La primaire de la droite et du centre n’était pas une course de fond, mais un sprint. Les derniers sondages publiés avant le vote donnaient trois candidats dans un mouchoir de poche. La surprise est donc moins la victoire de François Fillon que l’écart de 16 points avec Alain Juppé, arrivé en deuxième position.
Il n’en demeure pas moins que l’écart est immense entre les 44% obtenus par François Fillon le 20 novembre et les résultats des sondages en septembre, soit seulement deux mois avant : François Fillon plafonnait alors à 8% d’intentions de vote et était donné gagnant par 3% des Français (source : sondage Kantar Sofres OnePoint, réalisé du 21 au 26 septembre).
Aux nombreux commentaires des résultats de ce dimanche, je souhaite ajouter huit explications à retenir en vue des prochaines élections qui, elles aussi, auront leur lot de surprises.
La perspective de surprises est porteuse d’espoirs chez les uns. Ils trouveront du réconfort dans le rappel des sondages de septembre ou se réjouiront à la perspective d’un affrontement « classique » et tranché entre gauche et droite, laissant peu d’espace au centre et marginalisant les extrêmes. Mais cette perspective pourrait ou devrait aussi en inquiéter d’autres. Marine Le Pen pourrait ainsi s’inquiéter d’être constamment annoncée au deuxième tour de la présidentielle ou de voir contre elle un candidat à la fois libéral et conservateur, à même d’attirer plusieurs composantes de son électorat.
Une chose est certaine : la surprise de dimanche rebat les cartes. Essayons maintenant quelques explications.
1 – Les électeurs votent d’emblée utile.
Le 20 novembre, les participants à la primaire avaient le choix entre sept candidats. A la lumière des derniers sondages, ils ont compris que le seul enjeu du premier tour était la qualification pour la finale de deux des trois candidats du trio de tête. Ils ont donc d’emblée voté utile : ils ont concentré 93,4% des votes sur ce trio. Le vote utile explique probablement l’énorme écart de 18 points d’écart entre le troisième, Nicolas Sarkozy, et la quatrième, Nathalie Kosciusko-Morizet. Une même concentration des voix sur les trois premiers candidats pourrait tout à fait se reproduire au premier tour de la présidentielle.
2 – Au premier tour, il ne faut pas se tromper d’adversaire.
Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ont, tous deux, fait la course en tête pendant plusieurs mois dans les sondages. Ils se sont positionnés l’un par rapport à l’autre, en ignorant les autres candidats. Alain Juppé a cherché à préserver son avance, sans prendre de risque. Nicolas Sarkozy a réussi, lui, à installer l’idée qu’Alain Juppé était un centriste tiède et mou qui ne ferait pas grand-chose.
Ni l’un, ni l’autre n’a réalisé qu’il faisait la courte échelle à François Fillon. Ni l’un, ni l’autre n’a pensé que sa place de finaliste devait être sécurisée. Si la menace semblait théorique en octobre, elle aurait dû guider leur campagne pendant les dix derniers jours et, en particulier, lors du dernier débat TV. Les sondages de novembre soulignaient, en effet, de fortes variations : par exemple, chez Kantar Sofres, +7 points pour Fillon et -6 points pour Juppé par rapport à octobre. Mais Alain Juppé et Nicolas Sarkozy n’ont rien changé. L’un et l’autre n’ont pas vu qu’ils avaient changé d’adversaire pendant les dix derniers jours.
3 – Chaque électeur vote en fonction d’un ou deux enjeux qui sont, pour lui, prioritaires.
Au premier tour de la primaire, un enjeu prioritaire pour de nombreux électeurs était d’éviter un deuxième mandat de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Selon Harris Interactive, 42% des participants à la primaire ont voté pour empêcher Sarkozy de gagner. Si l’on retire les électeurs voulant la victoire de Sarkozy, on arrive à plus de 54% d’électeurs voulant que Sarkozy ne gagne pas. C’est énorme.
L’ancien Président n’a pas compris que sa personne, son image et son incarnation de la fonction présidentielle posaient problème à de nombreux Français. Il n’a pas essayé de modifier son image et de se faire moins détester. Il a choisi, au contraire, de cliver, d’attiser son cœur de cible, d’attaquer le « système » et de se poser en victime des « révélations » (Bygmalion, Patrick Buisson, Lybie).
Nicolas Sarkozy n’a pas eu tort sur toute la ligne. Il a clairement identifié l’autre enjeu prioritaire pour de nombreux participants à la primaire : la volonté d’une alternance forte, par opposition à la volonté de modération, affichée par Alain Juppé. Alternance forte sur les sujets économiques, mais aussi identitaires et sociétaux. Nicolas Sarkozy avait certes identifié l’enjeu, mais c’est François Fillon qui en a profité.
4 – Le vote contre un candidat est un vote volatil puisque par défaut.
Vouloir faire perdre un candidat n’est pas un vote d’adhésion pour le candidat choisi. C’est un vote qui permet de changer le nom sur le bulletin de vote jusqu’à la dernière minute. C’est aussi un vote qui permet de se détacher rapidement du candidat que l’on a élu. D’une certaine façon, la France a déjà fait l’expérience d’un vote par défaut en 2012. Elle n’a probablement pas envie de la renouveler.
Pendant de longs mois, Alain Juppé a fait la course en tête dans les sondages parce qu’il était perçu à la fois comme l’anti-Sarkozy et comme le candidat capable de battre Sarkozy. De nombreux participants à la primaire n’ont plus eu besoin de lui lorsqu’ils ont réalisé qu’un autre candidat incarnant l’anti-Sarkozy pouvait, lui aussi, battre Sarkozy. L’autre candidat est pour une alternance forte. Alors bye bye Juppé ! 67% des électeurs de François Fillon ont décidé de voter pour lui courant novembre, selon Harris Interactive.
5 – Le vote est davantage émotionnel que rationnel. Il faut donner envie.
Etre le meilleur président sur le papier ne suffit pas. Dans le sondage Kantar Sofres réalisé du 6 au 10 novembre, 49% des Français et 67% des personnes indiquant voter à la primaire jugeaient qu’Alain Juppé ferait un bon Président de la République, devant François Fillon (respectivement 34% et 60%, mais en très forte hausse). Mais cette analyse rationnelle n’a pas suffi à faire gagner Alain Juppé, tout comme elle n’a pas suffi à faire gagner Hillary Clinton aux Etats-Unis.
Alain Juppé est resté sur un électorat d’opposants à Sarkozy, venant de tout horizon politique et choisissant rationnellement qui est le mieux placé pour battre Sarkozy. Il n’a pas réussi à donner envie. Il n’a pas créé d’adhésion à sa personne, à son projet, ni même à sa morale, à la différence de François Fillon. 70% des électeurs qui ont voté Juppé l’ont fait pour sortir Sarkozy (source : Harris Interactive). C’est la motivation la plus forte. Viennent ensuite la personnalité de Juppé (54%), son honnêteté (50%) et son projet (46%).
L’écart est très grand avec François Fillon qui a été choisi par 79% de ses électeurs pour son honnêteté, par 71% d’entre eux pour son projet et par 69% d’entre eux pour sa personnalité. Seuls 40% des électeurs qui ont voté Fillon l’ont fait pour sortir Sarkozy.
6 – Les débats à la télévision font perdre, mais aussi gagner des points.
Depuis début octobre, on a beaucoup entendu qu’un débat à la télévision confortait des opinions, mais ne les modifiait pas, sauf en cas de grosse erreur de l’un des candidats. On a aussi beaucoup entendu que les débats étaient longs, ennuyeux ou focalisés sur des sujets annexes (François Bayrou), que les deux finalistes annoncés, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, n’y avaient certes pas brillé, mais qu’ils n’avaient pas commis d’erreur et avaient su gérer leur statut de favori sans prendre de risque.
Au final, les débats à la télévision ont permis à de nombreux Français de réaliser qu’il existait une alternative à Alain Juppé pour battre Nicolas Sarkozy, que cette alternative avait un projet bien charpenté et qu’elle pouvait donner envie. Incontestablement, les débats à la télévision ont fait gagner des points à François Fillon. Ils ont été les catalyseurs de son ascension express… et de la chute de Bruno Le Maire.
7 – Il est contreproductif de chercher à fermer une élection ouverte.
Nicolas Sarkozy a perdu parce que de nombreux Français le détestent, mais aussi parce que sa stratégie n’a pas réussi à modifier cette détestation. Elle l’a, au contraire, ravivée.
Nicolas Sarkozy s’est ainsi battu sur la nature-même de la primaire : une élection ouverte à laquelle n’importe qui peut voter. Au lieu d’accepter les règles du jeu, Nicolas Sarkozy a cherché à fermer l’élection en criant au risque d’une élection volée et en traitant de parjure les électeurs de gauche… qui considèrent n’avoir aucune leçon de morale à recevoir de l’ancien Président.
Cette stratégie a accentué l’image clivante et sectaire de Nicolas Sarkozy. Elle a probablement donné envie à de nombreuses personnes de venir voter… contre lui. Selon Harris Interactive, 14% des participants au 1er tour de la primaire sont de gauche et 16% sont sans préférence partisane. 50% de ces électeurs de gauche et 45% de ces électeurs sans préférence partisane ont décidé de participer à la primaire courant novembre et, dans leur très grande majorité, le jour de la primaire ou quelques jours avant.
8 – On ne peut pas clamer « j’ai changé » et faire campagne comme avant.
Depuis sa défaite en 2012, Nicolas Sarkozy n’a jamais véritablement disparu de l’actualité, ne serait-ce qu’à cause des péripéties de ses différents dossiers judiciaires. Certes, il a dressé, lui-même, l’inventaire de son quinquennat. Certes, il a clamé, à chaque étape d’un come-back sans surprise, mais semé d’embûches, qu’il avait changé. Mais, au final, il n’a jamais réussi à montrer en quoi il avait changé. Il a cherché, au contraire, à rassurer son fan-club, un peu à l’instar de Julio Iglesias chantant « je suis toujours le même ».
Le temps semble s’être figé entre mai 2012 et l’été 2016. Pour la campagne des primaires, Nicolas Sarkozy a repris les thèmes, la scénographie et les outrances de sa campagne de 2012, tout entier à son projet de montrer qu’il est toujours une « bête de scène » et qu’en la matière, Alain Juppé ne lui arrive pas à la cheville. Ce faisant, Nicolas Sarkozy a ravivé les souvenirs et les haines de 2012, y compris le jour de l’élection. « Candidat du peuple », il a alors montré à tous les Français qu’il ne faisait pas partie du peuple lorsqu’il a doublé les électeurs faisaient la queue au bureau de vote, à la différence de ses rivaux qui ont, eux, patienté avant de voter. Encore quelques points perdus pour des images !
Tout au long du quinquennat de François Hollande, plusieurs sondages ont indiqué que 80% des Français ne voulaient pas d’un match retour Hollande-Sarkozy au deuxième tour de la présidentielle de 2017. Les Français sont maintenant certains que ce match retour n’aura pas lieu. Une victoire de François Fillon à la primaire de la droite ouvrirait un grand espace pour un candidat social-démocrate représentant la gauche de gouvernement. Si François Hollande décide d’être ce candidat, il trouvera matière à espérer dans la victoire de François Fillon. Restera alors à voir si l’actuel Président saura retenir toutes les leçons du scrutin du 20 novembre car les Français ne veulent pas d’une deuxième élection présidentielle par défaut.
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