Communication d'Israël à l'étranger. Pourquoi externaliser? Qu'est-ce qui ne marche pas? - Mediapicking
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Communication d'Israël à l'étranger. Pourquoi externaliser? Qu'est-ce qui ne marche pas?

Dernière actualisation : 21/09/2015, 16:50

Le quotidien israélien Haaretz annonce, le 20 septembre 2015, ce qu’il présente comme une « première » : Israël envisage d’externaliser ses PR aux Etats-Unis. Les deux lettres, PR (Public Relations), couvrent l’ensemble de la communication d’influence : relations avec les journalistes, les acteurs publics, les leaders d’opinion… Ce sont elles que j’utilise dans ce texte, sans chercher à les traduire.

Haaretz indique que le Consulat d’Israël à Philadelphie travaille, depuis fin 2014, avec l’agence locale Ceisler Media & Issue Advocacy et que ce projet pilote pourrait être étendu à d’autres villes des Etats-Unis. Il aurait eu accès au contrat et à la proposition de l’agence. Il met l’accent sur ce qui apparaît nouveau dans une stratégie PR, somme toute, classique : le ciblage d’organisations homosexuelles et hispaniques.

Cette annonce est l’occasion de s’interroger sur les PR d’Israël à l’étranger, leur spécificité et leurs limites.

Une agence PR ? Pas vraiment une « première » pour Israël

Haaretz monte en épingle le projet pilote de Philadelphie en le qualifiant de « première ». Il est, pourtant, habituel que des Etats fassent appel, à l’étranger, à des agences de communication pour améliorer leur image ou faire valoir leurs positions. C’est le cas en particulier à Washington et à Bruxelles.

Un rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory récapitule les liens en Europe entre plusieurs Etats et des agences RP. Ce rapport, intitulé « Spin doctors to the autocrats: how European PR firms whitewash repressive regimes », inclut Israël (p. 43) – ce qui en dit long sur la perception d’Israël par de nombreuses ONG à Bruxelles et pourra susciter, chez certains, de l’incompréhension, de l’énervement… ou des questions sur l’efficacité des agences PR qui sont citées dans le rapport comme travaillant pour Israël.

Aux Etats-Unis, un projet pilote local

Même si le recours à des agences PR n’est pas une « première » pour Israël, quelques éléments attirent ici l’attention. En premier lieu, l’opération est locale : elle est pilotée par l’un des neuf consulats d’Israël aux Etats-Unis – et non pas par l’Ambassade à Washington. Ensuite, l’agence retenue est une agence locale basée à Philadelphie – et non pas un réseau national ou international, capable de dérouler une stratégie à l’échelle des Etats-Unis ou du monde. Enfin, l’opération est seulement un projet pilote qui, à l’issue de la période initiale de 12 mois, pourra être suspendu, prolongé, modifié ou élargi à d’autres villes.

Pourquoi recourir, fin 2014, à une agence PR locale ?

A date, Haaretz ne couvre pas plusieurs angles de cette histoire. Pourquoi Israël a-t-il décidé en 2014 de recourir à une agence PR aux Etats-Unis alors que l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) et plusieurs autres organisations y mènent, depuis longtemps, des actions de communication et de lobbying et qu’elles disposent, pour cela, de moyens bien plus conséquents ?

Pourquoi Israël a-t-il fait le choix d’une campagne locale à Philadelphie ? Parce que Washington serait déjà « quadrillée » par l’Ambassade et par les organisations américaines pro-israéliennes ? Parce que les Américains à l’extérieur de New York et Washington seraient en train de changer d’opinion sur Israël ? Parce qu’il serait nécessaire de cibler les élus nationaux du Congrès dans leurs circonscriptions – et non pas uniquement dans la capitale fédérale ?

Enfin, le projet pilote a été réalisé pendant une période de grandes tensions entre Barak Obama et Benyamin Netanyahou (cf. son discours devant le Congrès en mars 2015). Ce projet a-t-il été décidé dans l’objectif de contrebalancer localement l’impact négatif de ces tensions internationales ? Ou a-t-il dû faire avec ces tensions, dans la mise en œuvre d’une stratégie qui avait été pensée à un moment plus calme ?

Plusieurs limites aux PR des Etats à l’étranger

Au-delà de ces questions, les actions de communication qui sont menées à l’étranger par les représentants, publics ou privés, d’un Etat présentent plusieurs limites. Même si le mot « externalisation » frappe les esprits, le sujet apparaît vite secondaire. Le consultant d’une agence PR, qui est l’interlocuteur de journalistes ou d’acteurs publics au nom d’un Etat étranger, agit toujours avec le feu vert de son mandant et doit toujours lui rendre des comptes.

Etre éloigné de la capitale

La première limite est l’éloignement. Qu’il s’agisse de diplomates dans une Ambassade ou de consultants dans une agence PR, les personnes qui communiquent au nom d’un Etat étranger sont éloignées du centre de décision : la capitale politique de l’Etat qui les a mandatés. Ils doivent faire avec une actualité qui est vécue ailleurs et avec une politique qui est décidée ailleurs.

On attend d’eux qu’ils relaient cette politique, qu’ils l’expliquent, qu’ils la promeuvent, qu’ils la défendent en bloc… mais pas qu’ils prennent leurs distances ou qu’ils en critiquent certains aspects. D’une certaine façon, leur situation en communication est proche de celle des dirigeants de filiales étrangères, qui sont éloignés du siège social de leur entreprise.

Externaliser la « Hasbara »

Un autre enjeu-clé est la posture avec laquelle sont traités les sujets sensibles. Tous les acteurs ont envie d’avoir en communication une posture d’écoute et de dialogue lorsque le sujet est positif. Ils ont, la plupart du temps, des postures radicalement différentes lorsque les sujets sont négatifs.

Revenons à l’article de Haaretz et au projet d’Israël d’externaliser ses PR aux Etats-Unis. La posture traditionnelle du Gouvernement et des Ambassades d’Israël en communication est la « Hasbara », mot hébreu signifiant « explication », désignant le discours que le Gouvernement a envie d’entendre et qui est souvent traduit en français par « propagande ». Le recours à une agence PR résulterait-il de la volonté d’expérimenter une nouvelle posture ? On peut en douter à la lecture de Haaretz. L’article mentionne une seule action de communication de l’agence PR Ceisler à propos des relations entre Israéliens et Palestiniens. Cette action est intitulée « What if Gaza was near your city? ».

Spécificité d'Israël

De nombreux pays recourent à des agences PR à l’étranger et pratiquent ce que l’ONG CEO appelle le “Whitewashing” par analogie avec le “Greenwashing” : peindre en vert ses activités pour les faire paraître écologiques. Les agences PR ont alors pour mission de porter la bonne parole au nom de pays qui comptent très peu de correspondants étrangers et qui sont, d’ordinaire, très peu couverts dans les médias internationaux. Cette configuration n’est pas celle d’Israël qui compte sur son sol un nombre très élevé de correspondants étrangers et dont les actualités sont régulièrement couvertes dans les médias du monde entier.

Faire avec l’actualité en Israël

Dans une telle configuration où l’information sur Israël est produite en Israël, quelle peut être l’efficacité d’actions de communication menées à l’étranger par Israël, ses Ambassades ou ses agences PR ? Ces actions peuvent certes donner d'autres points de vue et montrer d’autres réalités que celles montrées par les correspondants étrangers basés en Israël. En aucun cas, elles ne peuvent se substituer aux images et aux analyses produites par ces correspondants… sauf à considérer que tout reportage négatif est entaché de partis pris ou d’animosité.

Illustrons ce point avec l’agence PR Ceisler qui, selon Haaretz, a ciblé les organisations homosexuelles à Philadelphie. Quelle que soit la qualité des actions menées pour promouvoir « Israel’s tolerance of LGBT rights », l’agence Ceisler ne peut pas avoir prise sur le fait qu’un homme a poignardé six participants à la Gay Pride de Jérusalem le 29 juillet 2015 et que cette information ainsi que la mort de l’une des victimes ont été couvertes par de nombreux médias à travers le monde. Les faits sont têtus et leurs images voyagent.

PR d’Israël à l’étranger ? C’est d’abord en Israël.

Ce qui vaut pour la Gay Pride à Jérusalem et pour l’agence PR Ceisler à Philadelphie, vaut, tous les jours, pour le Gouvernement israélien et pour celui qui domine la politique israélienne depuis plus d’une dizaine d’années, Benyamin Netanyahou. Quelle peut être l’efficacité d’actions PR menées par Israël à Philadelphie, Washington, Paris ou Bruxelles lorsque les messages produits localement en Israël par les dirigeants israéliens ont d’emblée une audience mondiale, lorsque ces messages enferment souvent Israël dans le rôle du « méchant » et lorsqu’ils sont perçus, a minima en Europe, comme agressifs et arrogants ?

Au final, le véritable enjeu pour les PR d’Israël à travers le monde, c’est d’abord ce qui se passe et ce qui est dit en Israël.

Commentaires (1)

  • philippe Bensoussan a écrit le 25/09/2015, 19:03
    D'ou la nécessité d'une chaîne d'info en 3 langues dont l'Hébreu afin fe montrer la diversité d'Israêl et pas seulement les reportages des correspondants étrangers. car ce sont eux qui font l'image d'Israël. cette idée de Philadelphie me paraît grotesque.
    Ah !si Drahi voulait vraiment la réussite de 124...
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