Les limites d'un Lucettegate très parisien - Mediapicking
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Les limites d'un Lucettegate très parisien

Dernière actualisation : 03/11/2015, 18:28

Peut-on parler d’un “Lucettegate”? A en croire l’ampleur de la polémique qui a occupé les devants de la scène politique et médiatique les 1er et 2 novembre, on peut le penser. Lors de sa visite jeudi à Vandœuvre-les-Nancy, en Lorraine, François Hollande est allé prendre le café chez Lucette, une infirmière à la retraite de 69 ans. Tout aurait pu s’arrêter là ; cette visite en marge d’un déplacement consacré à des annonces plus importantes aurait dû rester au même niveau que ces petites rencontres qu’affectionne désormais le président de la République, avec lesquelles il a renoué selon sa stratégie dite de la couture.

C'était sans compter sur la curiosité de BFM TV qui est allé à la rencontre de cette désormais fameuse Lucette pour comprendre comment l'accueil d'un chef de l’Etat s'organisait. Dans un reportage, diffusé en boucle - chaîne d’information en continu oblige - intitulé "Les coulisses de la rencontre entre François Hollande et Lucette”, on apprend que la mairie aurait tout organisé en amont, de la décoration, au café, en passant surtout par les sujets à aborder : "Mardi, des gens sont venus, de l'Elysée, pour me poser des questions, pour savoir ce que je devais dire et ne pas dire. Je voulais dire qu'il s'occupait beaucoup d'immigrés et pas beaucoup des clochards qui crèvent dans la rue, mais ça, il ne fallait pas que je le dise” y déclare la retraitée. Alors coup de com' ou manipulation ? Le débat est posé par Salhia Braklhia, auteure du sujet, ancienne du Petit Journal, et donc habituée à révéler les dessous des cartes.

Un débat qui n’est pas resté limité au terrain de l’analyse de la communication présidentielle, mais qui s’est vite étendu au politique. En effet, l'opposition s'est bien sûr engouffré dans la brèche ouverte par BFM TV, contrant le tweet de Gaspard Gantzer, le communicant en chef de l'Elysée relatant la visite par un cinglant “Ridicule mise en scène et indigne manipulation de #Lucette B. par l'Élysée !” publié sur le compte d’Eric Ciotti, ou “Voilà à quoi en est réduit la présidence pour essayer de paraître encore un tant soit peu populaire…” de Marion Maréchal-Le Pen.

Les médias nationaux unanimes sur la manipulation

Comme vexés d’avoir été trompés par un subterfuge de communication, les médias nationaux vont alimenter la polémique en faisant de cette affaire un fait majeur de l'actualité politique de ce lendemain de Toussaint. Le Figaro va même jusqu’à y consacrer sa Une, affichant en gros titre sur sa première page  : “Hollande : l’échec de l’hypercommunication”. Le quotidien va pousser le vice en donnant la parole exclusivement à des sources de gauche, qui critique cette suractivité médiatique, passant d'une matinale radio au magazine Le Chasseur Français : “Alors que Hollande ne décolle pas dans les sondages, cette communication tous azimuts suscite de plus en plus d'interrogations au sein de la majorité. «Il saute sur tout ce qui bouge», soupire le député PS Christophe Caresche (…) Sévère, un ministre ne dit pas autre chose: «Cette frénésie de déplacements est surréaliste et rend illisible son action. En période de crise, plus vous vous agitez, plus vous faites peur. Il faut au contraire faire preuve de maîtrise, rester présidentiel.»”

Le Figaro poursuit sa critique de l’opération présidentielle, à travers la chronique hebdomadaire de Maxime Tandonnet sur l’exercice du pouvoir, publiée sur le FigaroVox : “Le scénario de Vandœuvre-les-Nancy rappelle plutôt le montage raté d'Edouard Balladur pendant la campagne présidentielle de 1995, qui avait simulé de A à Z une panne de voiture et un recours à l'autostop pour tenter de donner une image de proximité du peuple. Cependant, il n'était alors que candidat, et non chef de l'Etat en fonction. Ce geste ressenti comme hypocrite avait miné la suite de sa campagne et sans doute contribué à son échec.” Le constat est sans appel, la démarche y est jugée hypocrite, tandis que de nombreux médias vont faire référence aux premières tentatives de rapprochement des gouvernants avec le peuple datant des années 70, notamment celles de Valéry Giscard d'Estaing qui s’était invité à dîner chez une famille française, comme pour montrer la ringardise de ce procédé daté.

Libération s’y met également avec des mots durs de Laurent Joffrin, son rédacteur en chef : “Il y a un côté Potemkine, ce ministre russe qui faisait construire des décors lors des visites de la tsarine pour qu'elle ait l'impression que tout allait bien". En 2015, "on est encore là-dedans", constate-t-il, jugeant lui-aussi l'exercice de communication dépassé. Seul 20 Minutes tente de rééquilibrer l’analyse en donnant la parole à une politologue, Valérie Martin, qui remet dans son contexte cette pratique. Elle rappelle également que c’est inhérent à tous les exercices télévisuels : "Mais peut-on accepter des séquences sans préparation, qui sont dans l’ADN même de la télévision ? Pas sûr pour Virginie Martin, qui ne comprend d’ailleurs pas le brouhaha autour de Lucette : « On parle d’objets mis en scène. Mais un simple reflet sur une toile cirée peut rendre les images indiffusables ! » (…) L’affaire Lucette ne ferait-elle finalement que révéler des coulisses connues de tous La politologue conclut : « On ne voit pas les présentateurs sans maquillage ou se prendre le bec entre deux sujets »…”.

Une polémique purement parisienne?

Mais si on s’intéresse à la couverture régionale de cet événement, que retient-on ? Peu de trace de cette polémique autour d’une prétendue mise en scène de l’Elysée. Prenons l’Est Républicain par exemple, premier concerné, car c’est dans cette région qu’a eu lieu la visite. On y apprend ainsi que Lucette, dépassée par cette polémique, est allé se réfugier chez sa fille. La rumeur de son hospitalisation pour une chute d’escaliers y est même démentie. On est bien loin de Paris ! Le maire de Vandœuvre-les-Nancy, accusé d’avoir piloté la manipulation, y a la parole pour défendre la retraitée, victime de son succès : “L’élu, pour sa part, assume tout. « Les émissions satiriques se moquent d’elle. Pendant ce temps-là, on ne parle pas du reste, de l’essentiel. Alors oui, la municipalité a apporté le café et des fleurs chez elle. Mais ce n’était pas un coup monté. Non, c’était juste une visite préparée. Désolé, mais quand il s’agit du Président de la République de la sixième puissance du monde, forcément, ça nécessite un minimum de préparation ».” avec un bon sens qui semble manquer dans la capitale.

Dans son éditorial du 2 novembre, Ghislain Utard, journaliste à l’Est Républicain, s’étonnait de cette fausse naïveté qui agitait le microcosme médiatique : “Ce décryptage médiatique est étonnant. Pouvait-on raisonnablement penser que ce petit café chez Lucette avait été totalement improvisé ! Sauf à jouer les faux naïfs…”. Déjà, l’article relatant la visite du président de la République donnait le ton : “Lucette nourrit un seul (petit) regret. Pendant la visite, elle a dû enfermer ses deux chats, le gros Coyote, celui qui louche, et la petite Swiffer, toute tigrée. « De toute façon, avec tout ce monde, ils auraient pris peur », se console-t-elle.” Même si les limites dans les sujets à aborder avec le chef de l’Etat y était déjà évoquées, avant le reportage de BFM TV : “Elle aurait bien voulu aussi évoquer quelques sujets sensibles avec François Hollande mais elle n’a pas osé. « J’aurais aimé lui parler de toute cette misère que l’on voit autour de nous, des clochards sur les trottoirs, j’aurais voulu lui parler de mon inquiétude quand je vois ces milliers de réfugiés qui arrivent. Mais, bon, c’était délicat »

Alors, coup de com’ ou manipulation ? La réponse de Lucette sur la chaîne d’information en continu par qui le scandale est arrivé montre bien que cette polémique parisienne est loin d’être la question qui la préoccupe : “Oui peut être, peut être. Mais en tous cas, c'était génial, je suis tombé sous le charme du président”. Illustration flagrante du décalage entre médias parisiens et médias régionaux, mais aussi de la différence entre traitement médiatique et impact réel auprès des électeurs. Est-ce que la fabrique parisienne de l’information, coincée sur le Hollande-bashing depuis 2012, peut être contrée par le labourage de terrain dans lequel s’est engagé le président de la République ?

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