Loi Travail ou comédie sociale? L'exemple sur France Info d'une interview sans surprise - Mediapicking
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Loi Travail ou comédie sociale? L'exemple sur France Info d'une interview sans surprise

Dernière actualisation : 15/03/2016, 11:36

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, était l’invité politique de France Info le lundi 14 mars. On sort d’un dimanche de réécriture de la loi Travail à l’Elysée par François Hollande et Manuel Valls. On est à quelques heures de la présentation à Matignon de la nouvelle version aux syndicats.

Depuis deux mois, on ne compte plus les interviews consacrées à cette loi dans les médias. Alors, pourquoi s’arrêter sur cette interview de Philippe Martinez par Jean-François Achilli et Guy Birenbaum ? Parce qu’elle dit, en creux, le renoncement à traiter du fonds et le choix de chroniquer un spectacle où chacun tient son rôle et joue sa partition sans surprise, ni talent. Elle n’est, hélas, ni pire, ni meilleure que de nombreuses autres interviews sur le même sujet. Probablement parce que les journalistes connaissent à l’avance les scènes, les répliques et les postures et qu’il est plus simple, pour eux, de participer à ce spectacle.

Loi Travail: dialogue ou retrait préalable?

L’interview commence logiquement par l’actualité du jour, à savoir la réunion à Matignon. Qu’y a-t-il dans la nouvelle loi travail ? Que va-t-il se passer aujourd’hui ? Philippe Martinez dit ne rien savoir : « Pas de nouvelle, pas de son, pas d'image depuis lundi dernier »… comme si l’exécutif était resté muet dans les médias depuis une semaine. Il va à une réunion sans savoir qui sont les autres participants.

Etonnant ! Mais chez France Info, personne ne relève. Il importe de poser au plus vite la seule question importante, non pas dans le débat sur le droit du travail et sur la lutte contre le chômage, mais dans le spectacle que jouent les protagonistes de la loi Travail : « réclamez-vous toujours comme préalable le retrait du projet de loi El Khomri ? ». Retrait, puis dialogue ? Dialogue sans retrait ? Cette question est posée une seconde fois, dans l’éventualité où « la loi [serait] débarrassée de tout ce qui fâche ».

La réponse sans surprise de Philippe Martinez

Philippe Martinez coupe court à tout suspense. Il continue de réclamer le retrait de la loi Travail. Il le dit implicitement lorsqu’il explique son opposition par un point qui avait peu de chances d’être amendé pendant la réécriture dominicale, « l’inversion de la hiérarchie de la norme. Chaque entreprise aura sa loi. C’est une mesure qui n’est pas acceptable ». Il enfonce le clou : « il faut reprendre tout à zéro ».

Jean-François Achilli relance : La CGT sait-elle dire autre chose que « Non » ? Philippe Martinez a, pour lui, sa cohérence : « On a été clair depuis le début. Et le fonds et la forme ont été mauvais ». Il entonne la chanson bien connue de l’absence de dialogue et de concertation. Il ajoute que la CGT est constructive puisqu’elle a proposé son propre projet de Code du Travail pour le 21ème siècle. Il ne présentera aucune de ses propositions, mais insistera sur le fait qu’elles n’ont pas été entendues.

Parler du fonds, de la loi ou des propositions CGT?

Pause. L’interview a démarré il y a seulement deux minutes. Sans surprise, la CGT maintient une position dure. Il reste plus de dix minutes à tenir. Que faire ?

Parler du fonds ? Traiter de l’emploi en France et des freins à l’embauche ? Débattre des avantages et inconvénients d’une « inversion de la hiérarchie de la norme » ? Interroger la CGT sur les amendements évoqués dans Les Echos sous le titre : « Prud’hommes, licenciements, forfaits jours : ce qui devrait changer dans la loi Travail » ? Discuter des contre-propositions de la CGT, comme la semaine de 32 heures ou le statut de travailleur salarié ? Questionner la CGT sur le rôle et la représentativité des syndicats ?

On aurait pu imaginer une interview cherchant à éclairer les auditeurs, examinant les différentes pistes, celles du gouvernement et celles de la CGT, évaluant ces pistes au regard de l’intérêt général, c’est-à-dire la création d’emplois. Il aurait probablement fallu pour cela que Jean-François Achilli et Guy Birenbaum prennent des positions publiques sur le fonds, voire qu’ils s’opposent à Philippe Martinez.

Le choix de chroniquer l’opposition à la loi

Ce lundi 14 mars, les deux journalistes de France Info ont fait un tout autre choix. Ils se sont intéressés, non pas à la loi Travail, mais à l’opposition à cette loi et au spectacle de cette opposition. Ils ont donc interrogé Philippe Martinez sur le rôle de la CGT dans cette opposition et sur le rôle joué par d’autres acteurs dans ce spectacle. Voici leurs questions. Elles se passent de commentaire.

La CGT est-elle un syndicat du 19ème siècle ? Que pensez-vous de la lettre de deux députés socialistes sur la loi travail ? Etes-vous irrité par le succès de la pétition sur Internet ? Puis, êtes-vous énervé par cette pétition ? Manifester dans la rue, est-ce lutter à l’ancienne ? Maintenez-vous la manifestation du 31 mars ? Manifester, est-ce adapté à l’état d’urgence ? Est-ce sans danger ? Et qu’avez-vous à dire sur Emmanuel Macron ? Et sur la CFDT qui, elle, est réformiste ? Et sur les PME ? Toujours anti-patron à la CGT ?

Le foot, révélateur de contradictions

Les réponses à toutes ces questions furent sans surprise. Elles ne disent rien sur le contenu de la loi Travail, ni sur les contre-propositions de la CGT. Elles permettent d’aller tout doucement vers la fin de l’interview. La grosse ficelle du gouvernement cherchant à se concilier les bonnes grâces de la CFDT n’est pas évoquée.

Soudain, Guy Birenbaum donne l’impression de prendre la tangente : il interroge Philippe Martinez sur la performance du PSG, sacré champion de France alors qu’il lui reste encore huit matches à jouer. Le foot ? Ah bon, pourquoi pas ? Et puis, on tend l’oreille. Cette tangente est une réussite. Philippe Martinez est mis, par surprise, devant ses contradictions. Il aime le beau jeu, il apprécie les joueurs du PSG, mais reprend aussitôt son discours mécanique sur « les dérives de l’argent ». Place au réalisme et à la lucidité : chacun sait que sans argent, il n’y aurait, au PSG, ni beau jeu, ni joueurs d’exception.

Pourquoi participer à un spectacle codifié?

Jean-François Achilli peut alors lâcher le morceau : « on connaît le résultat du match de cet après-midi [à Matignon] ; vous allez dire non ». Sans surprise, son pronostic est devenu réalité dans l’après-midi.

Alors, pourquoi s’être arrêté sur une interview qui ressemble à tant d’autres et qui sera vite oubliée ? Parce qu’elle participe à un spectacle codifié qui nourrit les défiances et les déceptions, à un moment où il est crucial, au contraire, de faire bouger les lignes sur l’emploi et sur tant d’autres sujets.

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