Clinton pédophile dans une pizzeria. Avec les fake news, c'est no limit. Et c'est plus grave qu'il n'y paraît! - Mediapicking
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Clinton pédophile dans une pizzeria. Avec les fake news, c'est no limit. Et c'est plus grave qu'il n'y paraît!

Dernière actualisation : 25/10/2017, 12:29
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Le débat sur les fake news enfle aux Etats-Unis et en France. Les fake news ? Ces fausses infos diffusées sur Internet et qui auraient causé l’élection de Donald Trump. Des « infos » à l’origine d’un nouveau mot dans le dictionnaire : post-truth ou post-vérité. Mi-novembre, Google et Facebook annoncent des projets de chasse aux fake news. Début décembre, le débat se cristallise sur le PizzaGate, un fait divers montrant que les fake news peuvent causer des dégâts dans la vraie vie.

Le débat sur les fake news continue de m’interpeller. Dans un texte en novembre, j’indiquais en quoi les projets de Google et Facebook relevaient d’un vœu pieux méconnaissant la nature-même des réseaux sociaux, mais permettant de se consoler d’une victoire à la fois surprenante et contrariante. Les discours sur le PizzaGate dans de nombreux médias généralistes appellent, eux aussi, plusieurs remarques. Par simplicité, je me suis concentré sur les articles du NY Times.

Pédophilie et satanisme dans une pizzeria de Washington

Commençons par un rapide rappel des faits. Début novembre, la pizzeria Comet Ping Pong à Washington est accusée dans plusieurs sites et réseaux sociaux, dont Facebook et Twitter, d’être au cœur d’un réseau esclavagiste, pédophile et sataniste impliquant Hillary Clinton. Les accusations s’appuient sur les e-mails de John Podesta, directeur de campagne de la candidate démocrate, e-mails hackés et diffusés par WikiLeaks.

Le 4 décembre, un Américain de 28 ans, père de deux enfants, fait six heures de voiture pour aller à Washington enquêter sur Comet Ping Pong. « L’enquêteur » tire une rafale au fusil d’assaut dans la pizzeria, puis se rend après n’avoir trouvé aucune preuve de pédophilie. Personne n’est touché, mais les médias tiennent l’histoire prouvant que les fake news sont dangereuses et qu’il faut donc agir contre elles.

Après la fusillade, emballement des médias

Dans les médias américains, l’histoire commence avant les coups de feu, avec le harcèlement et les menaces dont sont victimes James Alefantis, le patron de la pizzeria, et ses 40 employés. Le 21 novembre, le NY Times publie ainsi un premier article dans sa rubrique Technologie, celle dévolue à Internet et aux réseaux sociaux : « Fake News Onslaught Targets Pizzeria as Nest of Child Trafficking ».

A partir des coups de feu, c’est l’emballement. Le 6 décembre, le PizzaGate est en une du NY Times avec un article intitulé : « In Washington Pizzeria Attack, Fake News Brought Real Guns ». L’affaire traverse l’Atlantique. Libération écrit ainsi : « PizzaGate : la rumeur complotiste débouche sur un coup de fusil ».

Le 10 décembre, un article passionnant du NY Times dissèque les thèses complotistes à l’œuvre dans le #PizzaGate. Les habitués de ces thèses y retrouveront des schémas classiques, les autres seront horrifiés par la capacité de certains esprits à distordre les faits pour les soumettre à leurs délires.

Un seul angle : les fake news

Les articles du NY Times ont pour angle les fake news et leur dissémination sur les réseaux sociaux. Voilà le seul intérêt de ce fait divers qui n’a fait aucune victime ! Voilà la cause des coups de feu dans la pizzeria ! Les Etats-Unis sont certes habitués aux fusillades dans des lieux publics, mais personne ne semble s’étonner qu’un individu veuille faire justice tout seul, en lieu et place de l’Etat, et qu’il commence son enquête par une rafale d’arme automatique. On n’est pas dans une histoire sur les armes à feu et sur leur contrôle.

Les articles s’intéressent peu à l’auteur des tirs, comme s’il était victime d’une épidémie contre laquelle nul ne peut lutter : les fake news. C’est un père de 28 ans qui s’est pris pour le shérif et qui a ouvert le feu, mais cela aurait pu être quelqu’un d’autre. Les fake news frappent à l’aveugle, de façon indifférenciée.

Deux absences qui en disent long

De même, les articles s’intéressent peu à deux autres acteurs de cette histoire. D’abord, ceux qui ont fabriqué les fake news sur le Comet Ping Pong, qui sont ici coupables de diffamation, mais qui, de toute façon, sont coupables puisqu’ils sont de la « alt-right », la droite alternative.

Ensuite, ceux qui ont pour mission de faire respecter la loi, qui ont été alertés par le Comet Ping Pong, mais qui semblent impuissants face au harcèlement qui frappe la pizzeria. Ces acteurs (la police locale, le FBI, les juges…) que le tireur court-circuite pour faire justice lui-même… ce qui, au passage, en dit long sur la défiance ambiante vis-à-vis des institutions lorsque les soupçons portent sur des puissants, ici les Clinton.

Le mirage d’un remède technologique

Les fake news n’auraient pas tant d’impact sans les réseaux sociaux. Google et Facebook ont donc décidé, en novembre, de leur faire la chasse. Les articles du NY Times sur le PizzaGate confirment toutes les limites de ce projet : la technologie et les géants de l’Internet n’ont pas de solution pour tous les problèmes.

Les auteurs de fake news sont mobiles et Internet compte tant de recoins d’où ils peuvent propager leurs mensonges. Si un réseau social leur est hostile, ils basculent sur un autre réseau, jusqu’à trouver un espace en adéquation avec leurs idées. En novembre, Twitter a fermé quelques comptes et la plate-forme de partage Reddit a effacé la communauté PizzaGate où se mijotaient les thèses les plus délirantes.

Même pas mal ! Non seulement la sphère alt-right a ses propres sites, à commencer par le désormais célèbre Breitbart, mais elle creuse son trou dans la plate-forme 4Chan et pourra bientôt prospérer sur Gab, une alternative à Facebook et Twitter créée en août 2016 et dont le slogan est « Free Speech for Everyone ». Les noms de ses sites sont en soi tout un programme : The New Nationalist, The Vigilant Citizen, True Pundit ou Ihavethetruth.com !

Inefficacité des démentis

Le NY Times rend compte du désarroi de James Alefantis, de ses employés ou de ses voisins dont les commerces auraient des logos pédophiles, si l’on croit les fabricants de fake news (voir ici l’article du NY Times sur ce sujet). Il endosse leurs histoires, leurs démentis, leurs réfutations des accusations portées contre eux, ainsi que leurs condamnations des fake news. Sans rien changer.

« It’s endless » dit, en novembre, le patron du Comet Ping Pong, lui dont le nom sonne en français comme « j’aime les enfants », selon les conspirationnistes. Après la fusillade, il déclare : « We should all condemn the efforts of certain people to spread malicious and utterly false accusations about Comet Ping Pong ». Mais c’est sans fin ! L’auteur de la fusillade déclare avoir constaté qu’il n’y avait pas d’enfant esclave dans la pizzeria. Il devient aussitôt un comédien payé pour faire diversion face aux accusations de pédophilie.

Changer de paradigme

Un constat s’impose : ça ne marche pas ! Les articles du NY Times et les propos qui y sont rapportés, produisent l’effet inverse à celui recherché : ils nourrissent les fake news. Est-ce vraiment une surprise ?

Une experte explique au NY Times : « The reason why it’s so hard to stop fake news is that the facts don’t change people’s minds ». Le fact-checking ne suffit pas. Il nous faut donc aller plus loin. A l’ère de la post-vérité, tous ceux qui croient que les faits sont têtus et qu’ils finissent toujours par s’imposer, vont devoir changer de paradigme sur deux points essentiels.

Ce qui fait la vérité d’un message

Premier point : ce ne sont pas les faits qui comptent, ce sont ceux qui les énoncent. Le vrai n’est plus une propriété du discours, mais un attribut de l’émetteur.

Dans le cas présent, la question n’est pas de savoir si la pizzeria a ou non un sous-sol où auraient lieu des activités pédophiles, mais de savoir qui dit que la pizzeria n’a pas de sous-sol. Quand James Alefantis, son entourage ou le NY Times disent qu’il n’y a ni sous-sol, ni pédophilie, ils incitent tout un pan de la population à penser ou à soupçonner le contraire. Le message est analysé comme vrai ou faux, en fonction de celui qui le porte.

Symétrie du vrai et du faux

La défiance est symétrique. Ceux qui font confiance au NY Times ne croient pas à ce qui est écrit dans Breitbart. Réciproquement, ceux qui soupçonnent, voire menacent le Comet Ping Pong croient que ce qui est faux, ce sont les informations colportées dans les médias généralistes.

Ils sont ainsi des dizaines à avoir relayé un tweet sur le PizzaGate disant cela… un tweet signé par un faux député d’une circonscription qui n’existe pas… un tweet écrit, en réalité, par un avocat plaidant la parodie, mais demandant une vraie enquête policière car « il y a des indices partout », selon cet avocat.

Face à une telle défiance, une chose est certaine : le patron du Comet Ping Pong ne sortira pas des soupçons et des menaces en multipliant les démentis dans des médias comme le NY Times. Une solution serait, pour lui, d’inviter des personnes faisant référence pour la « alt-right », à le rencontrer, à visiter sa pizzeria, à se faire leur propre opinion et à la communiquer à leurs fans.

Ce que devient le vrai dans la post-vérité

Deuxième point : est vrai ce qui confirme mes propres idées, est faux ce qui va contre mes idées. On peut être horrifié par cette définition, aux antipodes de la philosophie. Il n’en demeure pas moins qu’elle fonctionne en matière de fake news et qu’elle est caractéristique des phénomènes de bulle et de chambre d’écho… qui sont le propre des réseaux sociaux.

Ceux-ci peuvent toujours déclarer la guerre aux fake news. Il leur sera impossible d’aller contre le penchant naturel à voir comme un ami celui qui pense comme moi… puisqu’une grande partie de leurs activités repose sur ce penchant naturel. Le problème est que ce penchant a un corollaire quand je suis au sein de ma bulle : je vois comme un idiot, un traître ou un ennemi celui qui ne pense pas comme moi.

La demande d’un vrai débat, d’une vraie enquête

La définition du vrai a, elle aussi, un corollaire : il n’y a pas eu une vraie enquête ou un vrai débat tant que mes propres idées ne sont pas confirmées. Combien de fois n’avons-nous pas entendu sur tel ou tel sujet qu’il n’y a pas eu un vrai débat ? Pas besoin d’être un adepte des fake news pour user de cette rhétorique.

Dans le cas du PizzaGate, plusieurs adeptes des fake news ont répondu aux démentis en demandant la preuve qu’il n’y a pas eu de pédophilie au Comet Ping Pong. Dans son premier article du 21 novembre, le NY Times cite ce tweet : « I won’t stop tweeting about #PizzaGate until I know for a fact that there aren’t children in danger being covered up by the US government ».

La demande d’une preuve de non-existence

Dans le même registre, le Général Flynn, futur conseiller à la Sécurité Nationale et utilisateur compulsif de Tweeter comme son nouveau boss, a un fils qui est désormais la première victime du PizzaGate. Après la fusillade, le fils Flynn a tweeté : « Until #PizzaGate proven to be false, it'll remain a story. The left seems to forget #PodestaEmails and the many "coincidences" tied to it. »

Ces 140 signes où le fils Flynn endosse les fake news sur le Comet Ping Pong lui ont coûté son poste dans l’équipe de transition et dans la nouvelle administration de Donald Trump. On y retrouve cette même demande de preuve. Si l’on peut convaincre quelqu’un que quelque chose n’existe pas, il est tout simplement impossible de prouver une non-existence.

Opposition entre la haine et la liberté

Dernière remarque sur les fake news à travers le PizzaGate. La propriétaire d’un restaurant à côté du Comet Ping Pong déclare au NY Times : « This is not free speech. This is a hate crime ». Les fake news deviennent un nouvel enjeu du débat classique sur la liberté d’expression. Face au free speech, une nouvelle catégorie de discours est apparue dans l’espace public : le hate speech, qui a l’avantage de désigner en dix lettres tous les propos racistes, sexistes, homophobes, antisémites, anti-Musulmans…

Hate speech versus free speech. On n’est plus dans l’opposition entre le vrai et le faux des fake news. On voit ici que le véritable enjeu est de concilier la liberté d’expression avec un cadre moral et politique luttant contre la haine et tous ses avatars et fixant, pour cela, les frontières entre le licite et l’illicite.

S’attaquer aux fake news, faute de mieux

Mais alors, pourquoi circonscrire le hate speech aux discours de haine contre des groupes ou contre des individus pour leur appartenance à un groupe? Pourquoi ne pas y englober tous les discours de haine à l’encontre des individus et notamment les insultes, les menaces et les diffamations ? C’est tentant, mais cela poserait vite un problème : le nouveau Président des Etats-Unis est, lui-même, un récidiviste de l’insulte, de la menace et de la diffamation. Aujourd'hui, il n'est pas le mieux placé pour donner l'exemple.

Sous réserve que ce problème soit résolu, il faudrait, en fait, que les Etats – et non pas les géants de l’Internet –gagnent la confiance de leurs citoyens, qu’ils harmonisent leurs définitions des contenus illicites et qu’ils sanctionnent les auteurs de ces contenus. Trop compliqué ? Ouvrons alors la chasse aux fake news !

Mais il ne faudra pas s’étonner ensuite que les démentis, fact-checkings et autres réfutations n’opèrent pas dans un pan de plus en plus grand de la population, aux Etats-Unis comme en Europe.

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