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Dans l'affaire Fillon, les dix ingrédients des crises les plus dévastatrices

Dernière actualisation : 25/10/2017, 15:16

L’affaire Fillon figurera en bonne place dans les manuels sur les crises car elle réunit dix ingrédients qui font les crises les plus dévastatrices. Face à une telle conjonction, la communication et une éventuelle décision de justice ne peuvent pas grand-chose, si l’objectif est la victoire à la présidentielle.

François Fillon a certes emporté haut la main une primaire supposée désigner le prochain Président. Mais pour être élu Président, il aurait besoin d’un miracle et d’une avalanche de boules puantes frappant les autres candidats. Et même dans cette hypothèse, il serait dans l’incapacité de mener à bien le programme réformateur qu’il promet aux Français. Alors aujourd’hui, à quoi bon maintenir sa candidature ?

En moins de quinze jours, les ravages sont terribles. Quels sont les ingrédients des crises les plus dévastatrices ? Quel rôle chacun d’entre eux a joué dans l’affaire Fillon ?

1. Inconscience et inconséquence

L’inconscience, c’est vivre avec un risque en oubliant ce risque et en oubliant de le gérer. L’affaire Fillon commence en 1988, soit il y a presque 30 ans. Peu importe, ici, que les différents emplois de Pénélope soient réels ou fictifs. 30 ans, cela laisse du temps pour donner le change, pour créer des faux-semblants et pour laisser des traces qui pourront matérialiser un emploi.

C’est tout le contraire qui se produit. Les rares traces que laisse Pénélope Fillon sont des interviews où elle déclare : « je n’ai jamais fait de politique », « je n’ai jamais été son assistante ». Hormis l’inconscience et l’inconséquence, rien n’explique de tels propos. Impossible d’imaginer que, pendant près de 30 ans, Pénélope Fillon n’a vu aucun relevé de leur unique compte bancaire au Crédit Agricole de Sablé !

2. Impunité pour les puissants

L’inconscience s’accompagne souvent d’un sentiment de toute-puissance. Le couple Fillon vit sur une faille sismique, mais comme, jusqu’ici, la faille n’a pas bougé, le couple se convainc qu’elle ne bougera jamais.

Pourquoi en serait-il ainsi ? Derrière la conviction (fausse) que s’est forgé le couple Fillon, il y a peut-être l’idée (fausse) que les règles, les interdits et les sanctions, c’est pour les autres, pas pour ceux qui les fixent. Quoi qu’il en soit, l’opinion publique est, elle, convaincue de l’impunité des puissants et aime se venger lorsqu’un puissant se fait prendre, la main dans le pot de confiture.

Dans le cas présent, François Fillon donne l’impression d’avoir poussé très loin le sentiment d’impunité. Lui qui a exercé tant de fonctions politiques, ne peut ignorer que les règles de transparence et de déontologie ont profondément changé en trois décennies. Il ne peut davantage ignorer que nos vies numériques laissent une multitude de traces et qu’une chose ne laissant aucune trace est une chose qui n’existe pas.

3. Ni anticipation, ni déminage

Chaque organisation, chaque individu a ses vulnérabilités. Mais si un risque n’est pas identifié, impossible de s’y préparer, impossible de le prévenir ou de le déminer. François Fillon et ses collaborateurs ont peut-être mené un audit de vulnérabilités. Ils ont, de toute évidence, laissé de gros angles morts. François Fillon a une grande responsabilité car lui connaissait les risques liés aux rémunérations perçues par Pénélope.

François Fillon ne fait rien pour traiter ces risques, ni après l’annonce de sa candidature le 9 mai 2013, ni après sa victoire à la primaire le 27 novembre 2016. Il semble n’avoir rien fait, non plus, lorsque Le Canard Enchaîné le contacte début janvier 2017 et que l’enquête s’oriente vers les revenus de Pénélope. Courant janvier, un plan d’urgence aurait pu être mis en place. Visiblement, ce ne fut pas le cas.

4. Touché au cœur de son identité

Une organisation ou un individu qui est mis en cause lors d’une crise, est comme un boxeur sur un ring. Il reçoit des coups, il doit les parer, se défendre, se déplacer, donner des coups… Lorsqu’une crise frappe l’identité d’une organisation ou d’un individu, les coups tombent à bout portant et le boxeur est dans l’incapacité de se protéger. Les dommages sont terribles. François Fillon en fait aujourd’hui l’expérience.

Des crises, François Fillon en a vu d’autres. Pourtant, la crise actuelle est radicalement différente. Elle ne porte pas sur une politique (la réforme des retraites), sur une fonction (Premier ministre face à Jean-Louis Borloo, fin 2010), sur une élection (la présidence de l’UMP, fin 2012), sur une rivalité (Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé), sur des propos de déjeuner (le premier FillonGate face à Jean-Pierre Jouyet, mi 2015)…

L’enjeu de la crise actuelle est inédit. C’est François Fillon lui-même. Pendant des années, il s’est construit l’image publique d’un homme droit, honnête, entier, résolu, pas drôle et sans casserole, ancré dans un terroir et dans la tradition. C’est cette image qui lui a permis de gagner la primaire. Et maintenant, c’est cette image qui est abimée pour les uns, qui a déjà volé en éclats pour les autres. François Fillon a besoin de se défendre, mais il est dans l’incapacité de le faire car quand il parle, on ne sait pas qui parle.

5. Mauvaise entrée dans la crise

Les premières heures d’une crise sont cruciales. On y dévoile une posture et une stratégie. On peut y circonscrire l’incendie, voire l’éteindre. On peut aussi aggraver son cas.

C’est ce qu’a fait François Fillon. Le 25 janvier, il entre, seul, dans la crise, sans déminage auprès de son équipe de campagne qui tombe des nues et qu’il contraint à une confiance aveugle. La veille, quelques journalistes ont reçu des éléments de langage : « c’est fréquent que les conjoints soient [le] collaborateur […]. [Mme Fillon] a toujours travaillé dans l’ombre ».

Le 25 janvier, à la mi-journée, François Fillon est hors sujet lorsqu’il dit « être scandalisé », qu’il dénonce « des boules puantes » et qu’il s’en prend à « la misogynie » du Canard Enchaîné. Il affirme : « je ne ferai pas de commentaire, car il n’y a rien à commenter »… mais devra, par la suite, revenir sur ce sujet à chacune de ses prises de parole. Des proches sont mandatés pour dire que la pratique est légale et que Pénélope « est compétente ». C’est hors sujet. La question est : a-t-elle, oui ou non, travaillé ?

6. Mauvais choix stratégiques

François Fillon, Pénélope Fillon, mais aussi Marc Joulaud et Marc Ladreit de Lacharrière, sont embarrassés. Ils sont quasiment sans preuve matérielle, ni témoin d’un travail justifiant les rémunérations perçues par Pénélope. Ils sont quatre à avoir un problème, mais seul François Fillon s’exprime publiquement.

Le 25 janvier, le candidat ne peut pas rester sur son entrée ratée dans la crise. Invité du JT de 20h sur TF1, il y présente les grandes lignes d’une stratégie visant au maintien de sa candidature. Cette stratégie est reprise dans une interview au JDD et dans son discours à la Villette le 29 janvier.

Globalement, François Fillon est victime d’une calomnie « montée de toutes pièces pour [l’]abattre » par « des officines ». Il a « le cuir solide », il aime sa femme et il va la défendre. Il s’en remet à la seule justice, veut une enquête rapide et retirera sa candidature s’il est mis en examen. Ces attaques visent à « le faire taire », elles renforcent, au contraire, sa détermination à aller jusqu’au bout de sa candidature.

François Fillon essaie de recadrer l’affaire. Problème ! Il n’est pas victime : c’est lui qui a perçu l’argent. Il mise sur la décision d’un juge, mais oublie que chaque électeur se fait juge au moment de voter. Enfin, l’enjeu n’est ni son courage, ni son amour pour Pénélope, c’est son identité et sa crédibilité. Les choix sont mauvais, mais voulant se maintenir, François Fillon avait-il de bons choix ?

7. Des mensonges faciles à démasquer

Toute crise pose des questions de confiance. Des discours contradictoires s’affrontent sur la place publique. Certains sont solides et étayés. D’autres reposent uniquement sur la parole d’un acteur. On a tendance à moins croire celui qui est pris en défaut. On ne le croit plus du tout lorsque celui-ci ment dans sa défense.

Sur le plateau de TF1 et dans l’interview au JDD, François Fillon commet trois mensonges : le travail « bénévole » de Pénélope avant 1997 alors qu’elle était sa salariée depuis 1988, la rémunération au Sénat de deux de ses enfants « avocats » « pour des missions précises », l’arrêt de la collaboration salariée avec sa femme en 2013 car, député de Paris, il a moins besoin de l’expertise sarthoise de Pénélope.

Alors qu’il est député de Paris depuis juin 2012, François Fillon attendra le 30 novembre 2013 pour mettre un terme au contrat d’assistante parlementaire de son épouse. Il le fera un mois avant l’entrée en vigueur des règles de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, une création post-affaire Cahuzac.

8. Pas de scénarisation de la crise

Toute crise connaît des développements. Certains événements sont prévisibles et peuvent donner lieu à différents scénarios. On peut alors anticiper ce que l’on fera ou dira lors de chacun d’entre eux.

L’affaire Fillon donne le sentiment que les développements prévisibles de la crise n’ont pas été scénarisés. François Fillon s’en tient à ses choix stratégiques initiaux. Il a juste ajouté, le 1er février, à l’attention des parlementaires LR : « je vous demande de tenir 15 jours et d'être solidaires ». Pourquoi 15 jours ?

Plusieurs événements étaient pourtant prévisibles : les sondages éliminant François Fillon du 2ème tour de la présidentielle, les sondages exprimant le souhait que François Fillon se retire, les personnalités appelant François Fillon à renoncer. D’autres événements restent à anticiper : la mise en lumière des activités et des clients de 2F Conseil, la société créée par François Fillon (à date, seules 20% de ses activités sont connues), les sondages montrant qu’un remplaçant passerait devant Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle… François Fillon tient son cap, mais ne semble pas anticiper les difficultés à venir.

9. Accumulation et feuilleton

Dans toute crise, il y a les événements prévisibles et il y a les rebondissements. Quand tous les rebondissements vont dans le même sens, il est de plus en plus difficile de convaincre que tout est faux.

L’affaire Fillon compte plusieurs volets, qui ont chacun leur propre histoire : salaires à Pénélope versés par François Fillon, par son suppléant et par La Revue des Deux Mondes, salaires versés aux enfants Fillon, ristournes du Sénat, activités de conseil de François Fillon. L’affaire rebondit aussi sur les rares interviews de Pénélope Fillon, des interviews où elle déclare ne pas travailler pour son mari. La plus marquante est celle réalisée par The Telegraph en 2007 et diffusée par Envoyé Spécial sur F2 le 2 février.

Les rebondissements créent un feuilleton, rythmé par la publication du Canard Enchaîné le mercredi. Au final, peu importe ce qui est prouvé ou réfuté. L’accumulation installe l’idée que, contrairement à l’image qu’il a longtemps donnée, ce Monsieur Fillon a un goût immodéré pour l’argent facile.

10. Confusion des enjeux

Les acteurs des crises sont à la fois des individus et des organisations. Les enjeux personnels d’un dirigeant peuvent être alignés avec ceux de son organisation. Ils peuvent aussi en diverger.

C’est le cas dans l’affaire Fillon. L’organisation, au sens strict le parti Les Républicains, au sens large ses militants et sympathisants, a pour enjeux la victoire à la présidentielle et aux législatives, puis la mise en œuvre de son programme. Large vainqueur de la primaire, le candidat Fillon partageait et portait ces enjeux jusqu’au 25 janvier. Son premier enjeu aujourd’hui est de s’en sortir, sans être condamné, ni devoir rembourser. Il lui faut, pour cela, maintenir sa candidature et gagner l’élection.

L’enjeu initial de l’organisation et de son candidat est aujourd’hui devenu un moyen au service d’un enjeu personnel du candidat. François Fillon demande à son parti et à son camp de faire bloc autour de lui et de confondre leur enjeu (la victoire) et son enjeu (s’en sortir), en d’autres termes, de faire passer son intérêt personnel avant leur intérêt collectif. Cela ressemble fort à une prise d’otage !

Au final, lorsqu’une crise cumule autant d’ingrédients dévastateurs, on peut douter très fort de l’utilité et de l’efficacité de contre-attaques qui ressemblent aux mouvements désespérés d’un individu pris dans des sables mouvants.

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