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Après la manif historique du 11 janvier, grand écart entre les éditos des quotidiens

Dernière actualisation : 18/09/2015, 15:43

Le 11 janvier, la France a vécu une journée historique, l’émotion fut immense, la mobilisation extraordinaire. Au lendemain de cette communion digne et fraternelle, comment ne pas être surpris par le grand écart entre les éditos du Monde, du Figaro et de Libération ? Ce grand écart me semble être à la mesure des malentendus qui ont, aussi, marqué le 11 janvier 2015.

Le Monde : réaliste sur les menaces, peu convaincant dans son rejet de nouvelles dispositions sécuritaires

L’édito du Monde, intitulé « Le message du 11 janvier », pose une question essentielle : « comment éviter que de tels actes se reproduisent ? ». La fierté d’avoir fait l’Histoire le 11 janvier ne masque pas la réalité : « la France est confrontée à la menace terroriste islamiste depuis longtemps » et les terroristes dont « nous savons désormais qu’ils vivent parmi nous » prépareront d’autres attentats.

L’édito du Monde entend cadrer le débat qui monte sur la sécurité. Alors même qu’il a lui-même intitulé « le 11 septembre français » son édition sur l’attentat contre Charlie Hebdo, le Monde appelle à « éviter le piège du 11 septembre aux Etats-Unis » : « un arsenal de répression et de surveillance sans précédent ». Il refuse de nouvelles dispositions sécuritaires en utilisant trois arguments de nature différente, mais peu convaincants :

  • Il considère que toute nouvelle disposition sécuritaire renvoie à la figure répulsive de Georges Bush et de sa « guerre mondiale contre la terreur », comme s’il était impossible d’agir en matière de sécurité sans s’inscrire dans la continuité de Georges Bush.
  • Il juge que de nouvelles dispositions sécuritaires n’ont pas lieu d’être puisque la France est déjà dotée de dispositions visant à lutter contre le terrorisme, comme s’il était impossible d’actualiser ou de compléter une politique en fonction de l’évolution des menaces.
  • Enfin et surtout, il confond les manifestants du 11 janvier avec le peuple de France, « descendu massivement dans la rue », puis fait parler le peuple de France, comme d’autres font parler les morts ou les absents. Il attribue au peuple le refus de nouvelles dispositions sécuritaires. Car tel est, selon Le Monde, le message du 11 janvier.

Le Figaro : nommer les problèmes pour pouvoir construire la France de demain.

L’éditorial d’Alexis Brézet, intitulé « Après l’émotion, le courage », est le plus long des trois éditos analysés. A la différence des deux autres éditos, l’édito du Figaro :

  • emploie le mot « civilisation » et inscrit la défense de nos libertés dans la défense de notre civilisation ;
  • pointe les contradictions, les arrière-pensées et les incongruités – « (le bras droit d’Erdogan, tout de même, il fallait oser !) » - au sein du cortège officiel ;
  • ne confond les manifestants ni avec l’ensemble du peuple français, ni avec la République ;
  • s’adresse aussi à ceux qui n’ont pas manifesté ou qui n’ont pas crié « Je suis Charlie », de façon à expliquer leur motivation et à les inclure dans la Nation ;
  • répond, en creux, aux deux allocutions de François Hollande en nommant l’ennemi – l’islamisme – et en qualifiant de guerre la situation présente ;
  • souligne qu’une manifestation ne suffit pas pour combattre le terrorisme, ni pour régler la crise actuelle de la démocratie représentative ;
  • parle d’identité et inscrit le défi actuel du terrorisme dans « un conflit qui prend ses racines dans la crise de l’intégration et la rupture de transmission ».

Surtout, l’édito du Figaro invite à « éviter, non pas le choc des cultures, mais le ‘choc des incultures’ ». Il évoque ce qu’est la France : son histoire, sa civilisation, son art de vivre. Il pose l’enjeu de transmettre aux jeunes les valeurs qui font la France et de « leur faire entendre qu’ils ne sont pas obligés d’être Charlie, mais qu’ils peuvent être fiers d’être Français ».

Au final, l’éditorial d’Alexis Brézet prend le temps de nommer les choses, d’unifier la Nation et de purger les malentendus parce que, sans ce travail et sous l’emprise de la seule émotion, le diagnostic et les remèdes seront mal dosés, inadaptés, excessifs ou insuffisants.

Libération met les faits au service de sa vision du monde.

L’éditorial de Laurent Joffrin, intitulé « un élan magnifique », célèbre « la plus grande manifestation depuis la Libération ». Il parle, avec justesse, d’une attaque contre « les fondations de la République » : « chacun a ressenti, au plus profond de lui-même, que tout ce qui le protège, tout ce qui lui assure une vie adulte et responsable, tout ce à quoi il croit a été attaqué par les fanatiques ». Pour le reste, Libération met les faits au service de sa vision du monde et présente sa lecture des enseignements à tirer et des combats à mener :

  • Il considère que les manifestants du 11 janvier sont la République, tout comme l’édito du Monde confondait les manifestants avec le peuple de France. Ce faisant, il semble exclure de la République tous ceux qui n’ont pas manifesté, à l’opposé de l’appel à l’unité, lancé à deux reprises par François Hollande.
  • Il ne voit à l’horizon aucune nouvelle menace terroriste, à l’inverse du Monde et du Figaro. « La République a été frappée au cœur. Deux jours plus tard, la République est debout ». On a l’impression que l’histoire se termine ici et que, le 11 janvier, la République a vaincu.
  • Il voit dans le succès populaire de la manifestation une re-légitimation des enseignants, des élus et des journalistes. Ceux-ci auraient réussi à bien éduquer les masses puisque les masses sont descendues dans la rue. Quel raccourci !
  • Il parle d’assassins, de fanatiques, mais ne dit pas au nom de quoi ceux-ci agissent. Comme François Hollande et à l’inverse du Monde et du Figaro, il ne parle pas de l’islamisme et ne nomme pas ceux qui ont commis les attentats de janvier 2015 en France.
  • Il désigne un ennemi pour les combats à mener : « la peste identitaire », « les cinglés du dogme, les exaltés du nationalisme, les adversaires de la Raison ». Il renvoie à une vision du monde où les hommes s’affranchiraient du poids de leurs identités, en refusant de voir que le monde a pris une autre direction.
  • Il présente sa solution en deux phrases, mises l’une à côté de l’autre - « Chacun a droit à sa patrie, à sa religion, à sa tradition, à ses racines. Personne n’a le droit de les imposer aux autres », en faisant comme s’il était facile de concilier ce droit et cet interdit.

Au final, peu importe les faits, peu importe qui commet les attentats, l’éditorial de Laurent Joffrin donne l’impression que seule compte la vision que Libération porte sur eux et entend véhiculer.

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