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Sursaut, retards et silences du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM)

Dernière actualisation : 18/01/2016, 15:39

De plus en plus de Musulmans s’interrogent publiquement sur la responsabilité de l’islam suite aux attentats du 13 novembre. Le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a, pour sa part, pris une initiative inédite : « un prêche unitaire et national qui n'a pas de mots assez durs pour contrecarrer, point par point, la vision théologique des salafistes djihadistes qui a conduit à «l'horreur et à la désolation» du vendredi 13 », écrit Le Figaro le 20 novembre dans un article intitulé « L’islam de France dénonce ‘l’idéologie de haine des criminels terroristes’ ». De nombreux médias ont salué cette initiative et donné la parole à Anouar Kbibech qui a remplacé, le 30 juin 2015, Dalil Boubakeur à la présidence du CFCM.

Toutefois, si le CFCM mérite d’être salué pour son texte du 20 novembre, il doit continuer et accélérer dans cette voie, tant sont grands les retards et silences qu’il a accumulés.

Jusqu’ici, condamnation, « eau de rose » et posture victimaire

Il est indéniable que le « texte du CFCM à prêcher dans les mosquées vendredi 20 novembre » est très différent de tout ce qui a été produit jusqu’ici par cette institution. Auparavant, il s’agissait de condamner les attentats, d’exprimer de la compassion pour les victimes et d’affirmer sa solidarité avec la communauté nationale, tout en considérant que les terroristes n’avaient rien à voir avec l’islam, que les Musulmans de France n’avaient donc rien de spécifique à faire et qu’ils étaient, eux-mêmes, victimes des attentats puisque victimes de stigmatisations et autres actes à leur encontre à la suite des attentats.

Ce que le CFCM écrivait suite aux attentats de janvier

Ainsi, en janvier, suite à l’attentat contre Charlie Hebdo, pas un mot dans le communiqué du 8 janvier sur le fait que les terroristes se revendiquent de l’islam. Le CFCM vise large : il condamne « avec la plus grande fermeté la violence et le terrorisme d’où qu’ils viennent ».

Le communiqué suivant, post-manifestation du 11 janvier, mentionne le djihadisme, mais enclenche le discours victimaire dont était coutumier Dalil Boubakeur (voir ici une analyse de l’une de ses dernières interviews en tant que président du CFCM) : « Pour les musulmans, le choc est grave, dans ce climat d’islamophobie, d’agressions de lieux de culte, consécutif aux horribles assassinats de la semaine écoulée ».

Le CFCM publiera, en janvier 2015, quatre autres communiqués qui se focaliseront, tous, sur la hausse des actes antimusulmans suite aux attentats. Dans son communiqué du 14 janvier, il invite les imams de France à rappeler dans leurs prêches du vendredi « les valeurs universelles et humanistes » du Coran. C’est, pour Le Figaro, « de l’eau de rose à côté du prêche proposé [le 20 novembre] dans les 2400 mosquées et lieux de culte ».

Un texte inédit, refusant le déni et assumant des responsabilités

Le 14 novembre, le communiqué du CFCM n’est pas très éloigné de la ligne de janvier 2015 : condamnation, compassion, appel à l’unité, prière pour la France. Le même texte aurait pu être signé par les autorités des autres religions. Il aurait suffi de remplacer musulman par catholique ou juif.

Depuis, il y a eu, de toute évidence, un sursaut. Le texte proposé par le CFCM pour le prêche du 20 novembre est inédit, tout comme les propos du président du CFCM : « nous refusons le déni et nous prenons notre part de responsabilité pour conduire les jeunes vers le vrai visage de l'islam ».

Le texte commence par faire face à la réalité : « ces actes criminels ont été perpétrés par des enfants de France qui se prévalent de l’islam et qui se considèrent comme des martyrs engagés dans une entreprise djihadiste ». Il accuse les radicaux d’avoir « instrumentalisé des Textes religieux après leur avoir attribué une interprétation dévoyée ».  Il démonte leur discours, notamment sur le djihad, en se référant à plusieurs textes religieux. Il considère que « sur le plan religieux, les Musulmans doivent assumer leur responsabilité ». Il se termine par un appel solennel proclamant « l’adhésion totale [des Musulmans de France] aux valeurs de la République ». Toutes ces évolutions méritent d’être soulignées et saluées.

Mais un texte refusé par de grandes mosquées

A la lecture du texte du CFCM, on se dit que les choses vont enfin dans le bon sens. A la lecture des articles de journaux, on réalise qu’on est loin du compte. A la lecture du site web du CFCM, on est dépité.

Le 14 novembre, le CFCM et six fédérations musulmanes publiaient « un appel à l’unité et au deuil national ».  Cet appel à l’unité est resté lettre morte. Dans l’article du Monde intitulé « La communauté musulmane mobilisée », il apparaît que les recteurs des grandes mosquées de Lyon et de Bordeaux n’ont pas voulu reprendre le texte du CFCM. Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon, a fait prêche à part et a diffusé son texte aux mosquées de sa région. Et c’est en vain que l’on cherchera le texte du CFCM sur le site de la grande mosquée de Paris. A date, ce texte n’y figure pas.

Les attentats n’y changent rien. Les organisations supposées fédérer et représenter les Musulmans de France continuent d’être incapables d’unité. Quand on est autant divisé, difficile de s’exprimer au nom des Musulmans de France et difficile d’être audible dans ses appels à l’unité nationale.

Enorme retard du CFCM sur Internet

Ce n’est pas tout. On s’attend à trouver le texte du CFCM sur le site web du CFCM. On va donc sur ce site et là, patatras, on découvre un site figé au 4 mars 2015, quand le CFCM a rencontré le président de l’UMP.

Dans le « site officiel de l’instance représentative du culte musulman en France », le président du CFCM est toujours Dalil Boubakeur, comme en atteste la capture d’écran qui illustre ce texte. Dans ce « site officiel », les attentats du 13 novembre n’ont pas eu lieu. Il est donc logique de ne pas y trouver le communiqué post-attentats du CFCM, ni le texte du CFCM pour le prêche du 20 novembre.

Le constat est cruel : le CFCM a déserté le terrain d’Internet et des réseaux sociaux, face à Daech qui est passé maître dans leur utilisation pour sa propagande et son recrutement. Sans aller jusqu’à Daech, comment le CFCM espère-t-il représenter l’islam de France et faire entendre la voix de cet islam s’il renonce à s’exprimer en son nom et s’il laisse le champ libre à toutes les organisations qui le composent ?

Des messages qui arrivent trop tard

Le CFCM est en retard sur Internet. Avec l’ensemble des organisations musulmanes, il est aussi en retard dans ses messages aux Français, ceux qui sont Musulmans et ceux qui ne le sont pas. Le texte du CFCM pour le prêche du 20 novembre 2015 arrive avec plus de trois ans de retard. Il aurait dû être diffusé début 2012, immédiatement après les crimes de Mohammed Merah.

Comme ce ne fut pas le cas, l’idéologie des tueurs a eu le temps de progresser dans les esprits d’une minorité de Français musulmans, tandis que l’inquiétude, la méfiance et la suspicion ont eu le temps de s’installer dans les esprits de nombreux Français non musulmans. Aujourd’hui, la société française est à cran sur les questions liées à l’islam. Quelles que soient ses qualités et ses avancées, un argumentaire religieux comme le texte du CFCM ne suffit plus pour fixer un cap aux Français musulmans et pour répondre aux inquiétudes des Français non musulmans. Il faut rattraper le temps perdu.

Islam de France : mettre fin aux retards et aux silences

Le CFCM a commencé à faire bouger les lignes. Il est maintenant dans un entre-deux. Il ne peut pas s’arrêter en chemin s’il veut véritablement construire un islam de France et faire la preuve de son utilité.

Le retard a un coût : la méfiance. Aujourd’hui, il va falloir montrer davantage « patte blanche » qu’il y a quelques années et que les autres religions. Il va falloir s’exprimer sur des sujets essentiels qui ne sont pas traités dans le texte du 20 novembre parce qu’il est impossible de tout dire dans un seul texte. Il va aussi falloir donner davantage de gages et de preuves car les mots ne suffisent plus. Le texte du 20 novembre condamne, explique et proclame au nom des Musulmans de France. Pour autant, il est silencieux sur le wahhabisme, les mouvances djihadistes du salafisme, l’appartenance à l’oumma ou communauté des croyants, les liens de plusieurs mosquées françaises avec des Etats et organisations favorables au djihadisme…  De même, il n’engage pas les Musulmans de France à agir, à lutter contre la radicalisation, à s’opposer aux pratiques contraires aux valeurs de la République…

Après avoir accumulé retards et silences, le CFCM va devoir bouger sur de nombreux sujets. Cela demande un sens aigu des défis et de l’unité, de la détermination et du courage. Cela demande aussi le soutien de la République et des Français, qu’ils soient ou non musulmans. Un échec serait une grande victoire pour les islamistes.

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