Martin Bouygues sur RTL. Quels objectifs de communication ? Pourquoi ça marche ? - Mediapicking
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Martin Bouygues sur RTL. Quels objectifs de communication ? Pourquoi ça marche ?

Dernière actualisation : 24/06/2015, 22:00

Deux jours après l’annonce par Altice de son offre sur Bouygues Telecom pour 10 Mds€, Bouygues a décidé ne pas donner suite à cette offre. Le suspense fut de courte durée : Bouygues a exprimé un refus définitif après avoir décliné deux précédentes offres d’Altice au cours des six derniers mois. Bouygues a diffusé un communiqué de presse le 23 juin au soir, à l’issue de la réunion de son Conseil d’Administration. Il fallait ensuite incarner cette décision. C’est ce qu’a fait Martin Bouygues au micro de Jean-Michel Aphatie sur RTL le 24 juin au matin.

Cette interview est une opération réussie de communication pour Martin Bouygues. Elle illustre aussi les limites des interviews radio de patrons lorsqu’on ne relance pas ses invités.

Pourquoi une interview radio ?

Quels étaient les objectifs de communication de Martin Bouygues lorsqu’il a accepté ou sollicité l’interview de Jean-Michel Aphatie ? Expliquer la décision de son Conseil d’Administration ?

Non, les trois raisons figurent dans le communiqué de presse diffusé la veille par Bouygues. Il n’était donc ni utile, ni pertinent de les répéter. Plusieurs médias ont, de plus, choisi de mettre l’accent sur une seule de ces raisons : « un risque d’exécution important qu’il ne revient pas à Bouygues d’assumer, en particulier en matière de droit de la concurrence, que ce soit dans le marché du mobile ou du fixe ».

Incarner le refus et marquer le dernier point

Je vois cinq objectifs dans l’opération de communication de Martin Bouygues.

En premier lieu, humaniser le refus de Bouygues au-delà des considérations financières, juridiques et télécoms, opposer Martin Bouygues qui incarne le Groupe Bouygues à Patrick Drahi qui incarne Altice.

En deuxième lieu, clore la folle séquence qui, en 48 heures, a mobilisé François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron et marquer le dernier point dans la blitzkrieg voulue par Patrick Drahi.

En troisième lieu, casser l’idée que Martin Bouygues serait un patron sous influence et que le refus de l’offre d’Altice résulterait de pressions politiques : « il n’y a pas eu de pression politique ».

Symboliser l’entrepreneur familial

Surtout, positionner Martin Bouygues comme un entrepreneur familial, responsable, engagé dans le long terme, qui affirme sa différence avec Patrick Drahi et Xavier Niel, respectivement qualifiés « d’acrobate financier » et « d’acrobate technique » par l’un de ses proches dans Le Monde. D’où des déclarations appuyées et répétées : « une entreprise n'est pas une marchandise comme une autre, tout n'est pas à vendre » et « tout n’est pas une histoire d’argent ».

Enfin, positionner Bouygues Telecom comme le nouveau trublion des télécoms, après avoir restructuré et allégé l’entreprise. Martin Bouygues affirme ainsi : « maintenant, nous avons tout ce qu’il nous faut pour nous battre et nous allons nous battre ». A l’écouter, Bouygues Telecom reçoit des offres de rachat, non pas parce qu’il est le plus fragile des opérateurs, mais parce qu’il « déstabilise » et « gêne » ses concurrents.

Des questions simples, attendues et sans relance

Face à Martin Bouygues qui poursuit plusieurs objectifs de communication, Jean-Michel Aphatie doit faire avec la complexité d’un sujet technique et financier et avec sa connaissance relative du secteur des télécoms.

Cela donne des questions simples et attendues, par exemple sur l’offre d’Altice, le rôle des politiques (« avez-vous vu François Hollande ? »), la confiance de Martin Bouygues dans son entreprise ou le bon nombre d’opérateurs télécoms en France (« y a-t-il un opérateur de trop en France ? »). Des questions qui permettent à Martin Bouygues de dérouler ses messages, sans grand risque d’être relancé ou déstabilisé.

Laisser filer les incohérences et les contradictions

Jean-Michel Aphatie laisse dire, sans réagir, quand Martin Bouygues affirme que « une entreprise n’est pas une marchandise comme une autre », comme si celui-ci n’avait pas déjà vendu Maison Bouygues, Saur, Eurosport et sa participation dans Alstom et, surtout, comme si Bouygues refusait, par principe, toute offre d’achat de ses filiales, quel que soit le prix. De même, il laisse dire quand Martin Bouygues parle de son engagement vis-à-vis des salariés de Bouygues Telecom, alors même que 1.400 salariés ont quitté l’entreprise au cours des 12 derniers mois.

Ou encore, il souligne que Bouygues Telecom est déficitaire, mais ne questionne pas la stratégie de guerre des prix, d’achat de parts de marché ou de fuite en avant de l’entreprise dans un secteur qui demande, par ailleurs, de lourds investissements dans les réseaux.

Laisser filer les arguments d’autorité et d’expertise

Dans un autre registre, Jean-Michel Aphatie ne réagit pas lorsque Martin Bouygues critique la consolidation dans les télécoms et un retour à trois opérateurs en France, au motif que le marché américain compte trois opérateurs et que les tarifs y sont au moins deux fois plus élevés qu’en France.

N’était-ce pas Martin Bouygues qui voulait passer de quatre à trois opérateurs en essayant de racheter SFR en 2014 ? Et à l’exception de l’Autriche (cf. article des Echos du 23 juin), les tarifs ne sont-ils pas similaires en France qui comptent quatre opérateurs et dans les pays européens qui comptent trois opérateurs ?

 

Au final, pour apporter un peu de répondant à Martin Bouygues, il n’était nul besoin d’aborder la régulation des télécoms et de la concurrence, la mutualisation des réseaux SFR et Bouygues Telecom ou les prochaines enchères sur les fréquences 700 MHz. Mais cela aurait nécessité de préparer davantage l’interview et de ne pas prendre pour argent comptant tous les propos de son invité.

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