Grèce versus Europe. Qui est le plus légitime ? Libération met en scène un débat qui a peu de sens. Pourquoi ? - Mediapicking
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Grèce versus Europe. Qui est le plus légitime ? Libération met en scène un débat qui a peu de sens. Pourquoi ?

Dernière actualisation : 23/10/2017, 10:41

Libération, dans son édition du 18 avril 2015, reprend à son compte la dialectique de Syriza opposant la Grèce à l’Union Européenne, le peuple grec à la Troïka, la légitimité des urnes grecques à la légitimité des traités européens. Il met en scène, sur huit pages, un débat intitulé « L’Europe, un déni de démocratie ? ».

Libération traite ce débat sur la Grèce, la démocratie et la souveraineté sous la forme d’une table ronde autour de cinq invités. En préambule, Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, répond « non » à la question posée. Maria Malagardis, journaliste de Libération pour la Grèce, répond « oui ». Et dans son édito, Laurent Joffrin plaide en faveur d’une aide de l’Europe à la Grèce au nom de l’intelligence.

Le débat sur le déni de démocratie qui serait fait à la Grèce par l’Europe est un débat qui a peu de sens. Il caresse dans le sens du poil tous ceux qui aiment taper sur l’Union Européenne. Il reflète plusieurs choix que j’ai souhaité mettre en lumière.

Le choix de débattre sans informer

Pas une ligne dans Libération sur les réformes proposées par Syriza en remplacement des réformes décidées par le précédent gouvernement grec. Pas davantage sur les enjeux financiers à court terme pour la Grèce et pour ses partenaires ou bailleurs de fonds, compte tenu des réformes qui sont proposées, refusées ou envisagées par les différents protagonistes. Et cela alors même que le risque d’un « Grexident » (sortie par accident de la Grèce de la zone euro ou de l’Union Européenne) est à un niveau élevé, que le Fonds Monétaire International tient sa réunion de printemps à Washington et que la Grèce est au centre des préoccupations des Ministres des Finances de la planète. Comment débattre avec consistance et rigueur lorsqu’on fait l’impasse sur les faits ?

Le choix de soutenir Syriza sans argument soutenant ce choix

Libération prend parti pour la Grèce, donc à l’instant présent, pour Syriza, même si Laurent Joffrin reconnait, dans son édito, que « dans le bras de fer qui les oppose au gouvernement grec, les responsables européens ont tous les arguments de principe pour eux ». Il fallait trouver un argument en faveur de Syriza. Libération en appelle à l’intelligence de l’Union Européenne, au motif que les politiques menées depuis le début de la crise grecque auraient été « stupidement brutales ». Il fait le choix de ne pas en appeler à l’intelligence d’Alexis Tsipras, de Syriza et du peuple grec. De toute façon, l’invocation de l’intelligence ne fait pas un argument. Il en est de même pour l’invective : Laurent Joffrin intitule son édito « Stupidité », impliquant qu’une Europe cessant d’aider la Grèce serait dépourvue d’intelligence et frappée de stupidité.

Libération prend parti pour la Grèce parce qu’il a pris parti, depuis longtemps, contre l’austérité. Il prend parti, mais ne dit rien de précis sur ce qu’il attend de l’Union Européenne : « Il est temps de faire les concessions nécessaires, en aidant le gouvernement Tsípras à s’aider lui-même ». Quelles sont ces concessions ? De quoi parle-t-on ici ? Nous n’en saurons rien.

Image - Libération du 18 avril 2015 - pages 2 et 3

Le choix de débattre d’un sujet qui a peu de sens

Libération met en scène un débat opposant la légitimité du vote grec à la légitimité de l’Union Européenne. Ce débat a peu de sens car, comme l’indique Jean Quatremer, « le Premier ministre grec, Aléxis Tsípras, négocie avec 18 gouvernements tout aussi démocratiques que le sien ». Le correspondant de Libération à Bruxelles ajoute avec raison : « chaque pays peut demander à quitter [l’Union Européenne]. […] Cela peut se faire très vite et, alors, le pays dégagé de ses engagements européens pourra mener la politique qu’il entend, même s’il lui sera impossible de s’exonérer des «lois» de l’économie ». Tout est dit en trois phrases. Mais alors, pourquoi choisir de débattre sur un sujet qui a peu de sens ? Pourquoi vouloir à tout prix s’approprier et endosser une dialectique biaisée ?

Le choix d’une table ronde biaisée et confuse

Libération met en scène son débat à travers une table ronde autour de cinq invités. Comme dans toute émission de plateau à la radio ou à la télévision, le choix des intervenants oriente forcément les échanges, les accords et les désaccords. Dans le cas présent, Libération a invité des personnes aux opinions convergentes, toutes situées à gauche ou à gauche de la gauche. Il a ainsi composé une table ronde sans représentant des institutions européennes, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Portugal ou de la Lettonie qui assure actuellement la présidente de l’Union.

Pendant la table ronde, Libération a choisi « refaire le match » de toute la crise grecque en mélangeant ce qui s’est passé hier avec ce qui se passe aujourd’hui, en oubliant les chemins parcourus et les obstacles levés. Il en ressort une grande confusion. Seul l’un des intervenants, Yves Bertoncini, essaie d’injecter de la chronologie : « la rupture incarnée par Syriza n’est pas seulement une rupture avec les quatre dernières années, avec «l’Europe FMI», mais une rupture avec la Grèce des quarante dernières années, la Grèce du Pasok [gauche] et de Nouvelle Démocratie [droite] ».

Le choix d’exonérer la Grèce et Syriza

La Grèce est en crise, Syriza alimente la crise. Mais ni la Grèce, ni Syriza ne semblent avoir une responsabilité dans la situation présente aux yeux de Libération et de ses invités.

Concernant la Grèce, Laurent Joffrin et Maria Malagardis évoquent respectivement « un Etat anarchique et largement corrompu », « le besoin de réformes », puis « des lenteurs bureaucratiques et la corruption de certains services publics ». Pendant la table ronde, Yves Bertoncini est le seul à prononcer les mots : « évasion fiscale, corruption, népotisme, clientélisme ».

Ni Libération, ni ses invités n’iront plus loin. Ils ne diront rien des actions engagées, prévues ou rejetées par Syriza pour lutter contre la fraude fiscale, pour mieux collecter l’impôt ou pour taxer plus équitablement toutes les composantes de la société grecque, dont l’église orthodoxe et les armateurs. Il est vrai qu’il n’y a pas lieu de s’encombrer de telles considérations quand on veut débattre en noir et blanc, quand on veut voir uniquement des victimes qui souffrent.

Quant à Syriza, il a gagné les élections sur des promesses impossibles à tenir, en se faisant le défenseur des aspirations de Grecs excédés : conserver l’Euro, rester dans l’Union Européenne, réduire encore la dette de la Grèce et augmenter le niveau de vie des Grecs. Certains pourraient voir des contradictions, des mensonges, de la naïveté ou de l’incompétence dans ce programme et dans la posture actuelle de Syriza. Les invités de Libération se refusent, eux, à exprimer la moindre critique à l’encontre de ce parti.

Le choix de redéfinir la démocratie au profit de Syriza et de la gauche de la gauche

Quand un débat a peu de sens ou est mal posé, on a rapidement tendance à prendre la tangente et à en redéfinir les termes. Quand on est convaincu que l’Europe commet un déni de démocratie à l’encontre de la Grèce, on a vite besoin d’énoncer une nouvelle définition de la démocratie et d’opposer le gouvernement élu en Grèce aux gouvernements élus dans les autres pays de l’Union Européenne.

C’est ce que fait Sandra Laugier, l’une des participantes à la table ronde de Libération. Je reproduis ici certains de ses propos : « la démocratie, c’est la capacité de chacun à juger de ce qui est bon pour lui, pour son pays », « je suis le plus à même de décider ce qui est bon pour moi et c’est ce qui compte ; la démocratie, c’est que chacun puisse dire cela », « Syriza a été élu démocratiquement, avec un mandat de ceux qui l’ont désigné, de façon conforme à des principes de fonctionnement démocratiques et avec une réelle représentativité », « ce qui manque très souvent dans le fonctionnement politique en Europe, particulièrement dans les institutions européennes, mais aussi dans beaucoup de gouvernements dont vous dites qu’ils sont régulièrement élus, c’est une véritable participation du peuple et une véritable représentativité »

Au final, il ressort l’abandon des notions de majorité, de collectivité, d’intérêt général et de contrat. Il ressort aussi l’idée que seuls les électeurs de Syriza et de la gauche de la gauche savent ce qui est bon pour eux et sont de véritables démocrates. Effrayant !

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