Le tribunal correctionnel de Bordeaux a condamné, le 28 mai, François-Marie Banier à 3 ans de prison, à une amende de 350.000 € et au remboursement de 158 M€. Celui-ci fait appel et contre-attaque sur le terrain médiatique : une longue interview par Laurent Valdiguié dans le JDD du 31 mai et une interview de 12 minutes par Marc-Olivier Fogiel dans RTL Soir du 1er juin.
Les deux interviews suivent la même trame. Elles ont donné à François-Marie Banier une tribune pour se présenter comme la victime d’un complot et pour raconter une histoire parallèle à celle retenue par les juges. Si le désir d’être le premier à interviewer François-Marie Banier me semble légitime, j’ai, en revanche, du mal à comprendre pourquoi les deux ont fait fi d’un jugement très détaillé (merci Mediapart), comme si les faits reprochés à François-Marie Banier n’existaient pas.
La stratégie de François-Marie Banier : installer une réalité parallèle.
Commençons par la stratégie de communication de François-Marie Banier.
Face à un jugement accablant, très long (282 pages) et citant des faits sur plusieurs années, François-Marie Banier ne peut pas se permettre d’entrer dans l’examen des nombreux griefs à son encontre. Il choisit de nier en bloc la réalité décrite par les juges et de poser une réalité parallèle où il entend faire justice à Liliane Bettencourt qui « n’était ni vieille, ni faible », à sa personnalité, à sa liberté et à ses choix.
Le discours de François-Marie Banier repose sur quatre propositions qui sont l’inverse des accusations retenues contre lui. Un : je me bats pour Liliane Bettencourt. Deux : je suis désintéressé. Trois : j’aime Liliane Bettencourt. Quatre : je suis victime d’un complot. François-Marie Banier est malin : il ne se défend pas, il ne se bat pas pour lui-même. Il défend Liliane Bettencourt. Il s’oppose à un « jugement [qui] donne avant tout de Liliane Bettencourt une image dégradante » (JDD).
Une interview radio pour humaniser son image.
Une interview en presse écrite aurait été insuffisante dans la stratégie de communication de François-Marie Banier. Les juges et les médias l’ont décrit comme un diable avide, manipulateur et destructeur. Il lui faut casser cette image. La seule retranscription de propos dans le JDD ne permet pas de le faire car elle ne véhicule pas suffisamment d’émotion, de vérité, de lien direct avec l’humain. François-Marie Banier a besoin d’une interview radio. C’est Marc-Olivier Fogiel sur RTL.
François-Marie Banier sait qu’il n’arrivera pas à casser son image en s’y opposant ou en la réfutant. Il se construit donc sur RTL une image à l’opposé du portrait fait de lui par les juges : une image d’humanité, d’amour, de grandeur d’âme. Pour cela, il s’exprime d’une voix douce, parle avec tendresse de sa Liliane, dit sa tristesse face l’absence de dialogue entre une mère et sa fille, cite Françoise Sagan et Vanessa Paradis et proclame sa confiance dans les juges parisiens en appel.
Passivité, facilité ou bienveillance des deux interviewers ?
Laurent Valdiguié et Marc-Olivier Fogiel ont, l’un et l’autre, accepté ou fait le choix de donner à François-Marie Banier une tribune. Ils l’invitent à réagir sur les conclusions des juges (« avidité patrimoniale », « briser les liens familiaux »…), sans l’interroger sur les éléments précis qui ont fondé la conviction des juges. Le jugement donne, pourtant, matière à tant de questions.
Les deux interviewers ont laissé François-Marie Banier s’éloigner des faits, dérouler son histoire d’amitié avec Liliane Bettencourt et présenter sa lecture psychologique des relations entre une mère, sa fille et son gendre. Ils n’ont pas réagi aux deux principaux arguments qui fondent sa réalité parallèle : les donations étaient antérieures à 2006, année où les juges disent que la santé de Liliane Bettencourt s’est dégradée, et cinq des six principaux témoins sont aujourd’hui mis en examen pour faux témoignage. Ils ont fait comme si ces arguments n’avaient pas déjà été examinés par les juges.
Puisqu’il faut un coupable, ce sera la fille et le gendre.
Le tribunal correctionnel de Bordeaux désigne plusieurs coupables, dont François-Marie Banier, et une victime, Liliane Bettencourt, en situation de vulnérabilité. A travers leurs deux interviews, Laurent Valdiguié et Marc-Olivier Fogiel permettent à François-Marie Banier de redéfinir les victimes – Liliane Bettencourt et lui-même – et les coupables – Françoise Bettencourt-Meyers et son mari.
François-Marie Banier ne peut pas accuser Françoise Bettencourt d’être intéressée. Il cible donc l’autre « pièce rapportée » de l’histoire : le mari de Françoise et le gendre de Liliane, « un monsieur pressé » (RTL) qui a remplacé sa belle-mère au conseil d’administration de L’Oréal. Il ajoute : « Liliane ne m'a pas privilégié au détriment de sa fille, puisque ce qu'elle m'a donné représente au mieux un demi pour cent du total de sa fortune » (JDD) – comme s’il était autorisé d’abuser d’une personne vulnérable pour un montant inférieur à 0,5% de son patrimoine.
Une histoire de jalousie et de vengeance.
François-Marie Banier construit son histoire en opposition à ceux qu’il désigne comme « les Meyers » (la fille et le gendre). Ceux-ci refuseraient à Liliane Bettencourt la liberté de donner, seraient incapables d’amour pour Liliane Bettencourt, seraient jaloux de son amitié avec Liliane Bettencourt et auraient pour objectifs de l’humilier (RTL) et de le ruiner (titre de l’interview dans le JDD).
Nous ne sommes plus dans une « manipulation » portant sur des millions d’euros, mais dans une histoire familiale, plus banale, de mésentente entre une fille et sa mère et de vengeance à l’encontre de celui qui aime la mère. Les deux interviewers laissent François-Marie Banier opérer ce recadrage. A l’issue des deux interviews, soit on est avec François-Marie Banier et Liliane Bettencourt, soit on est avec les époux Meyers.
Si François-Marie Banier réalise une belle prestation, on ne peut pas en dire autant de ses deux interviewers !
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