Religions et liberté d'expression : Reporters Sans Frontières fait un bide avec un texte neutre et ambigu qui oublie les caricatures. - Mediapicking
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Religions et liberté d'expression : Reporters Sans Frontières fait un bide avec un texte neutre et ambigu qui oublie les caricatures.

Dernière actualisation : 03/11/2015, 18:21

Le 3 février 2015, Reporters Sans Frontières (RSF) demandait aux responsables de culte de « signer la proclamation pour la liberté d’expression » à travers plusieurs encarts publicitaires dans la presse quotidienne. Le 5 février, la Conférence des Evêques de France demandait à ses membres de ne pas signer ce texte.

Fin mars 2015, je souhaite voir qui a signé et qui n’a pas signé. A date, l’initiative a seulement reçu 30 signatures malgré le soutien de la Mosquée de Paris, de la Fédération Protestante et de l’Union Bouddhiste et malgré un imposant comité de soutien comptant lui-même 28 personnalités. Clairement, l’initiative lancée par RSF a fait un bide.

Au-delà de ce bide, la proclamation, ses ambiguïtés, ses oublis et la démarche de RSF m’interpellent, avec une question en arrière-plan : et si le véritable enjeu de la proclamation était de permettre aux responsables du culte musulman de montrer patte blanche sur la liberté d’expression, sans frais, ni engagement ?

Proclamation ? Non, un rappel de la loi.

La proclamation de RSF est uniquement un rappel et une explicitation de la loi, si l’on fait abstraction de sa dernière phrase, de loin la plus intéressante : « nul ne peut imposer sa conception du sacré à autrui ». Elle indique, en ouverture, que « la liberté d’expression est garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Elle précise les situations où la loi limite la liberté d’expression et sanctionne les abus. Puis, elle reformule ces deux énoncés en des termes relatifs aux religions : « [la loi française] ne reconnait, ni ne condamne le sacrilège ou le blasphème ».

La rédaction est neutre. RSF demande aux responsables de culte de prendre acte de l’état actuel de la législation sur la liberté d’expression. Elle ne leur demande pas de dire s’ils approuvent ou non la législation. A fortiori, elle ne leur demande pas de s’engager à défendre cette législation.

Pourquoi associer la liberté d’expression et la liberté de conscience ?

RSF introduit un paragraphe sur la liberté de conscience au milieu d’un texte sur la liberté d’expression. Ce paragraphe est, lui aussi, un rappel de la loi, en l’occurrence une référence à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Constitution. Pourquoi ce paragraphe ?

Des responsables de culte et notamment des responsable du culte musulman auraient-ils signé une résolution de RSF qui aurait uniquement pris acte de la liberté d’expression, sans rappeler que la liberté de conscience est, elle aussi, garantie par la loi et qu’elle « doit naturellement s’appliquer sans discrimination » (sous-entendu : aux Français musulmans) ?

En fait, la proclamation de RSF semble lier la liberté d’expression et la liberté de conscience : il n’y aurait pas l’une sans l’autre, il n’y aurait pas lieu de respecter l’une en l’absence de l’autre. Voilà ce que semblent dire, en substance, la phrase alambiquée en fin de texte - « ce sont les conditions du respect du pacte républicain et des droits de tous dans une société démocratique pluraliste et tolérante » - et son pluriel qui renvoie aux deux libertés, celle d’expression et celle de conscience.

Une proclamation qui oublie les mots qui fâchent

RSF ne parle pas des images, des représentations et a fortiori des caricatures dans sa proclamation sur la liberté d’expression. Elle rappelle seulement que la loi autorise en France « la critique des idées, des symboles et des représentations », « les critiques, mêmes irrévérencieuses, envers tout système de pensée politique, philosophique ou religieux » ou « la critique des croyances, notamment sous la forme satirique ».

Pourtant, en décembre 2013, dans un rapport intitulé « Blasphème, l’information sacrifiée sur l’autel de la religion », RSF rappelait « que le droit à la caricature – par définition excessive, insolente et assumée comme telle – est l’un des corollaires inéluctables de la liberté d’expression ». Un an plus tard, un mois après l’attentat contre Charlie Hebdo, RSF passe sous silence que la loi autorise en France la caricature de Dieu et de tout personnage religieux. Des responsables de culte et notamment des responsables du culte musulman auraient-ils signé une résolution mentionnant le droit à la caricature ?

Au commencement, un problème de méthode

RSF rédige un texte qui rappelle la législation en vigueur en France, puis somme les responsables de culte de signer ce texte. Ce faisant, elle place les responsables de culte dans la position d’un suspect qui, s’il n’obtempère pas, sera reconnu complice de l’attentat contre Charlie Hebdo et coupable de rejeter la loi et de s’opposer à la liberté d’expression. Cette façon de procéder est maladroite. Elle explique le refus de la Conférence des Evêques de France et probablement le bide de la proclamation de RSF.

RSF aurait pu procéder différemment. En premier lieu, elle aurait pu contacter des responsables de culte des différentes religions et leur proposer de s’associer, laïcs et religieux, pour la rédaction collective d’une proclamation sur la liberté d’expression. Ensuite, elle aurait pu aller au-delà de la loi et avancer sur le terrain des responsables de culte. Puisque chaque religion a ses règles et ses interdits, on aurait pu imaginer une proclamation indiquant que l’obligation d’appliquer les règles et les interdits de chaque religion vaut uniquement pour les personnes se réclamant de cette religion et dans le cadre strict des règles et des interdits de la République.

A l’arrivée, un texte tiède, sans engagement, ni condamnation

RSF a demandé aux responsables de culte de prendre acte que « la liberté d’information et d’expression […] ne saurait être contrainte ou limitée par les convictions ou les sensibilités des uns ou des autres ».

N’y avait-il pas moyen d’aller plus loin, d’impliquer les signataires, de leur demander de défendre la liberté d’expression telle qu’elle est aujourd’hui définie par la loi, de leur demander de condamner tous ceux, en France et à travers le monde, qui invoquent Dieu, sa loi ou les religions pour agir contre la liberté d’expression ?

Oui, de toute évidence, il y avait moyen d’aller plus loin. Certains responsables de culte n’auraient peut-être pas signé une telle proclamation ? Et alors ? Ils ne sont que 30 à l’avoir signée en l’état. Surtout, est-ce avec neutralité et tiédeur, en se contentant d’un rappel de la loi, que l’on défendra au mieux la liberté d’expression ? Il suffit de lire le rapport publié en 2013 par RSF sur le blasphème pour être convaincu du contraire.

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