politiques et notre société.

Dernière actualisation : 24/10/2017, 15:10
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Kippa or not kippa. Telle est la question qui s’est imposée à la Une des médias, deux jours après l’attaque à la machette d’un enseignant juif par un ado de moins de 16 ans à Marseille. Les photos de la machette sont glaçantes. Les propos tenus par l’ado aux policiers le sont tout autant : « j’ai honte de ne pas l’avoir tué ». Pourtant, c’est la kippa, ce couvre-chef symbolisant l’humilité, désignant la victime comme juive et pouvant être remplacé par une casquette ou un chapeau, qui s’est retrouvée au centre de l’actualité.

Qu’est-ce que cet emballement sur la kippa nous dit sur les médias, sur de nombreux débats publics qui sont régulièrement montés en épingle, sur les acteurs politiques qui commentent ces débats et sur la société française qui en est le spectateur ?

La kippa, c’est nouveau, contrairement aux attaques antisémites.

L’emballement sur la kippa nous parle des médias. Il nous dit leur appétence pour l’inédit, la polémique, l’escalade et les « marronniers ». Il nous dit aussi leur capacité à opérer plusieurs glissements et recadrages dans le traitement d’une actualité.

Les médias aiment l’inédit. Les tentatives de meurtre, même à la machette et même par un ado, n’ont, hélas, rien d’inédit lorsqu’elles sont commises à l’encontre d’un Juif et au nom d’Allah. Deux tentatives de meurtre au couteau ont visé des Juifs à Marseille fin 2015. Elles ne sont pas restées plus de 24 heures dans les radars des médias nationaux.

L’attaque à la machette, commise un an, jour pour jour, après la manifestation historique du 11 janvier, a suscité de nombreuses condamnations, dont celle de Manuel Valls. Toutefois, elle aurait probablement connu le même sort médiatique que les deux attaques de fin 2015 si Zvi Ammar, Président du Consistoire de Marseille, n’avait pas lâché, le 12 janvier, quelque chose d’inédit : un appel à contrecœur qui lui fait « mal au ventre », un appel aux Juifs de sa ville à « enlever la kippa dans cette période trouble, jusqu’à des jours meilleurs ». Les chaînes d’info en continu tiennent une alerte pour les bandeaux qui défilent en bas de leurs écrans.

Une polémique qui oppose Paris et Marseille

Enlever la kippa ? Qu’en pense le Grand Rabbin de France ? Qu’en pensent les responsables des institutions juives nationales ? Ils ne sont pas d’accord. Bigre, on tient quelque chose ! Le 12 janvier au soir, les chaînes d’info mettent en scène cette opposition. Elles font réagir les uns aux propos des autres. L’inédit est amplifié par la polémique. On glisse d’un attentat contre un Juif à un débat entre Juifs.

« Nous ne devons céder à rien, nous continuerons à porter la kippa », affirme Haïm Korsia, Grand Rabbin de France. « Pas question qu’on se cache d’être juif », ajoute Joël Mergui, Président du Consistoire Central. Tous deux attribuent l’appel venu de Marseille à l’émotion. « Cela traduit une attitude défaitiste […] il faut résister, se battre, c’est notre honneur et notre dignité de Juifs », déclare Roger Cukierman, Président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF).

Escalade jusqu’à François Hollande

La situation est grave puisque des Juifs renoncent à une pratique qui est l’un de leurs marqueurs religieux, peut-être le marqueur le plus visible dans l’espace public. Les télévisions ouvrent leurs journaux sur la kippa. Les médias somment les politiques de prendre position pour le port ou le retrait de la kippa.

On glisse d’un débat entre Juifs à un débat sur les Juifs. C’est l’escalade. Celle-ci ira, le 13 janvier après-midi, jusqu’à François Hollande : « il est insupportable dans notre pays que des citoyens se voient inquiétés, agressés, frappés en raison de leurs choix religieux » et qu'ils « puissent en tirer la conclusion qu'il faudrait se cacher ». Le Grand Rabbin d’Israël et Benyamin Netanyahou s’exprimeront, eux aussi, sur ce sujet.

Le terrain connu et rassurant des marronniers

Alors, enlever ou porter la kippa ? Laurent Joffrin tranche dans l’édito de Libération le 14 janvier : « la réaction des représentants nationaux des juifs français, qui refusent d’abdiquer devant la menace, est la bonne », même s’il concède « comprendre les conseils de prudence prodigués par telle ou telle autorité juive locale ». Son journal titre en Une « Condamnés à se cacher ? » et consacre cinq pages à ce sujet.

Les Unes du Parisien et du Monde sont du même tonneau : « La grande inquiétude des Juifs » pour le premier, « Après l’agression de Marseille, le traumatisme des Français juifs » pour le second. Le débat sur les Juifs glisse vers un sujet déjà traité plusieurs fois par tous les médias. On est désormais dans un « marronnier » où chacun a ses repères et le sentiment du déjà-vu : les inquiétudes, angoisses et peurs des Français juifs. Le 17 janvier, France 2 diffuse ainsi un documentaire de 45 minutes : « Juifs de France : en plein doute ».

Une consigne de sécurité, qui réduit le Juif à la kippa

L’emballement sur la kippa nous dit la capacité des médias et de leurs interlocuteurs, chez les politiques et dans la société civile, à faire grossir des débats mal posés, superposant différentes grilles de lecture.

Le débat commence par un appel inédit aux Juifs marseillais à enlever la kippa. C’est une consigne de prudence et de sécurité. L’argumentaire du Président du Consistoire de Marseille se veut réaliste et religieux : « la vie est plus sacrée que tout autre critère », « malheureusement pour nous, on est ciblés : dès qu’on est identifiés, qu’on est juifs, on peut être agressés et même risquer la mort ». En résumé, la kippa fait le Juif. Sans kippa, un Juif serait plus difficile à identifier et serait donc moins susceptible d’être attaqué.

Un postulat biaisé, un débat mal posé, mais peu importe !

Le débat sur la kippa est construit sur ce postulat. Peu importe que celui-ci souffre d’au moins trois biais.

En premier lieu, la grande majorité des Français juifs sont peu pratiquants et portent la kippa uniquement lorsqu’ils sont à la synagogue. En deuxième lieu, beaucoup parmi les Juifs pratiquants ont, depuis longtemps, remplacé la kippa par un chapeau ou une casquette, comme le rappelle le journal israélien Haaretz dans un article intitulé : « Get Serious! Most French Jews Have Already Dropped Their Kippa ».

En troisième lieu, de nombreuses personnes sortant de lieux juifs (synagogue, école juive, restaurant casher…) ne portent ni kippa, ni autre couvre-chef et il suffit de cibler ces personnes pour commettre une attaque antisémite. Un débat focalisé sur la kippa est un débat mal posé. Il peut donc commencer.

A Paris, une grille de lecture politique

Le message de prudence qui vient de Marseille est présenté par les responsables parisiens d’institutions juives comme un message de soumission et de défaite. Ils lui opposent un message politique de fierté identitaire, de combat républicain contre l’islamisme et de participation des Français juifs à ce combat, comme si tous les Français juifs portaient la kippa dans l’espace public, comme si le port de la kippa dans l’espace public était un acte de résistance. Paris se place sur un autre terrain que Marseille. La superposition des grilles de lecture ajoute de nouveaux biais. Impossible de dire que l’un a raison et que l’autre a tort. La mayonnaise peut donc monter.

La gamme habituelle de réactions des politiques

L’emballement sur la kippa nous propose ensuite la gamme habituelle de réactions des politiques lorsqu’ils commentent une actualité dramatique. Leurs messages sur la kippa et sur les Français juifs oscillent entre l’émotion, le jugement moral, la pétition de principe, le déni de réalité et le classique « Yaka, Focon », comme si certains politiques découvraient les actes antisémites en France, comme s’il n’y avait pas déjà eu Mohamed Merah, l’HyperCacher et deux attaques similaires à Marseille fin 2015.

L’émotion et le jugement moral sont des classiques indémodables : « très grande tristesse » pour François Bayrou, « je suis profondément bouleversé » pour Jean-Marie Le Guen, « insupportable » pour François Hollande, « intolérable » pour Alain Juppé. La pétition de principe « ne mange pas de pain » : « je me battrai pour qu’un Juif puisse porter la kippa », dit Gérard Larcher ; « si les juifs à Marseille renoncent à porter leur kippa, la France ne sera plus vraiment la France », ajoute Xavier Bertrand.

Yaka, Focon et déni de réalité

Le Yaka, Focon a toujours ses adeptes : « il va falloir extirper absolument ces idées antisémites », juge Jean-Marie Le Guen ; « nous devons garantir, au quotidien, partout sur le territoire la liberté de chaque citoyen […] les Juifs de France doivent se sentir en sécurité », affirme Christiane Taubira, comme si un Etat avait les moyens de garantir la sécurité de tous et partout. Plus édifiants et consternants sont les dénis de réalité. La palme revient à François Bayrou : « les représentants du Consistoire de Marseille ont eu le sentiment qu'il y avait des risques […] mais la France c'est le fait de vivre ensemble, des femmes et des hommes, des communautés d'origines différentes qui sont réunies dans le même amour d'un idéal ».

Certains comprennent le message marseillais, mais donnent raison au message parisien. Najat Vallaud-Belkacem joue la donneuse de leçon, sans balayer devant la porte de son propre ministère, comme si l’agresseur de 16 ans n’avait aucun lien avec l’Education Nationale : « ce n'est sûrement pas le conseil que j'aurais donné à titre personnel ». D’autres se tiennent à distance d’un débat entre Juifs : « c’est à la communauté juive de prendre ses dispositions » pour Jean-Claude Gaudin, « pas de commentaire sur un débat qui est né au sein de la communauté juive » pour Stéphane Le Foll.

Apathie de la société civile sur la kippa

Après les politiques, la société civile. L’emballement sur la kippa nous dit le silence de nombreux acteurs publics et notre engagement qui se réduit à partager des dessins de Joann Sfar sur les réseaux sociaux.

La kippa, c’est une histoire juive qui concerne les Juifs, comme si les victimes d’actes antisémites devaient trouver, seules, le remède au mal qui les vise. C’est aussi un signe ostensible de religion, dans un pays où certains comprennent la laïcité comme l’effacement des religions dans l’espace public. C’est encore un signe concurrent pour les adeptes de la compétition entre victimes, toujours prompts à invoquer le « deux poids, deux mesures » et à dénoncer un traitement plus favorable pour les Juifs.

Alors, au-delà des déclarations des politiques et des dessins de Joann Sfar, peu d’actes ou de paroles de solidarité de la part d’artistes, d’intellectuels, d’autorités religieuses chrétiennes ou musulmanes, d’élus locaux de Marseille. Seul un appel à manifester au Vieux Port le 19 janvier par des associations juives et antiracistes. Joël Mergui, Président du Consistoire Central, s’essaie à détourner le slogan fondateur de SOS Racisme et lance « Touche pas à ma kippa ! ». Il oublie que « mon pote » était un autre que l’on voulait défendre en portant la petite main jaune, tandis « ma kippa » est un cri d’autodéfense.

Appétence de notre société pour les débats symboliques

Enfin, l’emballement sur la kippa nous dit, en creux, l’impuissance de notre société face au terrorisme et au fanatisme islamiste. D’un attentat contre un Juif, on a glissé vers un débat sur une pratique des Juifs. Ce débat est biaisé et mal posé. Il est également symbolique : chacun sait qu’un retrait de la kippa de l’espace public ne mettra pas fin aux actes antisémites, ni aux attentats des djihadistes qui ciblent les Juifs.

Le débat sur la kippa est symbolique pour la même raison que celui sur la déchéance de nationalité : notre société aime les débats qui n’ont aucune prise sur les menaces, elle préfère parler de la kippa plutôt que de la machette. Au moins, pendant ce temps-là, on ne parle pas de l’adolescent qui a voulu tuer, de sa radicalisation sur Internet, des carences qui ont empêché de voir et de bloquer cette radicalisation, de la difficulté de lutter contre le terrorisme « low-cost »…

Un symbole n’est pas une fin en soi.

Le débat est symbolique. On y participe aussi de façon symbolique. Le Grand Rabbin de France a appelé les supporters de l’Olympique de Marseille à revêtir un couvre-chef lors du match du 20 janvier. Plusieurs clubs de supporters ont répondu positivement. Tant mieux ! Ce sera la seule grande initiative de la société civile. Elle servira donc de marqueur pour la solidarité de la Nation avec les Français juifs. Si le stade est recouvert de couvre-chef, nous serons rassurés : ouf, le temps d’un match, nous sommes des gens bien. Mais si 70% des spectateurs ont la tête couverte, cela signifiera-t-il que la France compte 30% de salauds ?

Bien sûr, les symboles sont importants et on a, tous, besoin de symboles. Mais n’est-il pas urgent d’admettre qu’un symbole n’est pas une fin en soi ? Et qu’un débat symbolique et mal posé, ce sont aussi des palabres qui font rire les terroristes et leurs soutiens ?

Commentaires (1)

  • Paul a écrit le 22/01/2016, 09:18
    Pour la tentative de meurtre contre le rabbin de Marseille - quatre ans ans seulement, dont le quart en sursis. Encore un exemple d'une indulgence judicaire reprehensible quant il s'agit de crimes antijuifs. Comment croire a la sincérité d'une Ministre de la Justice qui n'exerce pas son autorité pour s'opposer a cet état de choses lamentables'
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