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Encore un effort, Madame Salamé

Dernière actualisation : 18/04/2016, 23:10

"Insolente" pour certains, applaudie par les autres, Léa Salamé fait parler d’elle après l’interview télévisée du Président de la République dans l’émission Dialogues Citoyens du jeudi 14 avril, unanimement considérée comme un échec. Jeudi soir, lors de son premier prime-time sur France 2, la journaliste avait interpellé le Président sur la position de la Chancelière allemande au regard des migrants. Celui-ci répond et c’est ensuite du tac au tac :

"Avec Madame Merkel, nous avons une position identique...

- Sur les migrants?

- Oui, identique...

- C'est une plaisanterie?"

Sur Twitter, le ton inhabituel de l’échange entre une journaliste et un Président de la République, et en particulier cette phrase, interpellent la communauté, au point de susciter deux jours plus tard une dépêche AFP dédiée.

Sans aucun doute, Léa Salamé a su imposer au Président de la République cet échange franc et pugnace qui la caractérise, en mettant le Chef de l’Etat face à ses contradictions (« les chiffres sont têtus »). Une attitude appréciée quand on sait que l’homme est un adepte de l’esquive.

La prestation de la journaliste s’est d’autant plus fait remarquer jeudi soir que le décalage fut abyssal entre ses questions nombreuses et percutantes d’une part, et la discrétion presque inerte d’autre part, du co-présentateur pourtant rompu à l’exercice, David Pujadas.

Si Léa Salamé s’est livrée à une prestation presque théâtrale, sa spontanéité face à la plus haute fonction de la République pose question. Sur le fond, c’est aussi son opinion affichée et assumée sur la déchéance de nationalité qualifiée de "tâche morale" et de débat "stérile", qui divise les commentateurs. A se demander où est passée la neutralité politique qu’elle défendait mordicus en décembre dernier.

"Je ne dois pas me planter sur le fond, je dois être précise, exigeante"

Léa Salamé occupe depuis la rentrée 2014 le devant de la scène télévisée et radio. Chroniqueuse pour l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché » et intervieweuse dans l’entretien de 7h50 sur France Inter, elle a imposé sur ces deux médias un style direct et « piquant » selon un dicton de René Char qu’elle affectionne : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. » Populaire à l’antenne et au petit écran, elle est même récompensée en novembre dernier par le Prix 2015 de la meilleure intervieweuse.

Fille du grand intellectuel et politologue Ghassan Salamé, ancien directeur de l’Ecole des Affaires internationales de Sciences Po Paris et ancien ministre de la culture du Liban de 2000 à 2003 dans le gouvernement de Rafiq Hariri, Léa Salamé a grandi dans un univers privilégié. Pourtant, la journaliste raconte avec humilité, dans ses nombreuses interviews, qu’elle est arrivée à ses fonctions actuelles par le travail, et le « karma ».

Dans un long portrait paru le 30 août 2014 dans le magazine M du Monde, Léa Salamé parle ainsi de mysticité pour expliquer qu’elle a été choisie pour remplacer Natacha Polony dans "On n'est pas couché" sur France 2 et pour l'entretien de 7 h 50 sur France Inter. Elle avoue dans le même temps travailler depuis dix ans sa position, ses sourires et ses gestes.

Ce sont les mêmes éléments de langage que Léa Salamé confie à Gala en août 2014, repris dans un article paru peu avant l’interview télévisée du jeudi 14 avril 2016 : « Je n’ai qu’une obsession, c’est mon travail. Je ne dois pas me planter sur le fond, je dois être précise, exigeante. Ce n’est pas très glamour, mais c’est ma vie, mon ADN. »

Jeudi soir, Léa Salamé a, une nouvelle fois, prouvé qu’elle avait travaillé ses sujets avec précision, ce qui lui a permis de mener l’échange jusqu’où bout. Alors comment un dérapage aurait-il été possible ? Petite phrase préparée ou réplique spontanée, « c’est une plaisanterie ? » semble en tout cas peu convenir à l’exercice.

Procureure de l’opinion publique

Dans sa communication personnelle, Léa Salamé se fait discrète et affiche rarement ses opinions, à l’image de son compte Twitter, dont la quasi-totalité du flux sont des retweets. A défaut d’intervenir dans le débat public, elle profite de ses interviews pour faire le buzz, parfois malgré elle, bousculer les idées et confronter la langue de bois, au point parfois d’éclipser l’invité, y compris lorsqu’il s’agit du Président de la République.

Incisive, parfois à lâcher un mot de trop, Léa Salamé dit tout haut ce que les autres pensent tout bas. Alors que la tendance est au rejet du politique, le style de Léa Salamé plaît à ceux qui se rêveraient en donneur de coups et de leçons au Président de la République. Si elle se positionne en Procureur de l’opinion, est-il pour autant souhaitable pousser le Président de la République dans ses retranchements au risque de le décrédibiliser ?

Quelle que soit la volonté de la journaliste, ses répliques ont en tout cas suscité la controverse parmi le milieu journalistique. Au point que sa prestation pourrait créer un précédent dans l’exercice de l’interview présidentielle. En effet, les nombreuses réactions qu’elle a suscitées cristallisent sans aucun doute le besoin de changement et de révolte face à la pratique de la communication politique, besoin incarné en partie par le mouvement #NuitDebout.

 

 

Alors que François Hollande subissait déjà avant l’interview une cote d’impopularité au plus bas, la faible audience de Dialogues Citoyens n’a fait que confirmer la faiblesse dans laquelle se trouvait le Président de la République jeudi soir. Face à lui, une journaliste au style de « sniper » laissant parfois échapper quelques mots de trop, était-ce un bon calcul ? Le choix du directeur de l’information de France 2, Michel Field, avait été contesté. Mais là n’est pas le débat. Oui, Léa Salamé avait toute sa place sur le plateau de France 2, mais pour une journaliste de ce rang, elle doit encore travailler l’art de la petite phrase, qui au-delà du buzz sur les réseaux sociaux, risquerait dangereusement d’alimenter le jeu de l’extrême droite en pleine campagne électorale.

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