Le mensuel a publié dans son numéro de février 2017 un dossier intitulé “Ondes magnétiques, une pollution invisible”. Dès le chapeau, le ton est donné. Ces ondes sont nocives. "La pollution électromagnétique de la société de l’information est invisible et inodore", mais elle existe. S’il n’y a pas encore de "consensus sur la nocivité des ondes électromagnétiques", soutient l’auteur, Olivier Cachard, agrégé de droit, c’est à cause des pressions des industriels et de la "fragmentation des disciplines scientifiques concernées" : biologie, chimie, cancérologie, etc.
Cri d’alerte ? Plutôt un voyage dans le temps. A quelques détails près, l’article aurait pu être publié tel quel il y a douze ans (cf. article intitulé "Sonnerie d'alarme sur le téléphone portable", publié en septembre 2005 par Le Monde Diplomatique). L’ensemble est ponctué de critiques et de considérations d’ordre politique. Et comme souvent quand la science est mise au service de revendications politiques, la pseudo-science n’est pas loin. Nous n’analyserons que quelques arguments.
Une critique sans science des normes scientifiques
Olivier Cachard déroule imperturbablement la thèse de la dangerosité des ondes des téléphones portables et des antennes, en oubliant totalement les études rassurantes publiées partout dans le monde ces dernières années (voir ici l'avis du Comité scientifique européen SCENIHR publié en janvier 2015). Il juge “préoccupantes les conditions sulfureuses dans lesquelles ont été adoptées les limites réglementaires d’exposition” en France, “entre deux tours d’élections présidentielles” et “fondées sur une recherche déjà obsolète” en 2002.
Il semble ignorer que le décret du 3 mai 2002 qui fixe les valeurs limites n’est que la mise en application de la recommandation européenne du 12/7/1999 fondée sur les travaux de la Commission Internationale pour la Protection contre les Rayonnements Non Ionisants (ICNIRP, ONG reconnue par l’OMS), qu’il existe une veille scientifique permanente, et que l’état des connaissances actuel sur les effets sanitaires des ondes électromagnétiques ne justifie pas de remettre en question la réglementation.
Et de poursuivre, “contrairement à une croyance répandue (et entretenue), ces seuils élevés ne résultent nullement d’une politique concertée de santé publique, mais traduisent des choix principalement industriels”. Mais les normes ne semblent décidément pas du ressort de cet auteur, puisque même l’affirmation concernant les travailleurs “les valeurs limites sont deux fois plus élevées que celles applicables au public” est fausse ; elles sont cinq fois plus élevées, et ce toujours avec un facteur de sécurité par rapport aux seuils d’apparition d’effets avérés (d’origine thermique).
Un remix biaisé de textes de l'Organisation Mondiale de la Santé
L’auteur discrédite au passage les agences nationales, dont il met en doute la pertinence des travaux et la compétence des experts, tandis que tous les travaux scientifiques seraient entachés de biais et suspectés de conflits d’intérêts, à l’exception de ceux du Pr Belpomme. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) se trouve épargnée, mais l’auteur en déforme à plusieurs reprises les messages pour étayer son discours. Par exemple, sur l’hypersensibilité électromagnétique, il écrit “au côté du syndrome d’hypersensibilité chimique (MCS) déjà reconnu par la classification des maladies de l’OMS, émerge un syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques, ou électrohypersensibilité (EHS). Souvent décrit comme résultant d’une exposition durable à des niveaux d’émissions plus faibles”.
Ainsi le glissement s’opère, entre une présentation tronquée des conclusions de l’OMS, et les thèses défendues par le professeur Belpomme cité en référence. En effet, l’auteur oublie de préciser que l’OMS a classé l’hypersensibilité électromagnétique dans la famille des Intolérances environnementales idiopathiques (IEI) en 2004, et qu’elle explique clairement dans son aide-mémoire sur le sujet que “l’IEI est un descripteur n’impliquant aucune étiologie chimique ou aucune sensibilité de type immunologique ou électromagnétique. Ce terme regroupe un certain nombre de troubles ayant en commun des symptômes non spécifiques similaires, qui restent non expliqués sur le plan médical et dont les effets sont préjudiciables pour la santé des personnes".
30 ans plus tard… toujours l’argument du manque de recul
Est-il sérieux de parler de "nouveaux marchés" à propos du mobile, comme le fait l’auteur, en invoquant le manque de recul sanitaire ? Les portables ont près de 30 ans. Ils sont utilisés massivement depuis deux décennies. Publiée en mai 2016, une étude australienne menée sur 29 ans ne conclut pas à l’existence d’un lien entre l’évolution des tumeurs cérébrales et l’usage du téléphone mobile sur cette période, ce qui va dans le sens des études d’incidences publiées dans plusieurs pays, et des résultats des expertises collectives disponibles. Le Monde Diplomatique passe tout cela sous silence.
Doyen honoraire de la faculté de droit de Nancy, Olivier Cachard cite une jurisprudence de la cour de cassation italienne, reconnaissant comme maladie professionnelle une tumeur au cerveau, déclenché chez un cadre très gros utilisateur de portable. Il s’agit de la décision 17438 de la Corte di Cassazione, en date du 12 octobre 2012. Elle confirmait un arrêt de la cour d’appel de Brescia du 22 décembre 2009. Là aussi, les années ont passé. Cette décision n’a pas créé de précédent.
Comme la Cour de cassation française, la haute juridiction italienne dit seulement si le droit a été respecté. Elle ne se prononce jamais sur le fond. Elle n’a jamais acté la dangerosité du portable, que l’expertise scientifique a de plus en plus nettement écartée depuis 2009. La justice italienne, aujourd’hui, ne reconnaît pas les ondes comme une cause de maladie professionnelle. L’auteur met sur un même plan la science et des décisions de justice en apportant ces éléments dans une continuité. N’est-il pas bien placé pour savoir que les décisions de justice ayant donné gain de cause à des plaignants ne constituent pas un argument scientifique pour démontrer un effet sanitaire ?
Faire comme si rien ne s’était pas passé depuis 15 ans
Mêlant lignes à haute tension et téléphonie mobile, afin d’accréditer la novicité de "l’électrosmog", Olivier Cachard avance aussi une étude britannique de 2005 suggérant un lien entre la proximité des lignes et les cancers chez les enfants. Un sujet évidemment très sérieux. Pourquoi ignorer que des études postérieures n’ont rien démontré pouvant confirmer cet effet ?
L’auteur considère que les chercheurs qui produisent des études rassurantes ne présentent pas de garantie d’indépendance suffisante vis-à-vis des industriels. Selon lui, "la constitution de réseaux internationaux de chercheurs, avec, par exemple, la publication des études de référence du réseau BioInitiative, permettra de surmonter cette difficulté".
Problème, et pas des moindre, le fameux rapport Bioinitiative n’est pas issu d’un travail d’expertise collective comme il le laisse entendre. Le premier rapport BioInitiative date de 2007, le second de 2012. Les deux ont été éreintés par toutes les autorités indépendantes qui les ont examinés. On pouvait employer le futur pour parler du réseau BioInitiative il y a dix ans, pas en 2017.
De même, la déclaration “Dorénavant, dans le débat public sur les ondes, il faudra compter avec les associations, les partenaires sociaux et les riverains - sans oublier les juristes !” nous ramène bien avant le Grenelle des ondes.
Une conviction : « c’est dangereux, l’avenir nous le dira ».
Il ne fait guère de doute que le juriste Olivier Cachard emploie une version à jour du code de la santé publique. Pourquoi se contenter d’un état des connaissances aussi daté en matière scientifique ? Se pourrait-il que les résultats récents ne cadrent pas avec ses convictions ? Pourquoi être aussi prompt à suspecter le manque de transparence chez les autres, et ne pas mentionner son propre engagement dans l’association (ARTAC) du Pr Belpomme ?
En définitive, les ondes radio et l’électricité sont utilisées depuis plus d’un siècle maintenant, mais l’auteur entend révéler un vaste complot et des manigances pour cacher les dangers des ondes au profit des industriels. “Les portables sont dangereux, l’avenir le dira”. L’avenir ne l’a pas dit ? Retournons dans le passé.
Cet article du Monde diplomatique serait risible si l’on ne savait pas que les messages inutilement inquiétants qu’il véhicule sont de nature à accroître le nombre de personnes se déclarant hypersensibles aux ondes électromagnétiques et dont la vie risque d’être gravement impactée. Les données scientifiques qui le montrent ne manquent pas, encore faut-il prendre le temps de s’intéresser à la science.
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