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Migrants morts en Méditerranée. Pourquoi Europe 1 a-t-il choisi d'inviter le Président du Congo et d'infliger à ses auditeurs une interview creuse et convenue ?

Dernière actualisation : 21/04/2015, 14:33

Jean-Pierre Elkabbach souhaitait faire entendre une voix de l’Afrique sur le naufrage d’un bateau et la mort de 800 migrants, ce week-end, en Méditerranée. Il a donc invité Denis Sassou-Nguesso, Président de la République du Congo, pour son interview matinale du 21 avril 2015. Vous n’avez pas compris le lien entre ces deux phrases ? Moi, non plus !

Le Congo est géographiquement très éloigné de la Méditerranée. Il ne figure pas parmi les principaux pays d’origine des migrants arrivés par mer en Italie au cours du 1er trimestre 2015 (infographie : Les Echos) : Gambie, Sénégal, Somalie, Syrie… Denis Sassou-Nguessou est loin d’avoir la réputation d’un humaniste et n’est pas connu pour sa sensibilité. Enfin, il n’est pas de passage à Paris et l’interview se fait par téléphone.

Alors, pourquoi l’avoir choisi pour parler, sur Europe 1, au nom de l’Afrique de la mort de 800 migrants ? L’interview de Jean-Pierre Elkabbach n’apporte aucune réponse à cette question. Elle est creuse, molle, convenue et probablement négociée.

Des questions creuses appellent des réponses creuses

Pendant toute l’interview, Denis Sassou-Nguesso a un seul message : « il faut traiter le dossier libyen ». Pour le reste, Denis Sassou-Nguesso gère, de façon peinarde, les questions très faciles de Jean-Pierre Elkabbach qui, pour l’essentiel, incluaient leurs propres éléments de réponse.

Il a ainsi pu édifier les auditeurs de Europe 1 en déclarant par exemple : « il s’agit d’une tragédie avec plus de 1.000 Africains au fond de la mer en deux jours ; le silence n’est plus possible ; je proposerai même de contacter le président en exercice de l’Union Africaine parce qu’il s’agit là d’un dossier important » (0 min 30), « il ne peut pas y avoir de solution aux problèmes africains sans les Africains » (4 min 35), « l’Europe devrait, à mon avis, soutenir l’Afrique dans ses efforts de développement » (6 min 40).

On se pince même à certains propos de Denis Sassou-Nguessou, connu pour la dureté de son régime au Congo, et à l’absence de réaction de Jean-Pierre Elkabbach : « des mesures devraient être prises pour que des migrants – parce qu’il y en aura toujours – aient un traitement humain » (4 min 10).

Quand Jean-Pierre Elkabbach oublie de relancer son invité

L’interview est molle et convenue car Jean-Pierre Elkabbach a choisi de ne pas relancer son invité.

Denis Sassou-Nguessou dit, à plusieurs reprises, vouloir traiter le dossier libyen. Jean-Pierre Elkabbach ne lui demande à aucun moment ce qu’il entend par « traiter le dossier libyen », ce qu’il propose de faire, ce qu’il est prêt à faire. Interrogé sur les actions ciblées qui pourraient être menées contre les passeurs et leurs chefs (3 min 20), Denis Sassou-Nguessou répond que « des actions ciblées sont possibles » et que « on ne va pas parler de techniques au téléphone ». On entend alors un rire au téléphone et on se demande ce qu’il fallait comprendre derrière le mot « techniques ».

Jean-Pierre Elkabbach se contente de demander si Denis Sassou-Nguessou va proposer un sommet des chefs d’Etats africains (4 min 50). Il ne demande pas quelles sont les propositions de Denis Sassou-Nguesso pour ce sommet. Quand il se rapproche du Congo et qu’il en vient à Boko Haram, Jean-Pierre Elkabbach écoute Denis Sassou-Nguessou parler d’une « menace grave » et de la « mise en place d’une force multinationale par l’Union Africaine ». Il ne lui demande pas pourquoi le Congo ne participe pas à cette force de l’Union Africaine.

Quand Jean-Pierre Elkabbach oublie les sujets chauds de son invité

Au-delà de la mollesse de l’interview, ce qui frappe, ce sont tous les sujets sur lesquels Jean-Pierre Elkabbach aurait pu interroger Denis Sassou-Nguesso et sur lesquels il ne l’interroge pas. Pourtant, Denis Sassou-Nguesso n’est pas un invité régulier de Europe 1 et Jean-Pierre Elkabbach aborde avec lui d’autres sujets que la mort des 800 migrants en Méditerranée, par exemple le plan de Jean-Louis Borloo pour l’électrification de l’Afrique (6 min 10).

Alors, pourquoi ne pas interroger Denis Sassou-Nguesso sur sa mission de médiation dans la crise en Centrafrique où l’armée française est engagée ? Pourquoi ne pas l’interroger sur les élections en 2016 au Congo, sachant que la Constitution l’empêche, pour l’instant, de briguer un mandat supplémentaire (cf. Mediapart le 17 avril 2015 : Au Congo, Denis Sassou-Nguesso est obsédé par sa survie) ? Et pourquoi ne pas l’interroger sur l’affaire en cours, à Paris, des biens mal acquis ?

Tout ceci nous ramène à notre première question : pourquoi cette interview de Denis Sassou-Nguesso ? N’y avait-il aucun autre représentant de l’Afrique pour parler du drame des migrants en Méditerranée ?

Commentaires (3)

  • Africa a écrit le 22/04/2015, 17:22
    Article très intéressant

    http://www.conference-constitutionsafricaines.com
  • Louézo a écrit le 22/04/2015, 17:22
    Bravo. Je n'ai même plus eu besoin de suivre l'interview ; tant vous l'avez bien analysée. En fait le tyran congolais est un piètre orateur. Voilà qui confirme que pour ne l'avoir pas "démonté" El Kabbach a eu la barbe copieusement mouillée. Comment faire confiance aux médias s'ils construisent leurs informations sur la complaisance '
  • Joet Malama a écrit le 27/04/2015, 09:18
    El Kabbach, nous connaissons bien notre tyran, ses malettes sont toujours pleines, même si sa population manque de tout : Eau, életricité accentuées aujourd'hui par la corruption et la gabégie. Votre attitude devant le tyran est une vraie injure au peuple congolais. Malgré le grands nombre d'hommes politiques de renom en Afrique, Tu n'as vu que Sassou, ça pue la corruption et c'est très dégradant pour ta personne. Tu as certes eu l'argent, mais tu as perdu plus : Ton image et l'image de ton media.
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