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Aux USA, qui est fou? Donald Trump ou le débat public?

Dernière actualisation : 04/09/2017, 16:31
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Alors que les déclarations alarmantes à propos de la candidature de Donald Trump s’amoncellent comme les nuages du quinze août sur le Garlaban, une nouvelle polémique nous offre l’occasion d’un voyage passionnant dans l’histoire de la démocratie américaine. Des voix se sont élevées ces jours-ci pour mettre en doute la santé mentale de Donald Trump. Plongeons donc de ce pas dans la médiocrité-médiatico-psychiatrique qui peut exister, admettons-le, sous tous les cieux de ce monde.

Donald Trump est-il fou?

C’est la question posée par un homme politique et présentateur TV - oui, là-bas, c’est possible - républicain qui plus est. Joe Scarborough, durant son émission sur MSNBC - comme le rapporte le Washington Post - initie la polémique : "We’re asking ourselves — I didn’t say this, but this is what everybody is saying: Is Donald Trump a sociopath?”

Co-invité de l’émission ce jour-là, Ari Fleischer, ancien proche de George W. Bush, relance : "Am I voting for a sociopath? And I know you’ve heard it because I’ve heard it. And all my Republican friends have heard it."

Le jeu de massacre était alors lancé, depuis le propre camp républicain, qui a pourtant investi le new-yorkais aux mèches blondes quelques semaines plus tôt. S’ensuit une avalanche de diagnostics d’experts autoproclamés qui y vont de leur propre diagnostique. Sur Twitter, un hashtag est consacré à la polémique : #TrumpDiagnosis. Tous s’accordent sur le narcissisme de Trump, sans jamais s’interroger sur leurs propres motivations : narcissiques ? Pensez-vous...

In Law We Trust

Sur fond de flambée diagnostique, l’APA (American Psychiatric Association) invoque la Goldwater Rule. Cette importante association psychiatrique américaine publia en effet un communiqué en réaction à la polémique, rappelant les professionnels à leur devoir de réserve. A nos yeux, se prononcer à la cantonade sur le diagnostic d’une personnalité publique, que l’on n’a jamais vu, et qui n’a rien demandé, est parfaitement condamnable.

Mais la règle Goldwater n’est pas née de la moralité des praticiens. Cette condamnation est née d’une expérience malheureuse que le débat politique traversa durant la campagne présidentielle de 1964. A cette époque, deux candidats s’affrontent : Lyndon B. Johnson, et Barry Goldwater.

Goldwater est un personnage très particulier, venu d’Arizona, spécialiste des transmissions radio, engagé durant la seconde guerre mondiale. Il se présente comme un conservateur qui, à la fois, se dit extrémiste de la liberté. Ses positions de sénateur sont difficiles à suivre dans les débats. Elles le rapprochent parfois des démocrates, et parfois des ultra conservateurs. Au point que la question de la santé mentale de Goldwater fut posée.

Ralph Ginzburg et le diagnostic par sondage

En 1964, c’est Ralph Ginzburg qui mena cette offensive : il réalise alors rien de moins qu’un diagnostic par sondage. Pour Fact Magazine, en 1964, Ginzburg se lance dans un sondage gigantesque auprès de psychiatres à travers tout les USA. Sur 12.356 psychiatres contactés, seuls 2.417 ont répondu. Et Ginzburg semble avoir sélectionné les propos de ces professionnels pour conclure que Barry Goldwater ferait un président inadéquat.

C’est à la suite de cet emballement médiatique que l’APA ajouta l’article 7.3 à sa charte d’éthique : « On occasion psychiatrists are asked for an opinion about an individual who is in the light of public attention or who has disclosed information about himself/herself through public media. In such circumstances, a psychiatrist may share with the public his or her expertise about psychiatric issues in general. However, it is unethical for a psychiatrist to offer a professional opinion unless he or she has conducted an examination and has been granted proper authorization for such a statement. »

Il faut dire que Golwater a saisi la justice suite à cette publication. Les juges lui donnèrent raison, condamnant Ginzburg et Fact Magazine à une lourde peine financière. D’où l’intégration de règles dans les codes de conduites, comme celui de l’APA. Malgré tout, comme on le sait, Goldwater ne fut jamais élu président des Etats-Unis.

Alors, qui est fou ?

Donald Trump n’est pas notre patient. Il ne semble pas avoir beaucoup croisé de psychanalystes, vu d’ici. Portant, prétendre exercer l’un des trois métiers impossibles – Eduquer, Soigner, Gouverner (S. Freud (1925 f), Préface à « Jeunesse à l’abandon », OCF.P, XVII, Paris, PUF, 1992) – devrait selon nous mener naturellement jusqu’au divan de l’analyste. Faire l’expérience de son propre inconscient est un bon début, une préparation salvatrice, pour faire avec ce qui échappe à la maîtrise dans chacune de ces trois fonctions.

Cependant, Donald Trump ne semble pas plus déraisonnable que tous ceux qui agitent les mots de la souffrance psychique, sans aucune précaution, dans le débat public. Car il y a bien quelque chose d’« insane » - malsain ou fou ? à vous de traduire – au royaume de Google. Cet étrange débat laisse entendre que la psychiatrie pourrait régler le sort d’un candidat, contre l’avis de millions d’électeurs qui le soutiennent jusqu’ici, et contre l’idée même de démocratie. Après avoir promu la démocratie, les américains seraient-ils transitoirement tentés par une psychiatrocratie ? Qu’en est-il d’ailleurs pour chacun de nous ?

Le style paranoïaque en politique

« Peut-être, le catalyseur de la diffusion de cette tendance paranoïaque est-il une situation centrale dans laquelle se noue une confrontation entre des intérêts opposés (ou perçus comme tels), des intérêts inconciliables, qui ne peuvent pas, par nature, rester dans le cadre du processus politique normal, fait de négociations et de compromis ». Voilà ce qu’écrivait Richard Hofstadter en 1964, dans l’après-coup de l’affaire Goldwater, et qui nous semble être une excellente raison de relire son article publié cette même année dans Harper’s, sous le titre : « Le style paranoïaque dans la politique américaine ». Le lauréat du Prix Pulitzer pour son essai « Anti-Intellectualism in American Life » écrit ainsi dans l’introduction de cet article :

”There is a style of mind that is far from new and that is not necessarily right-wing. I call it the paranoid style simply because no other word adequately evokes the sense of heated exaggeration, suspiciousness, and conspiratorial fantasy that I have in mind. In using the expression “paranoid style” I am not speaking in a clinical sense, but borrowing a clinical term for other purposes. I have neither the competence nor the desire to classify any figures of the past or present as certifiable lunatics. In fact, the idea of the paranoid style as a force in politics would have little contemporary relevance or historical value if it were applied only to men with profoundly disturbed minds. It is the use of paranoid modes of expression by more or less normal people that makes the phenomenon significant.”

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