Pourquoi Hollande, Valls et Macron n'ont pas pu éteindre la polémique sur les fonctionnaires? - Mediapicking
FRANCE
  • #EmmanuelMacron
  • #FrançoisHollande
  • #ManuelValls
  • #Fonctionnaires

Pourquoi Hollande, Valls et Macron n'ont pas pu éteindre la polémique sur les fonctionnaires?

Dernière actualisation : 03/09/2017, 19:28
Embed from Getty Images

Micron, macaron, Mowgli, con… Les épithètes ont volé la semaine dernière sur Emmanuel Macron. Je me suis intéressé, ici, à la communication de François Hollande, de Manuel Valls et d’Emmanuel Macron suite aux propos sur les fonctionnaires du 18 septembre au matin. Pourquoi cette communication, pourtant rapide, n’a pas pu éteindre la polémique ? J’examinerai, dans un autre texte, le recours à l’opinion à travers un sondage publié le 24 septembre par Le Figaro.

L’étincelle à l’origine de l’incendie

Tout a commencé le 18 septembre au matin, lorsqu’Emmanuel Macron a répondu à une question d’une journaliste de Challenges, sur la timidité de la réforme de l’Etat. Sa parole fut libre et directe, peut-être par naïveté parce que les échanges dans le think tank étaient supposés « off the records », peut-être par posture parce qu’il en a assez de la musique de fond des propos mous que l’on n’écoute plus.

Quelques heures plus tard, Challenges, puis Les Echos (également présent à la réunion du matin) écrivaient qu’Emmanuel Macron remettait en cause le statut des fonctionnaires : un statut qui, selon le premier, « n’est plus adéquat pour certaines missions » et qui, selon le second, « n’est plus adapté au monde tel qu’il va » et « surtout n’est plus justifiable compte tenu des missions ».

Impossible d’éteindre la polémique. Pourquoi ?

La séquence sur les fonctionnaires est lancée. Elle fait suite à une séquence similaire sur les 35 heures suite à des propos tenus lors de l’Université d’Eté du MEDEF. Elle s’inscrit dans une volonté assumée de secouer les totems et les tabous. Elle porte sur un sujet qui fait régulièrement les délices des médias, des dîners, de la Cour des Comptes et des comptoirs de bars.

Malgré leurs réactions dès le 18 septembre au soir, François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron s’avèrent incapables d’éteindre la polémique. Leurs communications ne portent pas. Pourquoi ? En toile de fond, Manuel Valls et, surtout, François Hollande souffrent d’un très faible niveau de confiance et leurs paroles sont démonétisées. Chacun a quelque chose à dire sur les fonctionnaires et nous nous sommes accoutumés aux séquences allumées par des propos libres et directs d’Emmanuel Macron.

Il y a aussi, je crois, une autre raison qui relève de la communication. François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron ont répondu à une parole directe, libre et officieuse par des paroles allusives, contraintes et officielles.

Parole libre le matin, parole officielle le soir

Commençons par Emmanuel Macron. Le 18 septembre au soir, il fait à l’AFP une déclaration officielle qui, d’ailleurs, confirme implicitement les propos du matin : « A aucun moment, je n’ai parlé d’une réforme du statut de la fonction publique que le gouvernement envisagerait. […] Les propos partiels rapportés donnent une vision déformée de ma pensée. Il ne peut y avoir aucune polémique à ce sujet. »

Quel grand écart entre le ton libre du matin et le ton contraint du soir ? Notre éducation aux médias, notre appétence pour le décryptage et notre accoutumance aux démentis empêchent de prêter crédit à un rétropédalage qui en rappelle tant d’autres, réalisés après des propos critiqués ou désavoués ? Et si quelqu’un avait un doute, Emmanuel Macron enfonce le clou, le 24 septembre, à Londres : « les jeunes générations veulent devenir entrepreneurs, pas fonctionnaires ou politiciens ».

Double contrainte : ni approuver, ni condamner

Manuel Valls, tout comme François Hollande, veut bloquer un sujet explosif à trois mois d’élections régionales qui s’annoncent catastrophiques pour son parti. Il réagit sous contrainte : il ne peut ni approuver, ni critiquer son ministre de l’Economie. Toute approbation ferait exploser la majorité. Toute critique laisserait à Emmanuel Macron le monopole de la modernité et du réformisme. Surtout, une critique sans acte (le renvoi d’Emmanuel Macron) entacherait l’autorité qui est un trait essentiel de son personnage public. Chacun a, ici, en tête le renvoi d’Arnaud Montebourg.

Le jeu "perso" de Manuel Valls

Ni approuver, ni critiquer. Manuel Valls va donc jouer "perso" en déclamant son attachement à la fonction publique et en se positionnant comme le chef expérimenté qui fait la leçon à son jeune ministre. Celui-ci est qualifié de « talentueux », sous-entendu fougueux et devant encore se bonifier. Le 24 septembre, Manuel Valls l’interpelle, le sourire aux lèvres et avec le ton de la plaisanterie, sur le plateau de l’émission de F2, Des Paroles et Des Actes : « Emmanuel, tu n’as pas fait ça ! ». Plusieurs médias embrayent dans cette dialectique du maître et de l’élève. Un sondage Odoxa pour i-Télé titre ainsi : « L’élève Macron n’a pas (encore) dépassé le maître Valls ».

Les réactions de Manuel Valls participent à la construction de son personnage public et font probablement du bien à sa cote auprès des sympathisants de gauche. Elles ne se soucient guère de l’obligation pour un chef de veiller à la cohésion de son équipe, alors même que les relations sont tendues entre de nombreux ministres et Emmanuel Macron, qualifié de « ministre de tout » (cf. article de Libération du 26 septembre « Macron : ils l’aiment eux non plus »). Enfin et surtout, elles n’empêchent pas la polémique de prospérer parce que le Premier ministre n’assume pas et a fortiori ne traite pas le fait que son ministre le plus populaire tient des propos contraires à sa politique.

Les réponses en biais de François Hollande

François Hollande est, lui aussi, condamné à ne pouvoir ni approuver, ni critiquer celui qu’il a installé à Bercy et en qui plusieurs médias voient un fils spirituel (cf. article de Libération « L’homme du président »). Ses deux réactions sont allusives : un éloge de la fonction publique lors d’une remise de décoration à un fonctionnaire à Tulle, puis une réponse qui invite au silence (« parfois, le silence est d’or ») à une question posée lors d’une conférence de presse à Bruxelles.

De nombreux médias ont considéré que les propos tenus à Tulle étaient « un recadrage » d’Emmanuel Macron. Force est de constater le recadrage fut sans effet sur la polémique et sur l’intéressé qui a remis les fonctionnaires sur la table le 24 septembre à Londres.

Deux versions et le refus d’assumer

Comme Manuel Valls, François Hollande répond en biais à des propos libres et directs. Cela ne fonctionne pas. Pire, il y a maintenant la version officielle et la version officieuse de la réaction de François Hollande aux propos d’Emmanuel Macron. La version officieuse est que le Président aurait menacé son ministre de renvoi à la prochaine récidive (cf. Libération du 26 septembre). La version officielle est que le Président n’aurait pas été agacé par les propos de son ministre (cf. LeMonde.fr du 19 septembre), puis que l’Elysée ne confirme pas la colère froide (cf. Libération du 26 septembre). Ce double discours est un symptôme du refus d’assumer. Dans ces conditions, comment espérer être écouté des Français?

Culture du soupçon et de l’officieux

François Hollande et Manuel Valls s’avèrent incapables d’éteindre la polémique probablement aussi pour une autre raison : leurs communications ont un statut officiel (remise de décoration, conférence de presse, congrès du PRG, émission de télévision), tandis que les propos à l’origine de la séquence avaient un statut officieux, « off the records ».

Le décalage entre l’officiel et l’officieux renvoie à l’idée complotiste que la vérité est dans l’officieux et que les discours officiels n’engagent que ceux qui veulent y croire. Il renvoie également au soupçon récurrent que François Hollande et Manuel Valls ont un agenda caché de nature libérale et qu’Emmanuel Macron est leur poisson-pilote puisqu’il n’est jamais réprimandé publiquement. Rappelons aussi que le soupçon était revenu avec force quelques jours auparavant à propos du Code du Travail et de la séquence de communication aboutissant à la nécessité de le réformer.

Répondre cash à une parole cash?

Plusieurs ministres et responsables socialistes ont, eux aussi, réagi aux propos d’Emmanuel Macron sur les fonctionnaires de façon allusive et contrainte, sans attaquer frontalement leur collègue, ni dire publiquement tout le ressentiment qu’ils ont à son égard. A titre d’exemple, citons les propos de Marylise Lebranchu, directement concernée puisque ministre de la Fonction Publique : « Il faut être extrêmement prudent, parler le moins possible et ne pas oublier qu’y compris dans un petit groupe de réflexion il y a toujours quelqu’un pour reprendre une phrase que vous avez jetée ». On parle de la forme, on n’assume pas le différend et, encore moins, ses conséquences.

Au final, une seule réaction aura marqué les esprits – le « Macron... Comment vous dire ? Ras-le-bol ! » de Martine Aubry – probablement parce qu’il s’agit d’une parole libre et directe, en réponse à une autre parole libre et directe. Une expression s’est imposée pour désigner ce type de parole : parler cash. Faut-il déduire de cette séquence que seul le cash peut contrer le cash en communication ?

Commentaires (0)

Votre commentaire a bien été enregistré et est en attente de validation.