RATP et Chrétiens d'Orient : quelles victimes d'une guerre peuvent être soutenues dans un service public ? - Mediapicking
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RATP et Chrétiens d'Orient : quelles victimes d'une guerre peuvent être soutenues dans un service public ?

Dernière actualisation : 23/10/2017, 10:40
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Ce fut l’indignation consensuelle du week-end pascal ! Les élus, les médias, les réseaux sociaux et les Français ont, tous, jugé que la RATP et Metrobus avaient eu tort de refuser la mention « Au bénéfice des Chrétiens d’Orient » sur une affiche annonçant un concert du groupe Les Prêtres dans le métro.

La Coordination Chrétiens d’Orient en Danger (CHREDO) a réussi son coup en assignant, le 3 avril, la RATP devant le Tribunal de Grande Instance de Paris : soumise à de nombreuses pressions, la RATP est revenue sur sa décision le 6 avril. La CHREDO a néanmoins maintenu son action en justice.

Dans l’attente du jugement qui sera prononcé le 13 avril, il me semble important d’aller au-delà de l’indignation, de bien identifier l’enjeu du litige et d’analyser la stratégie de la RATP et de Metrobus au regard de cet enjeu.

Neutralité, laïcité, censure… ne pas tout mélanger

Pendant tout le week-end pascal, la RATP a été copieusement critiquée pour son mauvais usage des principes de neutralité et de laïcité. Certains se sont étonnés que la RATP ait modifié l’affiche du concert des Prêtes, alors même qu’elle a déjà accepté des publicités pour le Secours Catholique, pour le Secours Islamique ou pour des produits Halal pendant le Ramadan. D’autres ont indiqué que la RATP avait refusé en 2012 une campagne contre l’islamophobie.

Libération a, quant à lui, consacré, le 8 avril, une double page aux publicités dans le métro qui ont déjà fait polémique pour des raisons liées au tabac, aux mœurs, à l’image de la femme, à la neutralité du service public dans la vie politique ou au risque d’incompréhension d’un message au second degré.

Il ne faut pas tout mélanger, même si l’invocation des grands principes permet souvent d’entretenir la confusion ou d’instruire des procès en censure, comme l’a fait Libération.

L’enjeu du litige : quelles victimes soutenir et quelles victimes ne pas soutenir ?

La mention « Au bénéfice des Chrétiens d’Orient » dans des annonces affichées dans le métro pose une question sans lien avec les affaires qui viennent d’être citées : comment décider quelles victimes d’une guerre peuvent être soutenues dans un service public et quelles victimes ne peuvent pas l’être ?

Reformulons la question à travers quelques cas a priori hypothétiques, mais très concrets : la RATP doit-elle accepter ou refuser des publicités appelant à soutenir les victimes tibétaines de la Chine ? les victimes kurdes de la Turquie ? les victimes ukrainiennes des milices pro-russes ? les victimes palestiniennes des bombardements de Gaza par Israël ? les victimes israéliennes des tirs de roquettes du Hamas ?...

Toutes ces questions ont un corollaire : en acceptant d’emblée une publicité au bénéfice des Chrétiens d’Orient, la RATP n’aurait-elle pas été obligée d’accepter d’autres publicités au bénéfice des victimes d’autres guerres ou, dans l’éventualité d’un refus, de se voir opposé le précédent de l’affiche des Prêtres et l’accusation du « deux poids, deux mesures » ?

Est-ce à la RATP, au juge ou au politique de décider quelles victimes soutenir dans un service public ?

La RATP a considéré, dans son communiqué du 3 avril, que « ses conditions générales de vente bien connues des annonceurs » lui permettaient de modifier ou refuser les publicités en faveur des victimes de toutes les guerres, puis dans son communiqué du 4 avril que « [le] dossier [de l’affiche des Prêtres] montre les difficultés croissantes d'appliquer les règles de neutralité et de laïcité au sein de [ses] espaces publicitaires ».  Dans les deux communiqués, la RATP s’en est remis à la décision du juge et au « résultat du référé qui doit trancher la question de principe ».

Sur le fond, est-ce à une entreprise de décider quelles victimes de guerre peuvent être soutenues dans un service public et quelles victimes ne peuvent pas l’être ? Je ne le crois pas. Cette décision est politique et va bien au-delà de l’objet social de l’entreprise. Mais alors, est-ce à un juge de prendre cette décision ? Oui, hélas, si le juge est saisi et si aucun politique n’a décidé en amont. Est-ce souhaitable ? Je ne le crois pas, mais comment aller contre une tendance lourde de nos sociétés, à savoir la judiciarisation de nombreux sujets pour lesquels le politique ne tranche pas et se défausse sur le juge ?

La RATP aurait pu éviter cette galère… et priver la cause des Chrétiens d’Orient d’une visibilité sans précédent en France.

Ne prenons pas la tangente des grands principes et des grandes tendances et revenons au cas d’espèce : le concert des Prêtres au bénéfice des Chrétiens d’Orient. N’était-il pas possible de considérer, ici, que le politique avait déjà tranché et que les victimes pouvaient être soutenues dans un service public ?

La France est en guerre contre l’islamisme et contre le djihadisme, a dit Manuel Valls suite aux attentats contre Charlie Hebdo et contre l’Hyper Cacher. La France est en guerre contre l’organisation Etat Islamique qui persécute et massacre les Chrétiens d’Orient. Au regard de cette situation politique, la RATP ne pouvait-elle pas considérer que les Chrétiens d’Orient sont les victimes d’un ennemi de la France et qu’il n’y a lieu ni de refuser une mention les soutenant sur une affiche, ni de rechercher une décision judiciaire sur ce sujet ?

La RATP aurait ainsi fait l’économie d’un litige, d’une indignation générale, d’une mise à l’index et d’une décision de justice qui, si elle n’est pas circonstanciée, fera jurisprudence pour les victimes d’autres guerres. Il faut néanmoins reconnaître que si elle avait accepté la première affiche du concert des Prêtres, la RATP aurait privé ce concert et la cause des Chrétiens d’Orient d’une médiatisation et d’une visibilité sans commune mesure avec ses 250 espaces publicitaires dans le métro.

PS n°1 : Quand verra-t-on en France une indignation plus consistante – par exemple une grande manifestation – en faveur des Chrétiens d’Orient ?

PS n°2 : Quand verra-t-on une affiche dans le métro pour un concert de soutien aux victimes de Boko Haram au Nigéria et des Shebabs au Kenya ?

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