Michel-Edouard Leclerc contre les entreprises agroalimentaires sur RTL : la meilleure défense, c'est l'attaque. Mais pourquoi le laisser mener l'interview ? - Mediapicking
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Michel-Edouard Leclerc contre les entreprises agroalimentaires sur RTL : la meilleure défense, c'est l'attaque. Mais pourquoi le laisser mener l'interview ?

Dernière actualisation : 05/05/2015, 21:03

L’Association Nationale des Industries Agroalimentaires (ANIA) et 29 autres organisations représentatives du secteur ont publié, le 27 avril, une lettre ouverte visant la grande distribution, intitulée « la guerre des prix détruit l’avenir de l’industrie agroalimentaire ».

Jean-Michel Aphatie a invité Michel-Edouard Leclerc, le 27 avril, pour réagir sur RTL à cette lettre ouverte. La meilleure défense étant souvent l’attaque, Michel-Edouard Leclerc a eu pour stratégie, tout au long de l’interview, de taper sur ceux qui l’accusent, de se présenter comme le « gentil » et de désigner le véritable « méchant » : les gros industriels de l’agroalimentaire. Difficile, sur des sujets compliqués, de contrer son flot de paroles, son assurance, son expertise à la fois économique et médiatique !

Faut-il, pour autant, renoncer à mener l’interview et laisser l’invité faire son show ? Quand on invite quelqu’un d’aussi talentueux que Michel-Edouard Leclerc, il faut probablement préparer davantage son interview. Les sujets économiques méritent mieux que des inexactitudes, des arguments biaisés et des affirmations d’autorité. N’est-ce pas M. Aphatie ?

Le gentil, c’est moi, le méchant, c’est celui qui m’accuse : Michel-Edouard Leclerc fait son show avec talent.

Commençons par le show de Michel-Edouard Leclerc. Celui-ci joue sur différents registres et endosse plusieurs costumes pour installer son message-clé : le méchant, ce n’est pas moi, le distributeur, c’est celui qui m’accuse, l’industriel de l’agroalimentaire.

D’emblée, Michel-Edouard Leclerc lance une charge frontale : les entreprises agroalimentaires « pour la plupart, n’ont pas de raison de se plaindre » (0 min 40), ne trouvent rien à redire aux pratiques des hard-discounters allemands et cherchent à détourner l’attention suite à leurs condamnations par l’Autorité de la Concurrence. Leur lettre ouverte ? « Un effet de manche qui vise à désigner l’adversaire, mais enfin, cela ne trompera pas son monde » (1 min 40).

Il poursuit dans ce registre tout au long de l’interview : l’industrie agroalimentaire « propose des hausses de prix ininterrompues aux consommateurs français depuis 14 ans » ; elle a pour mauvaise habitude de pousser régulièrement des coups de gueule (cf. courrier à Manuel Valls en juin 2014).

Il attribue le beau rôle aux distributeurs français qui font preuve de patriotisme économique à travers leurs achats alimentaires en France (3 min). Il s’affiche solidaire de l’agriculture française qui « vit un moment difficile » et qui doit être érigée au rang de « cause nationale » (3 min 55).

Il tacle Jean-Michel Aphatie, accusé de biaiser ses propos (3 min 20), puis le caresse dans le sens du poil en embarquant RTL dans son combat pour le pouvoir d’achat des Français (5 min). Il endosse le costume politique de celui qui soutient les « petits » contre les « gros » et qui approuve les pouvoirs publics contre les fraudeurs : « je ne suis pas un libéral, nous sommes pour la régulation » (5 min 30), « je suis pour la sanction des abus » (6 min 20).

Enfin, il termine l’interview en présentant les distributeurs comme des entreprises responsables, soucieuses des difficultés, des souffrances et de l’avenir des éleveurs de porcs et ayant la volonté d’agir en leur faveur à travers la création d’un fonds de soutien.

Michel-Edouard Leclerc construit un raisonnement économique sur des inexactitudes, des arguments biaisés et des affirmations d’autorité.

Michel-Edouard Leclerc demande à Jean-Michel Aphatie et aux auditeurs de « faire appel à [leur] intelligence » (2 min 15) quand il use d’inexactitudes, d’arguments biaisés et d’affirmations d’autorité. Illustration !

Michel-Edouard Leclerc pose comme constat que les entreprises agroalimentaires françaises se plaignent uniquement en France. Il en déduit qu’elles n’ont pas de raison de se plaindre à l’étranger, par conséquent qu’elles devraient « faire un carton à l’étranger » et qu’on « devrait donc avoir une balance commerciale excédentaire » (2 min 25). Il affirme que ce n’est pas le cas. Sous-entendu : les entreprises agroalimentaires sont mauvaises, non compétitives… Il poursuit en valorisant les distributeurs français : les distributeurs qui, en Europe, achètent le plus à des fournisseurs nationaux (3 min), paient le plus cher leurs achats alimentaires et rémunèrent le mieux leurs agriculteurs nationaux. Il y a ici plusieurs hics !

Premier hic : l’alimentaire en France dégage un solde commercial positif de 7,8 Mds€ et est le 2ème contributeur à la balance commerciale avec 43,3 Mds€ (cf. communiqué ANIA sur le bilan économique 2014).

Deuxième hic : la France est riche d’une agriculture et d’une industrie agroalimentaire qui sont, toutes deux, diversifiées et performantes. Il n’y a donc pas lieu d’invoquer le patriotisme économique pour expliquer que les distributeurs français s’approvisionnent principalement en France.

Troisième hic : les distributeurs sont les principaux importateurs de produits alimentaires. Au nom du patriotisme économique, ne pourraient-ils pas réduire leurs importations ?

Quatrième hic : sur quoi s’appuie Michel-Edouard Leclerc pour dire que les distributeurs français paient plus cher leurs achats alimentaires que les autres distributeurs européens ?

Cinquième hic : beaucoup de produits alimentaires sont des produits transformés et la lettre ouverte émane de l’industrie agroalimentaire. Quand Michel-Edouard affirme que les distributeurs français rémunèrent le mieux leurs agricultures nationaux, il ne dit pas, pour autant, que les distributeurs rémunèrent le mieux leurs fournisseurs industriels de l’agroalimentaire.

Jean-Michel Aphatie laisse Michel-Edouard Leclerc mener l’interview et oublie de l’interroger sur le coeur du problème pour les entreprises agroalimentaires.

Michel-Edouard Leclerc mène l’interview. Jean-Michel Aphatie manque d’assurance et de conviction. Sa voix est recouverte par la voix plus forte de son invité et il est inaudible lorsqu’il essaie de dire que l’agroalimentaire dégage un excédent commercial.

Jean-Michel Aphatie obtient, certes, que Michel-Edouard Leclerc concède à demi-mot que la guerre des prix se traduit, pour le consommateur, par un gain imperceptible de quelques dizaines de centimes d’euro par semaine (4 min 30). Mais il ne le relance pas sur le bien-fondé d’une guerre des prix qui permet d’exiger des fournisseurs des prix d’achat toujours plus faibles. Il laisse dire, sans réagir, lorsque Michel-Edouard Leclerc dissocie « la grosse industrie » des PME de l’agroalimentaire (4 min), alors même que la lettre ouverte est signée par 30 organisations professionnelles dont plus de 95% des membres sont des PME.

Surtout, Jean-Michel Aphatie ne pose aucune question sur l’avis de l’Autorité de la Concurrence en date du 31 mars 2015 et « relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution ». Cet avis est, pourtant, au cœur de la lettre ouverte des entreprises agroalimentaires et de leur différend avec la grande distribution : « La concentration excessive des centrales d'achat de la grande distribution met en péril l'équilibre même des négociations commerciales, créant de nombreuses situations de dépendance économique ». Il met en lumière des pratiques très éloignées du beau rôle que Michel-Edouard Leclerc attribue à la grande distribution. Jean-Michel Aphatie passe ainsi à côté du sujet qui est probablement le plus délicat pour son invité.

Jean-Michel Aphatie se laisse enfumer par Michel-Edouard Leclerc en fin d’interview.

Image - Observatoire prix porc

Pendant près de 20% du temps de l’interview, Jean-Michel Aphatie laisse Michel-Edouard Leclerc déployer son nuage de fumée sur les producteurs de porcs. Il se laisse embarquer dans une belle histoire « d’entreprises responsables » alors même que la filière porcine ne représente qu’une toute petite partie de l’agroalimentaire et que l’action menée en faveur de cette filière ne répond nullement aux critiques et aux demandes formulées dans la lettre ouverte des entreprises agroalimentaires.

Il laisse dire tout le bien que les distributeurs font aux producteurs de porcs alors même que le rapport publié en avril 2015 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires montre que « le rayon charcuterie présente l’un des taux de marge nette avant IS les plus élevés des rayons alimentaires frais des Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) » (p. 20) et que la marge brute des GMS a représenté, en 2014, 49% du prix moyen de la longe de porc et 39% du prix moyen du jambon cuit (p. 17).

Avis de l’Autorité de la Concurrence, Observatoire de la formation des prix et des marges : face à l’expertise qu’affiche Michel-Edouard Leclerc, Jean-Michel Aphatie avait deux documents très récents et de poids à faire valoir. Pourquoi ne les a-t-il pas utilisés ?

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