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Hijab Day à Sciences Po, un appel aux humanistes naïfs

Dernière actualisation : 24/10/2017, 15:41
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Le 20 avril 2016, c’était "Hijab Day" à Sciences Po Paris. L’initiative n’avait rien d’innocent quelques jours après les propos maladroits de la ministre Laurence Rossignol sur le voile et les nègres et après ceux de Manuel Valls regrettant qu’il était impossible d’interdire le voile à l’université. Les médias étaient nombreux ce 20 avril à l’entrée de Sciences Po. La journaliste de Libération écrit : « soyons honnêtes, les journalistes étaient bien plus visibles que les voiles ». Celle du Monde poursuit : « la journée a certainement créé le débat, mais peu d’élèves ont finalement joué le jeu ».

Le hijab day a donc été débattu, commenté, critiqué… Est-ce une surprise ? Depuis près de trente ans et l’affaire du voile de Creil, n’est-on pas certain de faire débat en France avec ce bout de tissu dont des femmes musulmanes se couvrent ou s’enveloppent la tête ? Quelques jours après cette petite bulle médiatique, je souhaite revenir sur le texte à l’origine du hijab day, un texte sur Facebook prônant « amour et paix envers tout le monde » et invitant « à participer à une journée de sensibilisation sur la question du foulard en France ». Un texte écrit en entonnoir, qui s’adresse aux humanistes naïfs, mais qui est loin d’avoir été écrit par de naïfs humanistes.

Toi qui aimes la liberté, vis ma vie !

L’appel au hijab day joue sur une idée qui suscite toujours l’unanimité, la liberté, et sur un principe d’action, « Vis ma vie », qui a fait ses preuves dans les émissions de télé-réalité. Ecrit en entonnoir, le texte embarque le lecteur épris de liberté : « si toi aussi tu penses que toutes les femmes devraient avoir le droit de se vêtir comme elles le souhaitent et d’être respectées dans leur choix ». Comment ne pas être d’accord ?

Le texte poursuit sur un ton simple et sympa, en se moquant de ceux qui sont obsédés par le voile et qui le présente comme « le combat de la République ». Il prône le droit à la différence ainsi que l’indifférence face aux différences, avant d’invoquer de nobles combats : « si toi aussi tu es humaniste, féministe, antiraciste, anti-paternaliste, sciences piste, ou tout ce que tu veux ». Qui peut considérer qu’il n’est pas dans ce camp-là et qu’il n’est donc pas concerné par la suite du texte ?

« Démystifier le tissu »

Ce qui est demandé a l’air simple : « se couvrir les cheveux d’un voile le temps d’une journée ». Qui le demande ? Des « femmes musulmanes et non musulmanes, voilées et non voilées (quelques hommes aussi) ». Nous n’en saurons pas davantage. Les journalistes, présents le 20 avril à Sciences Po, parleront surtout de femmes musulmanes voilées. C’est également une femme musulmane voilée, Nazma Kahn, qui a créé et qui pilote le World Hijab Day depuis New York.

Pourquoi proposer d’essayer le voile ? Pour « démystifier le tissu ». Quel est l’objectif pour celles qui essaient le voile ? « Il est double et au choix » : « prendre conscience du regard de l’autre, […] mieux comprendre l’expérience de stigmatisation vécue par de nombreuses femmes voilées en France » et « montrer que nous disposons de nos corps comme nous l’entendons, nous vêtissons comme nous l’entendons ».

Je suis libre, féministe et du côté des victimes

Si je résume, l’appel au hijab day est un texte pour la liberté des femmes et pour leur émancipation face aux discours qui présentent les femmes voilées comme opprimées ou asservies : « c’est la personne qui porte [le voile] qui donne une signification à son vêtement, et elle est la seule légitime à le faire ». Il se trouvera toujours des femmes voilées pour dire que le voile, c’est mon choix. En même temps qu’un appel à la liberté, l’appel au hijab day est aussi un appel à exprimer concrètement sa solidarité avec des femmes qui sont victimes d’actes antimusulmans.

Si je raccourcis encore, porter le hijab, c’est être libre, féministe et du côté des victimes. Après tout, pourquoi pas ? Je suis libre, féministe et du côté des victimes. Je veux que chacun soit libre de s’habiller comme il l’entend, dans les limites fixées par la loi et les mœurs d’une société, en l’occurrence, ici, la société française. Je suis, de plus, convaincu que tous les actes racistes, sexistes, xénophobes, antimusulmans, antisémites et homophobes doivent être combattus avec force. Donc je suis d’accord le texte de l’appel. Donc je suis pour le hijab day à Sciences Po.

Non, nous approchons, ici, des limites et des biais qui m’amènent à penser que l’appel au hijab day s’adresse à de humanistes naïfs, mais qu’il est loin d’avoir été écrit par de naïfs humanistes. Je vais me concentrer sur trois points.

Démystifier, mais dans un cadre fixé par l’islam

On peut prendre de la distance et vouloir démystifier le tissu. Il n’en demeure pas moins que le port du voile est un acte religieux et que cet acte vient avec une vision religieuse du monde.

Contrairement à ce que dit l’appel au hijab day, il ne s’agit pas de démystifier le tissu dans l’absolu, il s’agit de le faire à l’intérieur d’une vision religieuse du monde, celle de l’islam. Si l’on était véritablement dans la liberté qu’affiche le texte, on aurait pu imaginer des femmes voilées en minijupe, des lesbiennes voilées s’embrassant ou des femmes portant des voiles avec des croix chrétiennes, des étoiles de David, des dessins de Charlie Hebdo… Non, ce n’est pas l’esprit de liberté du hijab day. D’ailleurs, cela aurait été vu comme un manque de respect, une provocation ou de « l’islamophobie ».

« Une leçon de morale ambulante »

Au début du texte, au détour d’une phrase, l’appel au hijab day annonce discrètement la couleur : « si toi aussi tu trouves que ce serait sympa d’essayer la décence, le respect de l’autre, l’échange et la compréhension mutuelle ». Essayer la décence ? Cela revient à dire que toutes les femmes ne portant pas le voile sont indécentes. Que dire alors de celles qui sont en minijupe, jeans moulants ou bikini à la plage ?

Le problème avec le port du voile dans l’espace public, c’est qu’il induit une vision du monde pouvant s’imposer à tous, que l’on pratique ou non une religion, que l’on soit musulman ou d’une autre religion. Comme l’écrit Malika Sorel-Sutter dans « Décomposition Française », « toute femme qui se voile ouvre, malgré elle, la voie à l’exercice d’une pression du groupe sur toutes les autres car elle incarne un modèle de dignité et de pureté. Elle devient pour les autres une leçon de morale ambulante ». La même remarque vaut pour d’autres bouts de tissu, comme la kippa dans le judaïsme ou les jupes longues et autres vêtements de la mode décente, mais c’est du voile qu’il est ici question.

Instrumentalisation de la liberté

On peut parler de la liberté en général, prôner la liberté en général, mais se battre uniquement pour une liberté bien spécifique. C’est ce que fait l’appel au hijab day. On peut aussi appeler à être solidaire des victimes et à vivre ce que vivent des victimes, mais considérer uniquement une catégorie bien spécifique de victimes. C’est encore ce que fait l’appel au hijab day.

Les organisateurs du hijab day invoquent de belles choses : la liberté, l’humanisme, le féminisme, l’antiracisme. En fait, ils les instrumentalisent car ils se battent uniquement pour la liberté de porter le voile. En effet, en dépit de leurs écrits, ces mêmes organisateurs se battent-ils aussi pour la liberté de femmes musulmanes à ne pas porter le voile, si tel est leur souhait ? Se battent-ils aussi pour la liberté de toutes les femmes à s’habiller comme elles l’entendent, ce qui inclut la minijupe en ville et le bikini à la plage ? Ces questions sont hors de leur champ de vision.

Toutes les victimes ne se valent pas.

Allons plus loin. L’appel au hijab day invite les femmes qui ne portent pas le voile à faire l’expérience du voile parce que des femmes voilées seraient stigmatisées. Mais des femmes qui ne portent pas le voile, portent, pour certaines, des minijupes et autres vêtements qui sont perçus comme indécents ou comme une disponibilité sexuelle. Ces femmes sont victimes de harcèlement. Selon les lieux, c’est tous les jours, souvent, parfois ou de temps en temps.

Nul ne conteste le propos de la Ministre Pascale Boistard dans Marianne en janvier 2016 : « il y a sur notre territoire des zones où les femmes ne sont pas acceptées, où elles ne sont pas respectées, et où elles sont quasiment obligées de vivre avec cette donnée comme un désagrément du quotidien ». Nul ne conteste le recul de la mixité en de nombreux lieux de l’espace public.

Allons au bout de l’idée de liberté et du principe de télé-réalité « Vis ma vie »… Pourquoi ne pas imaginer que, le temps d’une journée, des femmes voilées ôtent leur voile et portent une minijupe, histoire de « prendre conscience du regard de l’autre » et de « montrer qu’elles disposent de leurs corps comme elles l’entendent » ? Impossible ! Irréaliste dans ce sens-là ! Oui, mais pourquoi ?

Un enjeu profond : la redéfinition de nos mœurs

Revenons au recul de la mixité et aux femmes harcelées. Sans aller jusqu’à l’application inverse de « Vis ma vie », les organisateurs du hijab day voient-ils les femmes harcelées comme des victimes ? Pourquoi des victimes (les femmes voilées) ne viendraient-elles pas soutenir d’autres victimes (les femmes harcelées dans l’espace public) ? Pourquoi des femmes voilées et des femmes en minijupe ne se battraient-elles pas, ensemble, pour le retour de la mixité dans les espaces publics où celle-ci a disparu ? Il faudrait certes quitter Sciences Po et la rue Saint-Guillaume, mais en la matière, il n’y a que l’embarras du choix, tant sont nombreux les territoires à reconquérir.

De façon plus générale, pourquoi les femmes pratiquant une religion, quelle que soit cette religion, ne se battraient-elles pas pour la liberté d’autres femmes à s’habiller comme elles l’entendent, par exemple en minijupe ? En fait, nous touchons, ici, à un enjeu profond, souterrain, donc difficile à percevoir : un recadrage des mœurs, un retour vers la tradition et une redéfinition de la décence dans notre société, en d’autres termes, une restriction des véritables libertés conquises par les femmes au siècle dernier.

Sur ce point, le logo du World Hijab Day a le mérite d’être explicite. En enveloppant la planète d’un hijab, il dit son projet d’appliquer à la planète toute entière les mœurs de l’islam et leurs règles pour les femmes en matière pudeur et de décence.

A tous les humanistes naïfs, continuez d’être humanistes, mais ne soyez plus naïfs !

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