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#PolTech. Compte-rendu de la soirée du 12 mai sur numérique et com' politique

Dernière actualisation : 24/05/2016, 18:03

#Poltech était consacré, le 12 mai 2016, aux innovations liant numérique et communication politique, en cours de déploiement pour l'élection présidentielle de 2017. L'événement était organisé par l'agence Mots-Clés, avec le soutien de Mediapicking.

En introduction, Raphaël Haddad, fondateur de Mots-Clés a évoqué plusieurs interactions entre techniques et discours politiques. Il a d’abord rappelé que davantage que par tout autre moyen, c’est par la technique que la Com’ politique change. La technique atteint bien sûr aux outils, aux moyens de campagne électorale : on peut notamment penser au porte-à-porte connecté, et plus largement aux plateformes de gestion de communautés militantes.  

A travers trois exemples, Raphaël Haddad a montré comment les innovations changent aussi les manières de dire et de mettre en scène la politique. François Mitterrand qui en 1988 entrait dans ses meetings à 20 heures pour coïncider avec l’ouverture du journal télévisé. Plus récemment, l’arrivée en 2007 de Twitter en France. La contrainte technique de 140 signes a contribué à la banalisation de l’aphorisme, de la petite phrase, qui sur Twitter et ailleurs rythme désormais l’actualité politique.

Autre exemple : en 2012, les chaines d’info en continu s’imposent comme un arbitre de la campagne. Itélé et BFM TV prennent la décision de diffuser en intégralité certains discours de meeting de candidats. Dès lors, plus aucun discours de candidat n’excède 20 min, là où il pouvait parfois durer beaucoup plus longtemps. Les équipes de campagne, les « plumes » des candidats et les candidats eux-mêmes ont anticipé la contrainte médiatique et s’y sont conformés.

La technique atteint au discours en général. Le Larousse et le Robert en témoignent par l’intégration de nombre de nouveaux termes issus du numérique dans leurs éditions 2016,  comme Youtubeurs, Twittosphère, Geeker, Troll ou encore QRcode.

En 2017, on entend parler de « révolution big data », de « multi-devices » et de son pendant, le « marketing synchronisé » - qui consiste à envoyer le même message à un utilisateur sur l’ensemble de ses interfaces -, de nouveaux formats télévisés en préparation, de dispositif de mobilisation online à l’image de change.org, mais aussi d’un retour à l’échange « In Real life » avec Nuit Debout.

Quels sont ces nouveaux outils, ces nouveaux formats, ces nouvelles manières de faire campagne que nous verrons émerger en France dans les prochains mois ? Comment ces transformations changent-elles le discours politique ? Comment sont-elles anticipées par les responsables politiques et leurs entourages ? Comment les « technologues » bousculent-ils les organigrammes de campagne ?

Cinq invités ont pu répondre à ces questions, chacun sous le prisme de leur spécialité.

Jean-Luc Mano, Fondateur de ONLY Conseil.

Après une importante carrière de journaliste politique (chef du service politique de TF1, directeur de l’information de France 2, puis PDG de BFM), Jean-Luc Mano  est depuis plusieurs années un artisan de campagnes électorales, et accompagne nombre de personnalités politiques de premier plan. Fondateur de ONLY Conseil, cabinet de conseil en communication politique, institutionnelle et corporate, Jean-Luc Mano entend l’engouement autour du digital et du big data, mais appelle à la lucidité :  

« L'irruption du digital est en soit très prometteuse, mais ce n'est pas par nature un bienfait. J'ai de l’admiration et de l’engouement pour le digital, mais pas d'angélisme. […] La libération des datas est naturellement bénéfique, mais attention à ne pas en abuser, notamment au nom de la transparence. Je pense que la transparence absolue, c'est le fascisme. […]

Il y a une capacité nouvelle pour s’exprimer en politique, on l'a vu avec la pétition, qui prend un essor important avec change.org, et qui initie des mouvements importants comme Nuit Debout en réaction à la loi El-Khomri… mais le traditionnel reste déterminant pour le vote : au premier rang duquel, la télé. […]

Nous sommes en crise au sens marxiste du terme : on voit le moment où rien ne sera plus comme avant, mais on ne sait pas encore ce qui adviendra. Nous vivons une crise de la démocratie et il n’y a pas assez de sanctions démocratiques : le seul moment étant tout les 5 ans... […]

La dictature de l’instantanéité a sa forme de danger, car certains sujets exigent davantage que 140 signes en 140 secondes. Difficile de s’exprimer sur le nucléaire iranien sans prendre le temps de la réflexion, qui n’est pas toujours induit par le format digital ».

Eve Zuckerman, Directrice Adjointe de la campagne digitale d'Alain Juppé

Eve Zuckerman est spécialiste de Nation Builder. Elle a travaillé avec les équipes de campagne de Barack Obama, mais aussi à la réélection du maire de Chicago, Emmanuel Rahm. Elle est désormais Directrice adjointe de la campagne digitale pour les primaires d'Alain Juppé et nous a expliqué la place que devait prendre le digital dans une campagne électorale comme celle à laquelle elle participe en ce moment :

« L’outil [ici, Nation Builder] c’est la dernière étape. […] L'usage du digital passe d'un objectif de communication simple à un objectif de mobilisation. […] On veut utiliser chaque premier contact avec un électeur pour l'amener par la main au bureau de vote. […] Travailler dans le digital, c’est servir le même objectif que tout le monde, à savoir, mobiliser autour de la primaire ; il faut traduire ce besoin-là dans les codes du web, car celui qui gagne c'est celui qui arrive à mobiliser. […]

Nation Builder est un outil qui fait tout-en-un : créer et gérer une communauté pour individualiser la communication selon les militants. […] En effet, derrière la question du nombre de mails que nous pouvons avoir, il y a celle du nombre de personnes qui peuvent être mobilisées. L’important c’est d’avoir une base qualifiée, pas d’avoir des millions de mails. […]

Aux États-Unis, j'ai appris à ne pas uniquement dépendre du "pifomètre" dans le choix des tactiques digitales ; le digital permet de tester des hypothèses et d'apporter des améliorations progressives en fonction des retours statistiques (taux d'ouverture, taux de conversion...) qui sont souvent de meilleurs indicateurs de performance que "ça me plait / ça ne me plait pas ».

Jean-Daniel Lévy, Directeur, Harris Interactive

Jean-Daniel Levy, Directeur du département politique et opinion de l’institut de sondage Harris Interactive, a expliqué comment ces innovations étaient perçues par les citoyens en général :

« Il existe en France une crise de confiance généralisée envers ceux qui prennent la parole dans l'espace public : 41 % des Français se méfient de tous les responsables politiques sans exception. Les citoyens regardent ceux qui prennent la parole dans l'espace public à travers le prisme de la "sincérité" et de la "constance". […] Les outils digitaux sont utilisés par les politiques comme un gage de modernité, alors même que le public se demande systématiquement si ce qu’il voit est réel ou si c’est « de la Com’ », au sens péjoratif du terme. À titre d'exemple, Alain Juppé qui annonce sa candidature sur son blog c’est cohérent [car il a toujours communiqué à travers cet outil] donc pas de suspicion à son égard sur ce point. […] 

Nicolas Sarkozy écrit un livre quand il veut revenir en politique : il choisit la méthode la plus traditionnelle. On est en perpétuel jeu entre les techniques traditionnelles et modernes ; alors qu’on aurait pu penser que la vidéo - sans nier sa croissance actuelle - remplacerait les autres supports, on n'a jamais autant lu qu'aujourd’hui, y compris chez les jeunes ! […] On a aujourd’hui une bataille systématique pour arriver à démontrer la cohérence du politique au-delà même de la sincérité. Les personnes qui utilisent les réseaux sociaux sont davantage là pour se conforter que pour se confronter. […] Les politiques ne doivent pas oublier que les Français regardent toujours la télévision, c'est leur première source d'info, pas les réseaux sociaux ».​

Arthur Muller, Co-Fondateur de LiegeyMullerPons

Arthur Muller est le cofondateur de LiegeyMullerPons, présentée comme la première startup en stratégie électorale. Arthur Muller a rencontré ses associés durant la campagne de Barack Obama en 2008. En France, ils ont  travaillé pour François Hollande durant la présidentielle et travaillent désormais pour Emmanuel Macron.  Pour PolTech, il explique le porte-à-porte technologiquement augmenté qu’ils ont mis en place :

​« Nous ne croyons pas au 100 % numérique, mais à l’alliance du contact humain et des nouveaux outils technologiques comme le big data. […] Le porte-à-porte permet de faire changer d’avis 1 personne sur 14, en les faisant passer de l’abstention au vote, ou d’un parti à un autre. […] C'est quand il y a un échange réel avec les gens qu'il est possible de les faire changer d'avis, incomparablement plus que par les tracts ou les mailings. […] Les réseaux sociaux mobilisent les militants, mais ne les font pas changer d'avis. […]

Nous sommes capables grâce à l'Open Data de récupérer toutes les informations à l'échelle d'un quartier et de faire 80 % du travail des instituts de sondage, et pour moins cher, simplement en regardant les chiffres. […] En 2012, on s'était centré sur les abstentionnistes, aujourd'hui on est capables de les différencier des indécis. […] Est-ce que c'est juste de la Com ? Pour François Hollande, notre porte-à-porte a fait gagner 0,6 point à l'élection présidentielle. C’est notre promesse, quels que soient le parti et le contexte de vote. »

Nicolas Vanbremeersch, @versac, Fondateur de Spintank

Nicolas Vanbremeersch, est l’un des premiers blogueurs politiques de France, plus connu sous le nom de @versac. Président et fondateur de Spintank, l’une des principales agences de communication online, il a travaillé au service de nombreuses institutions politiques de premiers plans : l’Élysée, le S.I.G., et un grand nombre de ministères. Nicolas Vanbremeersch  pense qu’il faut privilégier le message à la technique et qu’aucun outil ne se substitue à l’intuition et l’offre politique :

​« La data est évidemment nécessaire, mais ça ne remplacera jamais le message politique. La technologie c’est l’extra-mile ; nos candidats en France ne font pas le début du boulot ! Ni cohérence, ni story. […] Le niveau de proposition des campagnes électorales est aujourd'hui très faible, tant et si bien que les choses intéressantes dans les campagnes de 2017 se situeront en dehors des campagnes en elles-mêmes. […]

Ma prédiction est que la surprise viendra du FN – comme d’habitude –, de la couverture médiaticoweb de la campagne, on verra émerger des nouveaux médias, très YouTube, très vidéo, très Snapchat, de nouvelles façons de traiter la campagne, de nouvelles figures politiques, la confirmation de nouvelles figures comme Frédéric Lordon [leader de Nuit Debout] mais pas des grands partis. […] La primaire de droite est pathétique de conformisme en termes de communication et d'offre. Le sujet aujourd'hui, c'est comment les candidats saisissent la culture digitale en France. […] Aux USA, les candidats gagnent des voix par l’intuition et non par la data : regardez Bernie Sanders et son Feel the Bern ou encore Trump qui devance tout le monde alors que ses équipes data sont nuls ! ».

Pour conclure:

De nouveaux outils émergent et modifient la façon de faire de la politique : pétition, page d’appel aux dons, recueil de données, mailing, porte-à-porte et big data… Mais ces outils ne se suffisent pas à eux-mêmes, il faut les maîtriser, les utiliser en cohérence avec son image, les associer avec les canaux plus traditionnels qui restent structurants pour la majorité des Français, et les exploiter autour du message politique. Maîtriser les nouvelles techniques pour servir un message faible est vain, voire contre-productif. Le politique doit utiliser les innovations, tout en composant avec les canaux traditionnels, l’intuition et le message.

À la rentrée, Mots-Clés vous donne rendez-vous pour une nouvelle soirée durant laquelle nous parlerons d’un tout autre sujet qui concerne au plus haut point les agences de com’ d’influence : comment pouvons-nous mesurer l’influence ?

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