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Esquives et morale dans le discours de François Hollande aux héros du Thalys

Dernière actualisation : 25/08/2015, 10:53

François Hollande a remis, le 24 août 2015, la Légion d’honneur à quatre des six héros qui ont empêché un carnage dans un Thalys Amsterdam-Paris. Il a, bien sûr, rendu hommage à leur courage et à leur sang-froid, comme tant d’autres à travers le monde. Quelques extraits de son allocution de 12 minutes ont été repris par tous les médias. Je me suis intéressé à l’intégralité de la vidéo, en ligne sur le site de l’Elysée.

Depuis janvier 2015, François Hollande a prononcé plusieurs discours suite à des attentats. Son discours du 24 août 2015 est dans la continuité des précédents avec le refus de nommer l’ennemi. En faisant l’éloge de l’action individuelle, il dit, en creux, l’impuissance de l’Etat.

Des sourires et moins de gravité qu’en janvier 2015

François Hollande apparaît moins grave, moins solennel sur l’ensemble des 12 minutes de ce discours que lors de ses allocutions filmées suite aux attentats de janvier 2015. Il sourit souvent. Il se comporte parfois comme s’il s’agissait d’une remise habituelle de Légion d’honneur.

On peut trouver des explications à ces sourires. François Hollande se souvient peut-être de l’éprouvante cérémonie du 13 janvier 2015 où il a décoré trois policiers à titre posthume. Il est peut-être soulagé d’avoir échappé à une tragédie ou heureux de rendre hommage à des vivants. Mais comme il ne dit rien sur ses sentiments, il y a un décalage entre sa tonalité et la gravité de l’événement.

Un plan fixe cadré serré, qui dessert François Hollande

En plus de ce décalage, François Hollande est pénalisé par la scénographie de la cérémonie (2 héros à sa droite et 2 héros à sa gauche) et par un cadrage très serré : il apparaît seul, derrière son pupitre, dans un long plan fixe. Aucune image des héros, aucune image de l’assistance.

On voit François Hollande regarder à droite, puis à gauche, s’adresser à droite, puis à gauche, sans voir à qui il parle, donc avec l’impression de voir une girouette ou le spectateur d’un match de tennis, alors même que l’on attend du Chef de l’Etat stabilité, détermination et leadership sur un sujet tel que le terrorisme. Il aurait suffi d’un cadrage plus large ou d’une deuxième caméra pour éviter ce problème d’image.

Ne pas dire que le terroriste est islamiste, comme en janvier 2015

J’en viens au fonds. François Hollande continue de ne pas nommer l’ennemi, à l’instar de ce qu’il avait fait en janvier 2015. Il qualifie Ayoub El Khazzani de « terroriste », de « forcené », mais n’en dit pas davantage. Il n’emploie pas les mots « islamiste » ou « salafiste » qui ont, pourtant, valu à Ayoub El Khazzani d’être signalé par les autorités espagnoles et d’être fiché par la DGSI en France.

Si l’on s’en tient à ce discours de François Hollande comme à ses allocutions du 7 janvier et du 9 janvier 2015, on a affaire à des terroristes dont le seul but est de terroriser, comme si la terreur était une fin en soi, sans qu’il soit utile ou pertinent de parler de la cause ou de l’idéologie au nom de quoi les terroristes terrorisent.

Esquiver jusque dans le choix des titres

Dans cette volonté d’esquiver, l’intitulé choisi par l’Elysée pour la cérémonie du 24 août 2015 est symptomatique : « Réception des citoyens américains, britanniques et français ayant permis de maîtriser l’auteur de l’attaque du train Amsterdam – Paris ». Il n’y est question ni d’attentat, ni de terrorisme.

La vidéo de l’allocution et la vidéo de la remise des décorations, qui sont en ligne sur le site de l’Elysée, ont, elles aussi, des titres évasifs : « Allocution à la réception des sauveteurs du Thalys » et « Remise de la Légion d’honneur aux héros du train Amsterdam-Paris ». Sauveteurs…  Le Thalys aurait-il eu un accident ?

S’élever ou se réfugier dans des abstractions morales ?

Non seulement François Hollande ne nomme pas l’ennemi, mais il n’évoque ni les attentats de ces derniers mois, ni la menace terroriste qui continue de peser sur la France et sur les autres pays d’Europe. La guerre contre le terrorisme, l’islamisme et le djihadisme, si l’on reprend les mots de Manuel Valls en janvier 2015, est remplacée en août 2015 par l’opposition morale entre le bien et le mal : « face au mal qui est là et qui s’appelle le terrorisme, il y a un bien, celui de l’humanité, c’est celui que vous incarnez ».

Cette rhétorique est proche de celle des religions et rappelle Georges W Bush (l’axe du mal). Elle est nouvelle et surprenante chez François Hollande. Celui-ci cherche-t-il à sublimer les actes courageux des 4 héros ou à s’extraire des réalités dures, inquiétantes et violentes la lutte contre l’islamisme ?

Les nationalités versus l’humanité

Dans son discours, François Hollande a cité, à plusieurs reprises, les nationalités américaines, britanniques et françaises des héros du Thalys, sans jamais mentionner la nationalité d’Ayoub El Khazzani. De deux choses, l’une : soit la nationalité vaut d’être citée pour tous, les bons comme les méchants, soit elle ne vaut pas d’être citée.

Cette question des nationalités semble, de toute façon, poser problème, peut-être du fait de la sous-représentation des Français. François Hollande déclare : « vous n’étiez pas seuls, d’autres se sont levés avec vous ; […] ils ont d’une certaine façon combattu ; […] vendredi soir, ces hommes étaient de toutes nationalités ; […] ils ont formé une communauté humaine du meilleur pour éviter le pire ». Il revient ainsi à sa lecture morale de l’événement, une lecture qui transcende les nationalités.

Philosophie de l’action, éloge du courage ou impuissance de l’Etat ?

François Hollande cite l’un des héros du Thalys : « dans un moment de crise comme ça, j’aimerais que les gens comprennent qu’il faut faire quelque chose ». Ce héros parle de l’expérience qu’il vient de vivre, de son refus de la résignation et d’une mort passive, de la nécessité de prendre des initiatives individuelles.

François Hollande s’approprie cette phrase forte et l’applique à l’Etat. Il s’en suit des phrases creuses sur des dispositions à prendre et sur des réunions à organiser. Car François Hollande n’est pas dans l’urgence face à la mort, il est dans la réaction d’institutions visant à empêcher des attentats… sans, d’ailleurs, chercher à lutter contre la cause qui motive les attentats puisque cette cause n’est pas nommée.

 

Au final, François Hollande fait l’éloge du courage, mais ne rassure pas. Il veut dire que nos sociétés ne sont pas faibles face au terrorisme. Il le dit à travers des phrases fortes qui s’adressent aux individus, sans référence à l’action publique : « face au terrorisme, nos sociétés […] ne seront pas faibles tant qu’il y aura des hommes et des femmes courageux, prêts à risquer leur vie ». François Hollande nous dit-il en creux que nous, individus, ne pouvons compter que sur nous-mêmes ?

 

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