La vie d’Emmanuel Macron est comme une série TV. Les saisons s’y suivent, portées par l’ascension du personnage principal. La saison ouverte début avril avec la création d’En Marche s’est refermée, le 30 août, avec une démission, suivie de 29 minutes d’interviews et de reportages au journal télévisé de TF1. La nouvelle saison devrait s’achever avec la réponse d’Emmanuel Macron sur sa candidature en 2017. La saison suivante devrait nous mener jusqu’à l’élection présidentielle de 2017.

De prime abord, Emmanuel Macron a bien réussi les derniers épisodes et les dernières minutes de la saison TV qui vient de se terminer. La mise en scène est rythmée et les messages minimalistes, mais transparaissent déjà plusieurs faiblesses pour la suite. En quittant le gouvernement pour les uns, le Titanic pour les autres, Emmanuel Macron a-t-il trahi ou franchi le Rubicon ? S’est-il libéré ou s’est-il affaibli ? Trop tôt pour répondre à ces questions. A date, son charme opère auprès de plusieurs journalistes bienveillants à son égard. Son interview publiée le 26 août dans Les Echos en est une flagrante illustration.

La séquence démission du mois d’août

Petit retour sur les épisodes précédents. En juillet, Emmanuel Macron avait réuni ses partisans à la Mutualité, s’était fait recadrer, une nouvelle fois, par François Hollande, puis avait disparu pendant la séquence des attentats. En août, il réussit à revenir, très vite et très fort. D’abord en Une de Paris-Match, marchant sur une plage, enlaçant son épouse en maillot une pièce (le grand oublié du débat sur le burkini). Un incontournable de la communication traditionnelle pour quelqu’un qui se veut novateur. A date, la meilleure vente de l’année pour le magazine.

Emmanuel Macron fait ensuite sa rentrée de ministre avant tous ses collègues, visite le Puy du Fou, donne une longue interview aux Echos, puis fait monter la pression. Le 29 août, son allié Gérard Collomb, maire de Lyon, l’invite à démissionner. Le lendemain, Les Echos révèlent que la démission est imminente (un retour d’ascenseur après l’interview plutôt vide du 26 août ?). Suit une séquence remarquablement exécutée : annonce à Bercy, tête-à-tête avec François Hollande, conférence de presse, puis JT de 20h sur TF1.

D’ici à décembre, une nouvelle offre pour la France

La séquence a trois objectifs : gérer le calendrier, nourrir le désir, puis, le 30 août, expliquer la démission. Emmanuel Macron remplit ces trois objectifs en disant très peu de choses, mais en consolidant son personnage ou sa marque autour de trois valeurs ou traits de caractère : la liberté, la responsabilité et l’engagement au service de l’intérêt général. Sur TF1, il ajoutera et assumera l’ambition.

Emmanuel Macron chercherait à dissuader François Hollande de se présenter à l’élection présidentielle. Quelle que soit son intention, il semble vouloir tenir trois mois, jusqu’à l’annonce, début décembre, par François Hollande de sa décision pour 2017. Il dit, pour cela, faire passer ses propositions avant le candidat qui les portera… et esquive ainsi les questions sur sa candidature à la présidentielle. Il entretient la flamme de son cœur de cible : les « progressistes » des deux camps, de gauche et de droite, qu’il oppose aux conservateurs. Il pose, surtout, deux jalons : la présentation, fin septembre, de son diagnostic sur la France, puis la présentation de son projet, de son plan de transformation de la France.

Occuper la scène en ne disant presque rien

Emmanuel Macron colle à ses messages minimalistes, veillant à ne pas en dire davantage. Il affirme ainsi aux Echos qu’« il faut nommer le mal, expliquer les choses, sinon on ne fait pas les bonnes réformes ». Mais sans dire les problèmes, ni les changements à apporter. Sur TF1, il pose la nécessité d’une vision partagée et d’un projet qui fera consensus. On n’en saura pas davantage. C’est le principe du teasing.

Voulant faire monter le désir, Emmanuel Macron ne peut, en fait, presque rien dire et se retrouve, dans Les Echos, à abuser de formules négatives : « je ne renoncerai à rien », repris comme titre de l’interview, puis « je ne renierai rien ». Tant pis si cela sonne un peu comme le « On ne recule plus » de Nicolas Sarkozy. Quelques jours plus tard, il démissionne et l’on comprend que le ministère de l’Economie, c’est moins que rien. A deux reprises, Emmanuel Macron pose des alternatives et en rejette les deux membres, sans dire ce qu’il pense, ni ce qu’il veut : « ce n'est ni ‘tout va bien’, ni ‘tout va mal’ », puis « je ne me retrouve ni dans un souverainisme coupé du monde, ni dans un ultralibéralisme béat ». Ces formules n’ont qu’un temps.

Des réponses plutôt maigres sur son bilan

Si l’on comprend le choix du minimalisme pour l’avenir, on ne le comprend pas pour les réponses aux questions des Echos sur son bilan ministériel. Elles aussi, sont presque vides. Au début, celui qui est encore ministre joue solo et présente uniquement son bulletin scolaire, au lieu du bilan économique du gouvernement. Il indique que sa loi « a déverrouillé des secteurs, levé des barrières, privilégié la concurrence plutôt que la rente ». Quels secteurs ? Quelles barrières ? Le propos est vague.

Emmanuel Macron n’avance que deux chiffres : quatre millions de voyageurs par car et « la création à venir de plus de 1.600 postes ou offices » de notaire. C’est maigre. Le nombre de voyageurs agrège des choux et des carottes, des trajets de proximité d’une dizaine de kilomètres et des trajets interurbains de plusieurs centaines de kilomètres. Quant aux notaires, il s’agit de créations à venir. On comprend, en creux, que le bilan n’est pas des plus glorieux.

Paradoxes et contradictions

Plus embarrassantes sont certaines réponses et contradictions car elles laissent entrevoir plusieurs faiblesses pour l’avenir. Emmanuel Macron commence par dire aux Echos que le « diagnostic des changements à opérer, mais aussi des opportunités à saisir […] a été mené en profondeur ». Dans la même interview, il dira un peu plus tard que « ce diagnostic […] doit être fait, et il doit être fait de manière libre et exigeante ». On s’y perd. A quoi sert donc le porte-à-porte ? Uniquement à communiquer ?

De même, Emmanuel Macron juge que « ce qui rend une parole audible, ce n’est pas celui qui la porte, c’est ce qu’elle contient », mais il enchaîne immédiatement avec son autopromotion : « ma voix est colorée de pragmatisme et de réalisme. Je ne suis pas sectaire ».

De façon plus générale, il y a un paradoxe à entendre Emmanuel Macron parler autant de lui, alors qu’il entend porter un projet collectif et fédérer tous les progressistes. Il en ressort une impression de solitude, impression déjà vue lorsqu’au printemps, il dut se défendre seul sur son ISF, sur son costume ou sous les jets d’œufs. Le 30 août sur TF1, il y eut un autre paradoxe : entendre Emmanuel Macron dire qu’il est de gauche, après l’avoir entendu, au printemps, récuser le clivage entre la droite et la gauche.

Les pièges de la nouvelle saison TV

Si les symptômes persistent, ce n’est pas de bon augure pour la suite. Justement, la suite, quelle sera-t-elle ? Aujourd’hui, Emmanuel Macron fait monter le désir. A partir de fin septembre, il va devoir délivrer.

Après avoir déclaré « j’ai touché du doigt les limites du système politique », il risque de décevoir, ne serait-ce que pour une raison formelle. Il va utiliser, pour présenter son diagnostic et son offre, les mêmes outils que les autres acteurs politiques : la même langue, les mêmes mots chargés des mêmes connotations, les mêmes médias à travers les mêmes formats et les mêmes journalistes…

En mettant la barre très haute, il crée, lui-même, les embuches qui vont rythmer sa prochaine saison TV, celle qui le mènera à l’annonce de sa décision pour l’élection de 2017. Le 26 août, cinq des journalistes les plus chevronnés et les plus talentueux des Echos ont eu la bienveillance de participer à une opération de communication sans le relancer, ni le pousser à la faute. Il n’est pas certain que cela continue. Il est certain, en revanche, qu’Emmanuel Macron est désormais une cible pour tous les autres acteurs politiques.

Un peu de politique-fiction

Cette nouvelle saison, comment va-t-elle se terminer ? Emmanuel Macron dit dans Les Echos ne jamais faire de politique-fiction. Je vais me risquer à en faire un peu, à sa place. En décembre, le paysage politique deviendra un peu plus clair. On saura qui est le candidat de la droite et si François Hollande est candidat.

Dans cette hypothèse, Emmanuel Macron qui dit si souvent prendre ses responsabilités, ne prendra pas celle de faire perdre son camp, la gauche. S’il est cohérent avec ses propos de ces derniers jours (faire primer les idées sur celui qui les portera), il se comportera en banquier d’affaires : il fera monter les enchères, verra lequel des candidats reprend le mieux ses propositions et négociera avec lui les conditions de son ralliement. Il est tout à fait possible qu’il fasse alors équipe avec un certain François Hollande.