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Cash Investigation: 11 façons de (mal)traiter les grandes entreprises

Dernière actualisation : 24/10/2017, 15:32

"Allo, ici, Cash Investigation, nous réalisons une enquête sur votre secteur, Elise Lucet souhaite vous interviewer". Blanc, silence, blanc à nouveau, bafouille, prendre un message, raccrocher, respirer.

Cash Investigation, tout le monde connaît. Au menu : des clashs, de l’insolence, des révélations qui font froid dans le dos, des interviews qui malmènent les « puissants ». A l’écran, Elise Lucet, « journaliste préférée des Français et intervieweuse hors pair » (dixit le site de l’émission), qui enfile son costume de justicière. Cash Investigation nous invite, depuis 2012, à plonger dans « le monde merveilleux des affaires » (dixit Elise Lucet). L’émission a déjà reçu dix prix. Elle est souvent encensée par une presse qui semble jalouse de sa liberté et de sa pugnacité. Le 2 février, elle a démarré sa quatrième saison sur France 2 avec « Produits chimiques : nos enfants en danger ». Ce soir-là, elle a réuni 3,12 millions de téléspectateurs.

Comment Cash Investigation gère ses relations avec les entreprises

Oui, vous avez bien entendu, Cash Investigation enquête sur votre secteur. A partir de l’émission de février, qui traitait des pesticides, regardons comment Cash Investigation gère ses relations avec les entreprises.

Dans ce texte, onze constats sur les pratiques de Cash à l’encontre des grandes entreprises. Dans un texte à suivre, essayons de voir comment une entreprise contactée pour une nouvelle enquête pourrait gérer ses relations avec l’émission. J’y fais douze propositions. Il ne s’agit ni d’une recette de cuisine à appliquer à la lettre, ni d’une formule magique permettant de se sortir de toutes les situations.

Mon propos dans ces deux textes n’est pas de critiquer ou condamner les pratiques de Cash, et encore moins le journalisme d'investigation, mais de réfléchir à ce qui pourrait être fait compte tenu de ces pratiques, lorsqu’on est soi-même l’un de ces communicants que Cash entend écarter.

1- Construire sa propre légende.

Cash Investigation a besoin de « puissants » parés de vices et défauts – le plus souvent, de grandes entreprises internationales – pour pouvoir, par opposition, s’attribuer vertus et qualités. L’émission pose une grille de lecture, souvent grossière et caricaturale, qui présente l’entreprise comme le méchant dans l’ombre, prêt à tout pour augmenter ses profits, indifférent aux faibles, victimes, enfants, riverains...

Cette grille de lecture lui permet de justifier ses excès qui deviennent des actes de courage et de résistance. Elle lui permet aussi de construire sa propre légende en jouant sur des oppositions très classiques : David contre Goliath, la lumière contre l’opacité, la malice contre le mastodonte, l’ironie contre le sérieux, le parler cash contre la langue de bois, le sourire contre les visages fermés, tendus et stressés, au final le bien contre le mal, lorsque Satan est démasqué. Dans le portrait que Libération lui a consacré en avril 2015, Elise Lucet affirme : « je ne suis ni militante, ni Robin des Bois ». On a du mal à la croire. Sa légende dit le contraire.

2- Ecarter les communicants.

Cash Investigation veut avoir un accès direct aux dirigeants qui sont au sommet de la pyramide, ceux qui ont des comptes à rendre et des responsabilités à assumer. L’émission s’est construite dans l’opposition aux communicants qui filtrent les accès et qui produisent les éléments de langage. La communication est présentée comme un obstacle à l’information, au journalisme, à la vérité, donc au bien.

Dans son portrait dans Libération, Elise Lucet parle de son métier avant Cash : « les communicants décidaient à notre place ce que nous pouvions faire et ne pas faire ». Cash Investigation résiste, se rebelle, remporte des victoires, comme Astérix face aux Romains. Le communicant est présenté à la fois comme un censeur et un manipulateur. Il est le problème, il doit donc être écarté. Dans L’Obs Télé en décembre 2014, Elise Lucet lance ainsi : « pas question de se laisser dicter notre conduite par des communicants ». Si vous êtes communicant, vous voilà averti !

3- Mettre en scène les portes fermées et les refus d’interview

Cash Investigation entend faire la lumière sur des sujets tabous, sur des entreprises discrètes et protégées par l’omerta. Ces mots reviennent souvent dans le commentaire en voix off. L’émission dérange, elle se heurte à des individus ou à des organisations qui refusent de lui parler. Elle a besoin de ces refus pour valoriser les informations confidentielles qu’elle va révéler.

C’est pourquoi elle les met en scène, par exemple en enregistrant les propos embarrassés d’un attaché de presse, en filmant des successions de portes fermées ou en allant au-devant d’agents de sécurité qui vont lui barrer la route ou mettre leurs mains devant l’objectif de la caméra. Ces séquences sont des classiques, souvent présentés avec humour. On les retrouve, toutes, dans la dernière émission sur les pesticides.

4- Se mettre en scène dans des événements publics

Lorsqu’on lui ferme la porte au nez, Cash Investigation peut se livrer à son jeu favori qui est aussi sa signature, sa marque de fabrique : accéder aux dirigeants au nez et à la barbe des communicants et de la sécurité. Elle s’y livre en France et partout dans le monde. Cash Investigation adore prendre l’avion. L’option la plus facile, c’est interroger le dirigeant pendant un événement ouvert au public.

Une grande entreprise internationale ayant des sites et organisant des événements dans des dizaines de pays, Cash Investigation peut frapper, à l’improviste, n’importe où dans le monde.

Dans l’émission sur les pesticides, Cash Investigation achète ainsi des actions Bayer et s’invite à l’Assemblée Générale de l’entreprise à Cologne. L’équipe se disperse et tourne en caméra cachée. Après avoir patienté six heures, Elise Lucet est autorisée à poser sa question, mais uniquement en allemand. Elle avait prévu le coup et sort un traducteur de poche. Au final, peu importe la question et la réponse, seules comptent la mise en scène de l’intrusion et la joie, potache, d’avoir berné la sécurité.

5- Arriver à l’improviste dans des événements privés

Un événement public, c’est bien. Un événement privé, c’est mieux. Cash Investigation aime ces opérations commando où le journaliste est protégé par la caméra qui enregistre tout et qui est à l’affut du moindre geste agressif. C’est intrusif, inquisitorial, contraire à plusieurs libertés, mais c’est jouissif de pénétrer, caméra au poing, dans un lieu privé et de révéler ce qui s’y trame.

Dans l’émission sur les pesticides, Cash Investigation s’invite dans le salon privé d’un restaurant. L’émission met en scène un flagrant délit visant le PDG de Syngenta France et plusieurs parlementaires, même si la voix off indique que ce type de dîner, « du bon vieux lobbying », n’a rien d’illégal. Elise Lucet propose de donner un coup de main au service et offre aux convives de l’eau à l’atrazine. Une fois qu’elle est dans la place, impossible de la déloger. Seule option : faire de mauvaise fortune bon cœur.

6- Intercepter la cible en mouvement sur un parking, dans un couloir…

Encore plus acrobatique et plus sensationnelle que l’intrusion dans un dîner privé, l’interception de la cible à la sortie d’un bâtiment ou d’une salle de réunion. Cash Investigation aime bien ces interceptions qui créent de la surprise, du flottement… des failles dans la cuirasse.

Dans l’émission sur les pesticides, un dirigeant de Syngenta est cueilli à froid sur le parking, à la sortie de l’Assemblée Générale de l’entreprise. Ses collaborateurs font barrage de leurs corps pour lui permettre de s’esquiver. Il finit par accepter une interview. On se souviendra surtout de sa fuite et de la chorégraphie de ses collaborateurs. Une séquence similaire d’interception a lieu, plus tard, à la sortie d’un tribunal de Hawaï. Lorsque l’avocate veut mettre un terme à l’interview en reprenant son chemin, elle est suivie par le journaliste, lui-même suivi par le caméraman.

7- Retourner le langage et les images corporate contre leurs émetteurs

Cash Investigation n’aime pas les communicants. Elle n’aime pas davantage leurs productions : slogans, signatures, slides, messages, vidéos… Autant d’outils de propagande et de manipulation visant à cacher la vérité. Cash Investigation a transmis sa distance et son ironie aux téléspectateurs. L’émission n’a, donc, nul besoin de détourner, parodier ou critiquer les outils de communication des entreprises qui sont ses cibles. Il lui suffit de présenter leurs messages et leurs vidéos. Dans la dernière émission, la signature « Science for a better life » de Bayer et les vidéos glorifiant les bienfaits des pesticides ont ainsi pris un tout autre sens.

8- Accuser, puis demander une réaction à l’acte d’accusation

Cash Investigation parvient toujours à ses fins : dans chaque émission, elle réussit à interviewer plusieurs dirigeants des grandes entreprises qu’elle a désignées comme les « méchants ». Soit elle les cueille par surprise, dans un dîner privé ou sur un parking, soit ces dirigeants acceptent l’interview. Dans les deux cas, les interviews sont menées comme des interrogatoires. Elise Lucet commence par des accusations et installe d’emblée sa vision, par exemple dans le cas des pesticides : vos produits sont dangereux, nos enfants sont en danger. L’accusé est sommé de répondre à une personne qui n’accorde aucun crédit à sa défense et qui veut seulement lui faire dire qu’il est un menteur, un salaud, un empoisonneur…

Après la traque des dirigeants pour déjouer les communicants et la sécurité, les interviews pugnaces d’Elise Lucet sont la deuxième marque de fabrique de Cash Investigation. Des « puissants » sont malmenés. Bien fait ! Elise Lucet les fait payer pour tout le mal qu’ils ont fait et pour tout l’argent qu’ils ont gagné.

9- Sommer l’accusé de réagir à des documents officiels

Cash Investigation a toujours des munitions dans son sac lorsqu’elle interviewe un dirigeant d’entreprise : des rapports officiels, des études scientifiques ou, dans le cas de la dernière émission, les résultats des analyses de cheveux prélevés sur des enfants scolarisés près d’une zone d’épandage de pesticides.

Le plus souvent, Elise Lucet ne demande pas aux dirigeants interviewés leur position sur tel ou tel sujet. Elle leur met sous les yeux des documents qu’ils sont filmés en train de lire. Elle insiste sur le caractère sérieux ou officiel des documents qui mettent à mal le discours des personnes interviewées. Elle somme ces personnes de réagir, une fois qu’elle les a implicitement présentées comme des menteurs. La technique d’accusation est redoutable.

10- Interpeler l’homme ou la femme derrière la fonction

Au cours des interviews de dirigeants d’entreprise, Cash Investigation butte, souvent, sur un message préparé, formaté que la personne interviewée répète en boucle, en réponse à une seule et même question qui, elle-même, tourne en boucle. Pour sortir de ces face-à-face répétitifs et lassants, Cash Investigation cherche souvent à dissocier l’être humain, le père, la mère, le citoyen, de la fonction de dirigeant que celui-ci remplit. Les questions vont alors dans un registre plus émotionnel qui peut parfois déstabiliser. Il s’agit d’un truc classique en interview. Dans la grille de lecture manichéenne de Cash Investigation, ce truc dit implicitement à la personne interviewée qu’elle peut revenir dans le camp du bien, se racheter de ses mensonges et autres fautes, bref trouver la rédemption.

11- Harceler avec le sourire et un beau regard franc

Cash Investigation est en quête de vérité. Elise Lucet assume ses interviews punchy dans L’Obs Télé : « nous poussons les gens dans leurs retranchements parce que c'est nécessaire pour obtenir des réponses. Certes, ces situations dégagent un moment de tension. Mais cela est révélateur : ces interlocuteurs ne sont plus habitués à ce qu'un journaliste aille chercher l'information qu'ils ne veulent pas lui donner. »

En réalité, Cash Investigation est à l’affut de la moindre faute : agressivité, altercation, coupure par un communicant, intervention musclée, attaque à l’encontre d’Elise Lucet, comme lorsque Rachida Dati l’a traitée de « pauvre fille ». L’émission a besoin de ces images pour créer le buzz qui générera de l’audimat.

La frontière est étroite entre la ténacité, la pugnacité d’une part et l’acharnement, le harcèlement d’autre part. C’est une question de point de vue, selon que l’on joue le gentil ou le méchant dans l’émission. Quant aux téléspectateurs, Cash Investigation sait les mettre de son côté. Elle est donc vue comme tenace et pugnace. Il est vrai que l’émission dispose d’une arme redoutable lorsqu’elle harcèle un « puissant » : le sourire et le beau regard franc d’Elise Lucet. Comme celle-ci l’indique dans L’Obs Télé, « en tant que figure de l'antenne, et qui plus est en tant que femme, il est plus délicat de m'envoyer bouler », puis « il y a un moment de déstabilisation, probablement renforcé par un sourire engageant ».

 

Ces  mauvais traitements résument la façon dont Cash Investigation gère ses relations avec les grandes entreprises qu’elle entend dénoncer. Dans le deuxième épisode de cette mini-série, voyons, dans l'autre sens, comment une grande entreprise pourrait gérer ses relations avec Cash Investigation.

Commentaires (1)

  • moisson a écrit le 20/10/2016, 21:27
    un journalisme spectacle agressif et qui manque cruellement d'objectivité, le sensationnel et le détail l'emportant sur l'analyse de fond jusqu'à n'être plus crédible faute de vérifier réellement ses informations.
Votre commentaire a bien été enregistré et est en attente de validation.