Marine Le Pen était l’invitée de la matinale de Europe 1 le 13 mars 2015. Avant de répondre aux questions des auditeurs, elle était interviewée à 8h15 par Thomas Sotto. Cette interview m’a laissé sans voix sur la prestation de… Thomas Sotto, journaliste avenant et convivial qui tend de nombreuses perches à Marine Le Pen, quand il ne tend pas la joue pour qu’elle le batte. Illustration à travers quelques exemples.

La gentillesse peut être un handicap.

Thomas Sotto veut connaître l’opinion de Marine Le Pen sur des messages racistes, antisémites ou xénophobes qui ont été postés sur Internet par des candidats FN (0 min 55 sec). Pourquoi introduit-il sa question en donnant crédit au travail mené par Marine Le Pen (« depuis quatre ans, vous faîtes un travail important pour moderniser, rénover et dédiaboliser l’image du FN ») ? Et pourquoi demande-t-il à Marine Le Pen de le rassurer (« rassurez-nous, vous n’êtes pas en accord avec ces gens-là ? ») ?

Les messages postés sur Internet montrent l’écart entre le discours officiel de Marine Le Pen et le discours de nombreux militants FN qui écrivent ce qu’ils pensent, à l’état brut, sans filtre. Ils indiquent que la dédiabolisation du FN n’est qu’une couche de peinture bleue marine sur un socle brun. Ils indiquent aussi que le FN peine à trouver des candidats locaux et à vérifier le pedigree de ceux qu’il investit.

Thomas Sotto aurait pu orienter l’interview sur ces sujets. Il est vrai qu’il lui était difficile de le faire après avoir fait des amabilités à Marine Le Pen et après s’être enfermé, tout seul, dans un angle.

Qui ne dit mot, consent.

Thomas Sotto ne réagit pas lorsque Marine Le Pen l’interpelle et interpelle les auditeurs, qu’elle entonne l’un de ses refrains préférés – « Tous pourris » – à propos du PS et de l’UMP et qu’elle affirme que « le FN a un comportement irréprochable » (3 min 20 sec). Il aurait pu répondre que l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude vient d’être saisi concernant une vingtaine de collaborateurs parlementaires du FN. Il aurait pu aussi bloquer la manœuvre de Marine Le Pen en indiquant que les questions au PS et à l’UMP sont à poser aux dirigeants de ces deux partis et que la présente interview porte sur les propos de candidats FN. Il est vrai qu’un tel recadrage aurait amené Thomas Sotto à être moins avenant.

Toute erreur se paie cash.

Thomas Sotto veut connaître l’opinion de Marine Le Pen sur la réforme des collèges, au motif que les collèges relèvent de la compétence des départements (6 min 40 sec). Une fois que Marine Le Pen a dit tout le mal qu’elle pensait de cette réforme, il se laisse emporter et demande si les conseils généraux FN appliqueront la réforme. L’occasion est trop belle pour Marine Le Pen qui procède à un recadrage cinglant (7 min 20 sec). Elle a, en effet, beau jeu de rappeler qu’il ne faut pas tout mélanger et que les compétences des départements sont distincts des compétences de l’Etat. La leçon est cruelle pour Thomas Sotto.

Question trop longue, mauvaise relance, contre-attaque, but.

Thomas Sotto donne à Marine Le Pen, par ses questions trop longues, des solutions pour répondre facilement et sans se mettre en danger. Il pose une question essentielle : « à quoi cela sert-il de voter FN ? » (8 min), mais il l’accompagne d’une référence à « la Grèce qui est en train de se coucher devant l’Europe ». Marine Le Pen peut alors botter en touche et mettre les rieurs de son côté, en répondant : « c’est ça l’extrême gauche, on ne peut pas leur faire confiance » (8 min 15 sec).

Ensuite, l’interview s’emballe. C’est maintenant Marine Le Pen qui interroge Thomas Sotto. Sommé de dire pourquoi le FN en France connaîtrait le même sort que Syriza en Grèce, celui-ci répond maladroitement : « on voit bien qu’on ne peut pas résister face à l’Europe ». Ce que voit bien Marine Le Pen, c’est le cadeau que vient de lui faire Thomas Sotto. Elle se lance alors dans une grosse pirouette et affirme avec théâtralité : « nous sommes en Europe dans un système totalitaire » puisque « ce que veut le peuple n’a aucune importance ». Thomas Sotto ne réagit pas à cette énormité et poursuit sa liste de questions. Il est vrai qu’il a encore tendu la joue pour se faire battre.

Question trop longue (encore), erreur, colère, but.

Le même épisode se reproduit quelques instants plus tard, lorsque Thomas Sotto pose, à nouveau, une question trop longue (11 min 5 sec) et offre, à nouveau, à Marine Le Pen une solution facile dans son propos liminaire. L’interview porte maintenant sur le retour en France de deux Jihadistes français.

Thomas Sotto raconte l’histoire d’un juge des libertés et des détentions qui vient de remettre en liberté deux Jihadistes de retour de Syrie. Marine Le Pen s’engouffre dans cette histoire qui lui permet d’entonner son réquisitoire contre les juges et de s’en prendre à Thomas Sotto, comme s’il était l’auteur du jugement : « ce que vous êtes en train de dire n’a aucun sens ».

Thomas Sotto cherche à reprendre l’initiative en interrogeant Marine Le Pen sur sa proposition de ne pas laisser les Jihadistes revenir en France. Après s’être fait recadrer pour avoir oublié de dire que la proposition concerne les binationaux, Thomas Sotto offre à Marine Le Pen le bouquet final. Il lui demande plusieurs fois comment elle compte empêcher les Jihadistes binationaux de revenir en France. Il suffit à Marine Le Pen de jouer la colère et de répondre par une question : « sommes-nous à ce point démunis ? ».

Au final, Marine Le Pen fait son show et l’interviewer devient sparring partner, à force de poser des questions mal préparées et de confondre une interview politique avec une conversation matinale autour d’un café. Le FN est déjà très haut dans les sondages. Pourquoi lui offrir des interviews faciles ?