A l’issue du reportage "Un temps de Président" réalisé par Yves Jeuland, Gael Sliman, président d’Odoxa, a résumé l’impression que beaucoup de téléspectateurs ont pu avoir : le conseiller du Président en presse et communication, Gaspard Gantzer, est le véritable héros de ce documentaire.
Or, une des règles de base de la communication est que celle-ci doit être invisible. Voler la vedette à son « client », qui plus est quand celui-ci est le Président de la République, apparait de prime abord comme une grossière erreur. Autrement dit, une bonne com’ est une com’ qui ne se voit pas ; et de ce point de vue, on pourrait penser que ce documentaire constitue un exemplaire raté de communication.
Une erreur…volontaire ?
Néanmoins, trois constats contredisent cette thèse trop évidente.
Le premier est que pendant tout le reportage, Gaspard Gantzer apparait comme un individu ayant un souci permanent du contrôle et de la pleine maitrise de la manière dont la parole présidentielle est reprise et mise en circulation par les médias. Il est donc difficile de penser qu’il soit tombé dans un travers aussi évident.
Ensuite, ce reportage laisse à penser que la loyauté de Gaspard Gantzer à l’égard de l’institution élyséenne et de François Hollande est à la hauteur de ce souci de contrôle. Par exemple, les éléments de langage que Gaspard Gantzer distille aux journalistes dans ce reportage sont les mêmes indépendamment de la rédaction, des relations qu’il peut entretenir avec les uns ou les autres et du contexte. Le off semble pleinement maîtrisé, et ce au service de l’Elysée. Ce faisant, on a du mal à croire qu’il ait pu voler la vedette au Président sans que ce dernier n’en soit le complice.
Enfin, il faut observer que cette mise en scène de la communication élyséenne dans des reportages et des sujets de presse n’est pas une première. Longue interview « vérité » de François Hollande dans Society en mars dernier, ouverture d’un compte de fact checking @elysee_com sur Twitter en avril, reportage au JT de France 2 en juin : nous sommes à l’évidence face à une stratégie délibérée et entretenue de mise en scène de la transparence et du décryptage.
La com’ de la com’ pour faire exister le Président de la République
Dans un contexte où la côte de popularité du Président reste désespérément basse - au-delà des micro-variations -, et où la parole présidentielle semble discréditée dans la mesure où les résultats de ses annonces n’arrivent pas, une des manières d’exister médiatiquement, de redorer l’image de l’institution, est de donner à voir de l’apparent décryptage et des coulisses, de faire en quelque sorte la com’ de la com’.
Cette mise en scène des coulisses fonctionne car elle correspond à la fois au détournement d’une routine journalistique et à une demande croissante des téléspectateurs. D’une part, elle détourne le « mandat » du journaliste qui est de donner à voir ce que le pouvoir aime à cacher. Selon la belle formule d’Albert Londres « le métier est de porter la plume dans la plaie ». Or, en mettant en scène les coulisses de la communication élyséenne, ce reportage reprend les codes journalistiques du « décryptage » pour devenir vecteur de la stratégie de communication présidentielle. D’autre part, l’audimat est assuré et c’est un enjeu essentiel pour une institution à la parole démonétisée. 2,5 millions de personnes (10,7 % de parts d’audience), soit la meilleure audience pour un documentaire politique depuis mars 2013 (source Le Monde), ont été attentifs pendant près de 2 heures à ce que l’Elysée et le Président de la République ont à leur montrer.
Quid de la démocratie ?
« A l’Elysée, un temps de Président » est incontestablement un reportage fait « avec » ; le simple fait que François Hollande l’ait visionné il y a déjà un mois en atteste largement.
Sommes-nous en train d’assister à la création d’un « flou » autour de l’un des derniers pré-carrés journalistiques à savoir le devoir d’investigation ? Est-ce que d’une certaine manière ce reportage ne signale pas l’extension du domaine de la communication institutionnelle à la mise en scène des coulisses et donc à une nouvelle modalité du jeu d’associés-rivaux auxquels médias et politiques se livrent depuis toujours ?
En somme, si les communicants peuvent être témoins d’une opération de com’ réussie, si les téléspectateurs peuvent se réjouir d’un bon programme télévisuel, et si les journalistes sont eux hostiles à cette nouvelle manœuvre (Cf. Le Point avec «mélange de vanité et de vacuité », ou L’Obs avec « vulgaire et cruel »), que doit-on en penser d’un point de vue citoyen ?
Commentaires (1)