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Chasser les fausses infos, le nouveau voeu pieux de Facebook et Google

Dernière actualisation : 25/10/2017, 11:35
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Quelques jours après les élections américaines, le New York Times s’est fait l’écho de débats internes au sein de Facebook : quelle a été la responsabilité du réseau social dans la victoire de Donald Trump ? Des dirigeants de l’entreprise s’interrogent face aux accusations d’avoir aidé à propager des fausses informations, en anglais « fake news ». L’exemple cité est un article annonçant le soutien du Pape François à Donald Trump, un article qui aurait été partagé près d’un million de fois sur Facebook.

Le 12 novembre, Mark Zuckerberg poste un texte sur sa page Facebook pour défendre son bébé. Au même moment, lorsqu’on recherche le résultat des votes aux Etats-Unis, Google affiche en deuxième position un site indiquant que Donald Trump a eu davantage de voix qu’Hillary Clinton. Le moteur de recherche reconnait une erreur et annonce, le 14 novembre, qu’il privera désormais les sites diffusant des fake news, des revenus publicitaires procurés par ses services. Facebook fait, dans la foulée, une annonce similaire.

Le New York Times publie un deuxième article intitulé « Google and Facebook take aim at fake news sites ». En France, Libération relaie cette histoire sous le titre « Trump : Facebook et Google en cure de désintox ? ». Le chapeau résume l’article : « craignant d’être accusés de censure, les géants du Web refusent de filtrer les contenus et se contentent de mesures limitées ».

Trump président. La faute aux fake news?

Cet intérêt soudain pour les fake news me laisse perplexe. Les fausses révélations et les informations mensongères seraient la cause de la victoire de Donald Trump. Trop facile !

Cela exonère d’introspections douloureuses sur l’impopularité de Hillary Clinton et sur sa campagne ratée. Cela rend illégitime l’élection de Donald Trump puisque celle-ci n’a été obtenue que par le mensonge. Cela revient aussi à dire que Facebook et Google n’ont pas suffisamment diffusé les « bonnes informations », celles qui étaient favorables à Hillary Clinton. Surtout, cela ouvre un débat dont on peut légitimement penser qu’il n’aurait pas eu lieu si l’information la plus diffusée pendant toute la campagne – les sondages annonçant la victoire de Hillary Clinton – n’avait pas, in fine, été invalidée par le scrutin.

Un exemple de fake news : le soutien du Pape à Trump.

On s’interroge sur la responsabilité des fake news et de ceux qui les diffusent, mais qu’est-ce qu’une fake news ? Le New York Times, puis Libération donnent pour exemple un article annonçant le soutien du Pape François à Donald Trump et dont je reproduis ici les premières lignes : « news outlets around the world are reporting on the news that Pope Francis has made the unprecedented decision to endorse a US presidential candidate. His statement in support of Donald Trump was released from the Vatican this evening ».

Arrêtons-nous quelques instants sur ce « soutien ». Quand on tape sur Google « Pope Francis endorses », le moteur de recherche suggère plusieurs options, cinq sur mon ordinateur : le Pape François soutiendrait, au choix, Trump, l’homosexualité, le mariage gay, la théorie de l’évolution et les puces RFID (sic). Allons sur « Trump ». L’histoire date de juillet 2016. Elle a pour origine un site parodique et satirique WTOE 5 News, qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Elle est démentie par de nombreux sites qui apparaissent en première page sur Google.

Un exemple peu convaincant sur le rôle des fake news

Cette histoire trouve son pendant sur le site KYPO 6 News qui annonce, lui, le soutien du Pape à Hillary Clinton et qui, lui aussi, n’est plus en ligne aujourd’hui. On retrouve le même format de fausses révélations et de démentis pour le soutien du Pape aux implants de puces RFID dans le corps humain. Voilà pourquoi Google suggère aussi les puces RFID quand on recherche ce que soutient le Pape.

Donc le soutien du Pape François à Donald Trump, partagé près d’un million de fois sur Facebook, serait typique de ces fake news responsables de la victoire du magnat de l’immobilier. C’est aller un peu vite en besogne dans un pays très majoritairement protestant. C’est faire un raccourci temporel car tant de choses se sont passées dans la campagne électorale américaine entre un « soutien » exprimé et démenti en juillet 2016 et le vote de début novembre 2016.

C’est aussi oublier l’échange rugueux de février 2016 où le Pape jugeait que ceux qui construisent des murs ne sont pas chrétiens et où Donald Trump, retournant aux racines antipapistes du protestantisme, jugeait honteux « qu’un responsable religieux mette en doute la foi d’une personne ». De façon plus générale, c’est attribuer aux fake news, présentes sur Internet depuis toujours, l’explication d’un événement tellement important qu’il s’est avéré indétectable par les sondages.

Pas de chasse aux fake news sans définition des fake news

Nous n’avons pas beaucoup avancé dans la définition des fake news. Pourtant, s’ils veulent agir contre elles, il faudra bien que Facebook et Google les définissent et adoptent des critères permettant de les identifier et de les séparer du reste des news.

A date, des critères existent uniquement pour dissocier les contenus licites des contenus illicites. Ces critères s’inscrivent, dans chaque pays, dans une histoire, dans une réglementation et dans une jurisprudence. Ce ne sont pas les mêmes de part et d’autre de l’Atlantique. Tous ceux qui se battent contre le racisme et l’antisémitisme le savent bien.

S’en prendre à tous les ragots et à tous les complots?

Alors, qu’est-ce qui caractérise une fake news ? Dans le cas du « soutien » de Pape François à Donald Trump, c’est facile. Il n’existe aucune trace d’un propos du Pape exprimant un tel soutien et le Vatican a démenti ce soutien. On peut aussi avoir l’impression que c’est facile dans le cas de thèses complotistes, par exemple sur le 11 septembre, de récits hallucinés d’invasions d’extra-terrestres et des infos choc (« Elvis n’est pas mort ») qui remplissent les tabloïds, comme The National Enquirer, en vente libre à la caisse des supermarchés américains depuis des décennies.

Google et Facebook ont-ils sérieusement l’intention de s’en prendre aux revenus publicitaires de tous ceux qui diffusent ces contenus sur Internet ? S’ils ne le font pas, ils seront accusés de pratiquer le « deux poids, deux mesures » et de censurer seulement certains contenus quand ils continuent d’en accepter d’autres qui sont tout autant problématiques. Et pourquoi s’en prendre uniquement aux contenus sur Internet – et pas à ceux en vente libre aux caisses des supermarchés ?

Vrai ou faux, noir ou blanc. Que faire de toutes les nuances de gris?

Poursuivons dans notre tentative de caractériser les fake news. Que faire des satires et des parodies ? Que faire, aussi, des informations qui, aujourd’hui, ne sont pas établies ou recoupées, mais qui, demain, s’avèreront être vraies ? Et que faire de celles qui, demain, s’avèreront fausses ? Que faire, encore, dans le cas d’une information écrite au conditionnel, par exemple une rumeur, ou d’une information fausse, mais réellement exprimée par quelqu’un ?

Illustrons notre propos avec un « fake » dont Le Monde s’est fait l’écho dans un article récent, intitulé « Drôle de guerre contre Macron » : le « Macron fake » qui voit dans la vie maritale de l’intéressé une façade dissimulant une homosexualité. Voici quatre énoncés. Lequel est une fake news ? Lequel pourrait enclencher une sanction publicitaire de Google ou de Facebook ? Macron n’est pas homosexuel. Macron serait homosexuel. Certains pensent que Macron est homosexuel. D’autres pensent qu’il n’est pas homosexuel. Aucun de ces énoncés n’est une fake news. Ça ne va pas être simple pour Facebook et Google.

Un vœu pieux pour se consoler de la victoire de Trump

D’autres cas de figure viennent vite à l’esprit. Par exemple, comment identifier les fake news dans le cas d’informations scientifiques et médicales qui font l’objet d’une controverse ?

Faut-il retenir uniquement les informations qui s’appuient sur des preuves scientifiques, qui sont publiées dans des revues sérieuses à comité de lecture ou qui sont validées par les agences publiques d’expertise ? Faut-il considérer comme des fake news tout ce qui sort de ce cadre ? Google et Facebook auraient alors à s’en prendre à tous les sites affirmant l’existence de dangers qui ne sont pas prouvés scientifiquement.

Nous pouvons nous arrêter ici. Il est clair, d’ores et déjà, que le projet de séparer les news des fake news se heurte vite à de grandes difficultés, ne serait-ce que de définition, et qu’il relève davantage d’un vœu pieux, voire d’une catharsis, en réponse au besoin d’expliquer ce que la quasi-totalité des médias et des sondages n’avaient pas vu venir : la victoire de Donald Trump.

Vers une régulation du vrai et du faux par Google et Facebook?

Au-delà du vœu pieux, ce qui interpelle, c’est le projet de deux entreprises privées, Google et Facebook, de s’approprier des pouvoirs de régulation, de police et de sanction financière sur la définition et l’identification de ce qui est vrai et de ce qui est faux.

Mark Zuckerberg semble très lucide sur ce point lorsqu’il écrit, le 12 novembre, sur sa page Facebook : « I believe we must be extremely cautious about becoming arbiters of truth ourselves ». Mais cela n’empêchera pas Facebook d’emboiter le pas à Google et de se lancer, lui aussi, dans la traque aux fake news.

A n’en pas douter, qu’elle soit menée par des humains, par des algorithmes ou par les deux conjointement, cette traque donnera lieu à des maladresses, à des erreurs, voire à des contentieux. Facebook a déjà fait l’expérience des problèmes causés par l’application stricte et sans nuance de ses propres règles, lorsqu’en septembre 2016, il a retiré la célèbre photo d’une fillette vietnamienne nue, fuyant un bombardement au napalm. De plus, nul ne croit, aujourd’hui, en la neutralité des algorithmes.

Communiquer dans le confort de sa bulle

Tout a commencé par un débat interne entre dirigeants de Facebook sur les fake news, mais le vrai sujet pour Facebook n’est-il pas en relation avec le projet-même du réseau social ? Mark Zuckerberg commence son texte du 12 novembre par cette phrase : « our goal is to give every person a voice ». Il conclut en affirmant une conviction : « in my experience, people are good ».

Donner une voix à chaque personne, c’est permettre à chacun de communiquer, partout et tout le temps, avec ses proches. C’est aussi permettre à chacun de poster ou de partager tout type de contenus… dont de fausses informations. C’est encore permettre à chacun d’entrer en relation avec de parfaits inconnus qui deviendront des amis parce qu’on pense les mêmes choses et parce qu’on aime les mêmes choses. La diffusion de fausses informations s’en trouve facilitée. Beaucoup a déjà été écrit sur ces phénomènes de bulles ou de chambres d’écho.

Priorité à la chasse aux contenus illicites sur Internet

A la différence de Mark Zuckerberg, on peut penser que les gens ne sont ni bons, ni mauvais, qu’ils ont, tous, des qualités et des défauts et que la bêtise et l’intelligence sont universellement partagées, de même que la bonté et la perversité, mais pas toujours avec le même dosage. A la différence de Facebook et de Google, on peut penser que la traque aux fake news est un projet illusoire et risqué et que la traque aux contenus illicites est un projet bien plus prioritaire.

Il est urgent que les Etats harmonisent leurs définitions des contenus illicites et que les grands acteurs de l’Internet s’attaquent aux sites et aux personnes qui postent ces contenus car l’expérience nous apprend que les gens ne sont ni bons, ni mauvais, mais que sous couvert d’anonymat, ils peuvent vite exprimer de la haine, des insultes et des menaces.

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