Attentats, guerre, réfugiés, islam. Il y en a encore pour qui défendre nos valeurs rime avec ne rien changer. - Mediapicking
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Attentats, guerre, réfugiés, islam. Il y en a encore pour qui défendre nos valeurs rime avec ne rien changer.

Dernière actualisation : 17/11/2015, 15:05

Il n’y a pas d’esprit du 13 novembre. Ni un slogan fédérateur comme le « Je suis Charlie » de janvier, permettant à chacun de dire qu’il est solidaire des victimes et qu’il portera leur flambeau… puisque chacun réalise maintenant que tout le monde peut être la cible d’un attentat. La peine et la sidération sont désormais chargées de colère. Déjà, il y a « le vacarme des débats et des argumentaires », comme l’écrit The Guardian dans son éditorial du 16 novembre, publié exceptionnellement en français et en anglais.

Ce texte a fait l’objet de plusieurs tweets laudateurs. Il a notamment été salué par Edwy Plenel, président de Mediapart : « Formidable éditorial du Guardian (en français) à rebours de nos médias guerriers ». L’édito du Guardian participe au « vacarme », tout comme l’analyse que j’en fais ici. Il ressort de cet édito qu’un appel à défendre nos valeurs rime souvent avec ne rien changer.

Défendre nos valeurs… sans parler des menaces sur nos vies

L’édito du Guardian est intitulé dans sa version originale, en anglais : « Amid the grief, we must defend the values that define us ». La traduction française de ce titre est sensiblement différente : « Nous devons rester fermes après les attaques de Paris ». Je m’en tiendrai à la version originale appelant à défendre les valeurs qui nous définissent. The Guardian poursuit en VO : « We do not protect our ideals by dismantling them. Europe must remain a place of freedom, refuge and firm resolve ».

On pourrait penser que l’édito du Guardian prend position dans le débat classique opposant la liberté à la sécurité. Ce n’est pas le cas. Etonnamment, l’édito fait comme si le risque de nouveaux attentats n’existait pas, comme si nos vies n’étaient pas menacées. La protection de nos valeurs est posée comme une fin en soi. La protection de nos vies – condition pourtant nécessaire si nous voulons protéger nos valeurs – n’est pas évoquée. En fait, The Guardian prend position en occultant une partie du problème. Il est vrai qu’il est plus facile d’argumenter lorsqu’on procède ainsi.

"Déclaration" de guerre de François Hollande à l’EI

The Guardian reproche à François Hollande d’avoir répondu à la déclaration de guerre de l’Etat islamique (EI) par une déclaration de guerre : « Déclarer la guerre à EI reviendrait à le flatter, lui accorder la dignité qu’il recherche avidement. Ce serait lui accorder le statut d’Etat, qu’EI revendique mais ne mérite pas ».

The Guardian attribue ici à François Hollande un mot – « déclaration » – que celui-ci n’a pas employé et une intention qui est à l’opposé de ses convictions. Le procédé n’est pas honnête. Ceux qui ont approuvé l’édito du Guardian sont loin de s’en émouvoir. François Hollande a qualifié « d’acte de guerre » les attaques contre Paris. Il n’a nul besoin déclarer la guerre à l’EI puisque la France fait déjà partie, depuis plusieurs mois, d’une coalition… en guerre contre l’EI. Et qu’une coalition mène la guerre contre l’EI n’implique, en aucune façon, que les Etats membres de cette coalition accordent à l’EI un statut d’Etat.

Rhétorique guerrière et épouvantail de GW Bush

The Guardian critique une rhétorique guerrière en agitant l’épouvantail de Georges W Bush : « ce registre de guerre, autorisant implicitement son lot de mesures extrêmes, a conduit les USA et leurs alliés à prendre plusieurs décisions désastreuses. Leur impact se ressent aujourd’hui encore, presque 15 ans plus tard ».

Pour autant, The Guardian ne s’oppose pas à ce que des pays occidentaux fassent la guerre au Proche-Orient dans une coalition impliquant des acteurs locaux. Cela ressort clairement de la fin de l’édito. Mais alors, que critique-t-il ? Le fait d’assumer publiquement que l’on fait la guerre lorsqu’on fait la guerre ? Il y a, hélas, dans toute guerre, « des mesures extrêmes » et « des décisions désastreuses ». Est-ce une raison suffisante pour qu’un Etat, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, renonce à la guerre ?

The Guardian va plus loin. Il voit les USA de Georges W Bush comme les apprentis sorciers qui ont fabriqué l’EI et qui seraient donc responsables de ses actes. Cette lecture présente l’inconvénient de faire l’impasse sur la Syrie et de ne pas expliquer les attentats de 2015 puisque la France s’est opposée à la guerre en Irak. D’autres, comme l’historien Jean-Pierre Filiu dans Le Monde, ont une autre lecture : ils voient les USA de Barak Obama comme ceux qui ont fait prospérer l’EI en Syrie lorsqu’en août 2013, ils ont reculé suite à l’utilisation par Bachar Al-Assad d’armes chimiques contre sa population.

Que la lecture du Guardian soit valide ou non, le responsable d’un problème serait-il disqualifié de toute action visant à réparer ledit problème ?

Faire la guerre là-bas, mais ne rien changer ici

L’enjeu véritable pour The Guardian n’est pas de faire la guerre là-bas, au Proche-Orient, c’est de faire la guerre ici, en Europe. The Guardian y est opposé. Son édito ne mentionne ni l’état d’urgence, ni la fermeture des frontières en France. Il élargit son propos à l’Europe : « si l’on a le sentiment que les valeurs de l’Europe sont en danger, alors la dernière façon de protéger ces valeurs serait de les démanteler ».

En fait, l’édito appelle à ne rien changer en Europe concernant l’accueil des réfugiés : « Le message moral pour que l’Europe soit un lieu de refuge doit rester inchangé malgré ce qui s’est passé vendredi ». L’un des terroristes serait un réfugié ? The Guardian a réponse à tout : « l’allégation selon laquelle l’un de meurtriers serait venu en Europe déguisé en réfugié est éminemment suspecte ».

Plus important, The Guardian rappelle que « beaucoup de ceux qui fuient la Syrie le font pour fuir EI ». C’est une réalité. Pour autant, puisque The Guardian entend, avant tout, « défendre les valeurs qui nous définissent », pourquoi ne se soucie-t-il pas de l’adhésion des réfugiés à nos valeurs ? A la liberté de critiquer les religions, de nier l’existence de Dieu ou de changer de religion ? A l’égalité entre les hommes et les femmes ? A la fraternité et, notamment, au refus de l’antisémitisme ? J’invite ceux qui seraient surpris par ce dernier point à lire l’excellente BD de Riad Sattouf, « L’Arabe du Futur ».

Dissocier les Musulmans des djihadistes, mais surtout ne rien leur demander

Dernière référence à la défense des valeurs qui nous définissent : « les sociétés européennes ne défendent pas leurs valeurs lorsqu’elles se retournent contre leurs citoyens musulmans - au contraire, elles violent ces valeurs ». En fin d’édito, The Guardian semble se rappeler que l’EI n’est pas un ennemi de même nature que l’Irak de Saddam Hussein ou la Syrie de Bachar Al-Assad, qu’il s’agit d’un ennemi uni par une idéologie, le djihadisme, et se revendiquant d’une religion pratiquée par plusieurs millions d’Européens : l’islam.

Si The Guardian indique avec lucidité que « la défaite d’EI en Syrie ne fera pas totalement disparaître la menace de la violence djihadiste », il cherche à établir une démarcation entre les djihadistes et les Musulmans, comme si les seconds n’étaient pas concernés par les premiers. C’est le fameux « pas d’amalgame » de janvier 2015. The Guardian est resté scotché à cette idée et se refuse à aller plus loin. En particulier, il n’exprime aucune attente à l’égard des Européens musulmans.

Heureusement, les lignes bougent ailleurs.

Des Musulmans et d’autres médias ont compris que l’on ne pourrait rien faire contre l’idéologie djihadiste sans assumer que les Musulmans ont à voir avec le djihadisme et ont à agir contre le djihadisme. Face à un édito du Guardian érigeant en priorité la défense de nos valeurs et s’en servant pour que rien ne change, je souhaite citer deux autres journaux du 16 novembre 2015 : le texte d’Abdennour Bidar dans Libération et l’édito du Monde, intitulé « Ne nous trompons pas sur la nature du combat » :

« La civilisation islamique est l’homme malade de la civilisation mondiale, et Daech n’est que son symptôme le plus grave. Mais le corps entier est atteint. […]Daech n’est que la pointe avancée d’une civilisation en danger et en perdition. Si je suis si sévère, c’est que je souffre de voir cette grande spiritualité et culture que j’aime s’enfoncer ainsi vers le néant. » (Abdennour Bidar)

« Le djihadisme sera-t-il « vaincu » pour autant ? Il ne faut pas mentir à l’opinion. Le seul démantèlement de la logistique paraétatique de l’EI n’y suffira pas. Parce qu’il relève d’une pathologie propre à l’islam, parce qu’il est une idéologie totalitaire, l’islamisme sera d’abord défait par les musulmans. Cette bataille idéologique, déterminante, celle qui en finira avec la séduction que le djihad exerce auprès de dizaines, voire de centaines de milliers de jeunes gens, les musulmans doivent la mener en priorité. Il faut les y aider. » (Edito du Monde)

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