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Attentats à Bruxelles: ce qui pose problème dans la communication de François Hollande

Dernière actualisation : 24/03/2016, 14:44

Après Paris, Bruxelles. Horrible, mais hélas prévisible. A l’Elysée, on est rodé : réactivité, réflexes, rituels. Les Echos parlent d’une « terrible routine ». François Hollande tient une réunion d’urgence, fait une première déclaration, se rend à l’Ambassade de Belgique et fait une seconde déclaration. Je ne parle pas, dans ce texte, des attentats de Bruxelles, mais de la communication de François Hollande suite à ces attentats, dans la continuité des analyses publiées suite aux attentats de 2015 en France.

Le 22 mars, François Hollande a le ton grave et sobre, comme en janvier et en novembre 2015. On a d’abord un sentiment de déjà vu, déjà entendu. Puis, on prend conscience des dissonances : le cadre de cette déclaration, l’aveu d’impuissance qu’elle porte implicitement, le retour du refus de nommer l’ennemi et la nécessité d’expliciter et illustrer des concepts si l’on veut être plus efficace dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

Au même menu, attentats et investissements internationaux

La déclaration du matin à l’Elysée, est inhabituelle. François Hollande réagit avec le même dispositif de communication que si les attentats avaient eu lieu en France : une déclaration filmée à l’Elysée, en plus d’un communiqué. Il fait, de plus, cette déclaration devant les dirigeants de 26 grandes entreprises internationales, réunis à l’Elysée pour le quatrième Conseil Stratégique de l’Attractivité, en préambule de son discours sur les investissements internationaux.

Problème. Les deux prises de parole ne s’adressent pas aux mêmes publics. Surtout, les Belges sont choqués et en deuil, les Français sont encore meurtris et vivent sous la menace de nouveaux attentats. Il aurait été préférable, pour François Hollande, de leur parler directement… sans la médiation des personnes qui sont face à lui à l’Elysée, qui ne sont ni Belges, ni Français et qui sont venues échanger avec lui sur les investissements internationaux en France.

Un grand écart maladroit

A la fin de sa déclaration sur les attentats de Bruxelles, François Hollande essaie de « raccrocher les wagons » avec son auditoire de dirigeants d’entreprises internationales en s’engageant à « faire en sorte que vous puissiez aussi investir en toute lucidité en France, mais surtout en toute sécurité ». Il se lance ensuite dans le discours initialement prévu. Sur le site web de l’Elysée, commence une deuxième vidéo avec le même cadrage, celle du discours devant le Conseil Stratégique de l’Attractivité.

C’est le grand écart ! François Hollande change de tonalité. Il distribue des bons points aux entreprises qui ont investi en France en 2015. Il évoque l’auto-liquidation de la TVA, la façade maritime française, la liaison express Paris-CDG en 2023… Le contraste est dur, y compris pour le Président qui butte sur les mots et qui se sent probablement obligé de revenir sur les attentats : « nous sommes dans une période dramatique ».

Quitte à faire attendre les précieux investisseurs, il aurait été plus simple et plus décent de dissocier complètement les deux prises de parole, avec deux pupitres et deux décors différents.

L’impuissance derrière les injonctions

François Hollande a désormais un problème dans sa communication sur les attentats : il est au taquet, il est supposé déjà faire le maximum, il a grillé toutes ses cartouches, il n’a rien de nouveau à se mettre et à nous mettre sous la dent. Il choisit donc l’injonction, le plaidoyer pro-domo et même la défausse sur l’Europe.

Injonction : il répète, dix fois, le verbe « devoir » dans sa déclaration du matin. « La guerre contre le terrorisme doit être menée dans toute l’Europe », plus tard « doit être menée avec sang-froid » ; « nous devons agir au plan international », « nous devons y mettre les moyens indispensables », « nous devons être dans le rassemblement », « nous devons vous assurer »… Mais ces injonctions sonnent comme des aveux d’impuissance. Car si nous devons aujourd’hui faire toutes ces choses, c’est bien la preuve qu’elles n’ont pas encore été (bien) faites.

La France, un pays exemplaire qui se défausse sur l’Europe

Plaidoyer pro-domo car ces choses qui doivent être faites, François Hollande affirme que la France les a déjà faites. Il cite la France en exemple et se fait donneur de leçons : « C’est ce que la France fait […]. Mais c’est aussi ce que chacun des pays les plus conscients doit engager au plan international ». Il renforce, quand même, les contrôles aux frontières ainsi que la présence policière et militaire. Cherchez l’erreur !

L’après-midi, François Hollande va plus loin, lorsqu’il interpelle l’Europe : « nous demandons à toute l’Europe de bien prendre conscience que […] c’est elle qui est visée ». En résumé, la France agit, mais l’Europe l’entrave et l’empêche d’être plus efficace… Bel exemple de défausse de la part du Président d’un Etat supposé être l’un des leaders de l’Union Européenne.

Une rechute le matin, vite corrigée l’après-midi

Plus grave ! Dans sa déclaration du matin, François Hollande donne l’impression de faire une rechute, de revenir aux discours d’avant le 14 novembre 2015, lorsqu’il attribuait les attentats au terrorisme, sans dire qui sont les terroristes. Il parle, à trois reprises, de « guerre contre le terrorisme ». Il évoque « une menace globale », mais celle-ci reste indéfinie. Il fait un lien entre les attentats et « la coalition au Moyen-Orient, en Syrie et en Irak », mais se refuse à nommer l’ennemi.

Retour à son logiciel antérieur au 13 novembre ? Crainte de froisser des dirigeants d’entreprises étrangères et notamment ceux de Qatar Airways ? Le recul ou la volte-face ont été immédiatement perçus. François Hollande doit se reprendre l’après-midi, devant l’Ambassade de Belgique. Il désigne l’ennemi : « le terrorisme islamiste fondamentaliste ». Il peut alors dire pourquoi l’Europe est attaquée et pourquoi elle se bat : c’est « une guerre contre nos libertés, la démocratie et ce que nous représentons ».

Dire explicitement la société que nous défendons

Liberté, démocratie. François Hollande aime se payer de mots, de grands et jolis mots. Mais mettons-nous, tous, le même sens derrière chacun de ces mots ? Le matin, il était dans le même registre à la toute fin de son discours aux entreprises internationales : « nous sommes la modernité, nous sommes le progrès, nous sommes l'humanité qui avance ». Ces mots expriment une vision du monde qui s’oppose à une autre vision du monde, celle des islamistes car eux aussi, sont convaincus d’être dans le vrai et le juste.

Alors, en quoi sommes-nous la modernité ou le progrès ? Il est essentiel d’aller au-delà des concepts et de donner un sens plus précis, plus concret à ces mots. A titre d’illustration, la modernité, ce serait une société où les hommes et les femmes ont les mêmes droits, où plusieurs religions, dont l’islam, cohabitent harmonieusement avec les athées, sans que l’une cherche à exercer le pouvoir politique et à imposer ses règles dans l’espace public. Il est essentiel aussi tirer les conséquences de cette définition. Et il est essentiel d’admettre que nous avons un problème avec ceux, en France ou en Belgique, qui la rejettent.

Pas simple, mais n’est-il pas temps, lorsqu’un prochain attentat surviendra, que François Hollande exprime autre chose que tristesse, solidarité, détermination et impuissance ? 

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