Alain Juppé sur l'identité heureuse et sur l'islam. Ce qui pose problème dans son discours. - Mediapicking
IDENTITES
  • #AlainJuppé
  • #Identitéheureuse
  • #France
  • #Religion
  • #Islam
  • #CFCM

Alain Juppé sur l'identité heureuse et sur l'islam. Ce qui pose problème dans son discours.

Dernière actualisation : 25/10/2017, 15:18
Embed from Getty Images

Alain Juppé a l’identité heureuse. L’expression est désormais un marqueur du candidat. Elle est critiquée par Nicolas Sarkozy qui en nie l’existence. Elle est moquée par François Hollande qui juge que « notre identité n’est ni heureuse, ni malheureuse ». Plus on approche de la présidentielle, plus on va parler d’identités. Alors, l’identité heureuse, c’est quoi ?

Le plus simple, c’est d’aller voir ce qu’en dit Alain Juppé. Il en a récemment parlé dans une interview au Figaro le 27 août 2016 ainsi qu’à la fin de son dernier opus « De vous à moi. Le bonheur d’être français ». De ces deux textes, il ressort que l’identité heureuse est un slogan où chacun peut mettre ce qu’il veut et contribuer ainsi à la confusion ambiante. Il ressort surtout une difficulté à comprendre les identités et les religions ainsi qu’un déni des réalités avec plusieurs propos maladroits à l’encontre des Français musulmans. Difficile d’y trouver son bonheur !

Identité heureuse: entre pot-pourri et slogan

L’identité heureuse ? Alain Juppé veut se démarquer de ceux qui, dans son camp, voient partout des tensions identitaires et qui construisent leur offre politique en réponse.

L’intention est claire, le résultat beaucoup moins. Alain Juppé fait de l’identité heureuse une sorte de pot-pourri, mêlant le respect de la diversité, le refus du communautarisme, l’amour de la France et le partage d’un bien commun qu’il définit comme « notre Histoire », « des valeurs » et « la laïcité ». Des choses a priori balisées et sans grande nouveauté lorsqu’on les prend séparément : « retrouver le bonheur de vivre ensemble », « un pays riche et respectueux de sa diversité », « un nouveau patriotisme ».

Ce n’est pas tout. Alain Juppé parle aussi de l’identité heureuse comme son « objectif » : « je suis convaincu que cela correspond à une attente profonde de l’opinion ». Le pot-pourri se fait slogan.

Mots valises et identité au singulier

Sous l’expression « identité heureuse », Alain Juppé parle en fait de deux choses distinctes : d’une part, l’identité française, d’autre part, le rapport de chacun à son identité et aux enjeux identitaires qui font aujourd’hui débat en France. Et il parle de ces deux choses en multipliant les mots valises, ces mots où chacun met le sens qui lui va bien et qui sont la source de tant de malentendus : vivre ensemble, respect, diversité, bien commun, laïcité… Impossible d’être clair quand on brouille autant les pistes.

Autre problème. Alain Juppé parle de l’identité au singulier. Il semble considérer qu’il n’existe qu’une seule identité, l’identité nationale, et que tout le reste n’a pas rang d’identité : « nous ne sommes pas tous pareils, n'est-ce pas ? Nous avons des origines, des couleurs de peau, des croyances ou des religions différentes ». Alain Juppé voit ces « paramètres » comme la diversité de la France, mais pas comme des identités devant s’articuler les unes avec les autres car l’identité est toujours, pour lui, au singulier.

Aider les « nouveaux arrivants » à s’intégrer

A supposer que l’identité heureuse soit un objectif, Alain Juppé dit peu de choses sur la route à emprunter pour l’atteindre. Et il ne dit pas les mêmes choses dans son livre et dans l’interview au Figaro.

Dans son livre, Alain Juppé énonce uniquement une obligation pour les Français vis-à-vis des « nouveaux arrivants » : « il faut […] leur donner les clefs de compréhension du peuple au sein duquel ils veulent s’intégrer ». Il ne fixe aucune obligation aux « nouveaux arrivants » et fait l’hypothèse que ceux-ci veulent, tous, s’intégrer. Il dit, de plus, implicitement que les Français sont responsables des tensions identitaires puisqu’ils n’ont pas su partager leur « héritage multiséculaire ».

Quant à l’expression « nouveaux arrivants », elle sous-entend que toute personne née en France adhère de facto aux « racines judéo-chrétiennes de la France ». Et elle est offensante si elle désigne aussi des personnes nées en France, musulmanes ou de parents étrangers.

Identité, amour et fierté

Alain Juppé termine son livre avec quelques impératifs où il confond identité, amour et fierté : « il faut aimer la France », « il faut ressentir au fond de nous-mêmes la fierté d’être français »… Etre fier d’être français, aimer son identité française, cela suppose au préalable de savoir et de dire ce qu’est être français. La relation à son identité ne fait pas l’identité et ne peut pas se substituer à elle, sauf à pratiquer la fuite en avant dans la confusion.

Lorsqu’il affirme que « il faut aimer la France », Alain Juppé le dit comme une évidence qui serait déjà une réalité pour tout le monde. Il ne dit pas quoi faire pour arriver à cet amour de la France par tous les Français. Il ne dit pas davantage que faire de ceux qui ne partageraient pas son amour de la France. Le terrain est glissant. On n’est pas loin du slogan FN : « la France, tu l’aimes ou tu quittes ».

L’islam face à l’identité heureuse

L’interview au Figaro traite à la fois de l’identité heureuse et d’enjeux liés à l’islam. Alain Juppé s’adresse « à nos compatriotes musulmans : on note aujourd'hui dans [l’islam] un durcissement, un retour à ce que certains considèrent comme la rigueur originelle, qui peut aboutir à des comportements de prosélytisme proches de la provocation ». Durcissement, rigueur originelle… des synonymes de radicalisation. Mais Alain Juppé parle uniquement de « provocation », comme s’il n’y avait ni pression, ni violence, ni attentat.

L’interview donne néanmoins l’impression que l’islam est l’obstacle sur la route vers l’identité heureuse et qu’une fois des solutions trouvées pour l’islam de France, l’identité sera heureuse en France. Cette focalisation sur l’islam fait passer au second plan des questions-clés : par exemple, qu’est-ce qu’être français au 21ème siècle dans le monde et en Europe ? Elle donne lieu à des propos définitifs et maladroits qui, prononcés par d’autres, auraient fait hurler : « la loi de 1905, aucun imam ne la connaît ! ».

Une mauvaise grille de lecture

Au Figaro, Alain Juppé dessine une toute autre route vers « l’identité heureuse » que celle esquissée dans son livre : « la République doit engager un dialogue avec nos compatriotes musulmans pour fixer les règles du jeu dans un accord solennel sur les principes de la laïcité. […] Cet accord doit d'abord comprendre une charte de la laïcité. Il faut fixer dans un texte ses principes fondamentaux, à commencer par la séparation du temporel et du spirituel, car aucune religion ne peut prétendre imposer ses lois à la République ».

Sa grille de lecture des religions ne fonctionne pas. Ses propos font l’hypothèse qu’une religion peut être circonscrite à la seule spiritualité. Ils témoignent de l’incompréhension d’une religion comme l’islam qui demande la pratique de nombreux rites et qui entend régler la vie en société de ses fidèles. Ils se heurtent, de plus, au caractère absolu des règles religieuses, par opposition au caractère relatif des lois de la République. Ce que des hommes ont voté, d’autres hommes peuvent le défaire en votant l’inverse. Les règles religieuses se réclament, elles, de l’absolu divin.

Libertés et religions: contradiction et impasses

Alain Juppé aboutit à une contradiction quand il ajoute : « le corollaire, c'est que l'État reconnaît la liberté de pratiquer sa religion ». D’un côté, il entend séparer le temporel et le spirituel, de l’autre, il demande à l’Etat de garantir la liberté de pratiquer une religion, c’est-à-dire de pratiquer des rites et des règles qui régissent tant d’aspects de la vie quotidienne. On est bien loin, ici, du libre exercice des cultes, inscrit dans la loi de 1905, et du respect de toutes les croyances, inscrit dans la Constitution.

Alain Juppé entend « fixer les règles du jeu » concernant la laïcité. Sachant que la liberté religieuse est déjà inscrite dans la Loi, ne serait-il pas préférable de fixer à l’Etat la mission de garantir d’autres libertés, par exemple la liberté de ne pas avoir de religion, la liberté de changer de religion ou la liberté de critiquer les religions ? Il y a tant de libertés à garantir quand on parle de religion. Pourquoi toujours se limiter à celle de pratiquer ?

Sa solution: négocier avec l’islam de France

Reste la grande solution avancée par Alain Juppé dans sa route vers l’identité heureuse : « un accord global entre l’Etat et les représentants du culte musulman », « un accord solennel sur les principes de la laïcité ». Alain Juppé semble reprendre ici des propositions du philosophe Pierre Manent.

Qui dit accord, dit négociations, donnant-donnant, contreparties... Qu’est-ce qui serait négociable ? Qu’est-ce qui ne le serait pas ? La liberté des femmes de s’habiller comme elles l’entendent, voilées ou en mini-jupe, figurerait-elle dans cet accord ? Même question pour la liberté de se moquer des religions ?

Alain Juppé ne dit quasiment rien sur le contenu de cet accord. Il dit récuser l’expression « accommodements raisonnables », mais propose, dans la même réponse, un accommodement sur les menus dans les cantines scolaires. Il veut « apaiser complètement les choses, sans jeter inutilement de l’huile sur le feu ». Son propos annonce des renoncements, des choses qu’il faudra lâcher dans la négociation. Oui, mais quoi ?

Une solution riche en dénis et en angles morts

Qui dit accord, dit a minima deux parties pour le signer. Alain Juppé veut un accord, mais concède qu’il manque un interlocuteur. La réalité ne lui convient pas, alors il change de réalité. Il veut que le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) « soit vraiment représentatif des Musulmans de France, sans connexion avec des Etats étrangers ».

Alain Juppé semble oublier que les instances qui siègent aujourd’hui au CFCM sont principalement des associations liées aux pays d’origine des Français musulmans : Algérie, Maroc, Turquie, Afrique, Comores. Il semble même contester aux Français musulmans la possibilité d’être binationaux ou d’avoir des liens avec leurs pays d’origine. Il semble aussi considérer qu’un accord signé avec un CFCM rénové engagerait aussitôt tous les Français musulmans. Surtout, il n’indique pas ce qu’il propose pour les Français musulmans qui rejetteraient cet accord ou qui ne l’appliqueraient pas.

Au final, si l’identité heureuse apparaît vite comme un slogan pour la primaire et pour la présidentielle, il apparaît surtout que l’auteur du slogan peut vite s’égarer et se tromper lorsqu’il parle d’identité, de religion et notamment de l’islam. Tout ceci n’est pas de nature à nous rendre plus heureux.

Commentaires (0)

Votre commentaire a bien été enregistré et est en attente de validation.