Alain Juppé fait sa rentrée avant la rentrée des classes et en parlant de l’école. Il est l’invité de Gilles Bouleau au JT de TF1 du 25 août 2015, après avoir donné une longue interview au Parisien Magazine le 21 août et après avoir fait l’objet d’un portrait dans Le JDD du 23 août. Après TF1, il est longuement interviewé par Le Monde dans son édition du 27 août.
Alain Juppé fait la promotion de son nouveau livre, « Mes chemins pour l’école », et/ou déroule la stratégie de communication qui doit l’amener jusqu’aux primaires de fin 2016. Visiblement, il a travaillé les deux sujets : l’éducation et la communication. Il consolide son image de sage et d’homme d’Etat grâce à des médias qui lui ouvrent, grand, leurs portes. On est davantage dans la promotion que dans le débat politique. Illustration avec l’interview donnée à TF1.
Sur TF1, une interview de promo du livre et de son auteur
L’interview de Gilles Bouleau est une tribune donnée à Alain Juppé. Pendant 8 minutes, le journaliste pose seulement 5 questions à son invité : 3 sur l’école et 2 sur l’actualité (les primaires et les migrants). Il laisse Alain Juppé construire des réponses qui durent chacune plus d’une minute (ce qui est plutôt long en télévision), sans l’interrompre, ni le relancer.
Gilles Bouleau ne veut pas mettre Alain Juppé sur le grill. Ses questions sont très proches de celles posées par Le Parisien, Le JDD et Le Monde. Alain Juppé prend le temps de présenter un résumé des réponses qu’il a déjà faites au Parisien et qui sont, elles-mêmes, un résumé de son livre. Il s’adresse directement aux téléspectateurs, le journaliste étant, ici, dans un rôle de faire-valoir.
Une interview réussie par un Alain Juppé en grande forme
Au-delà de la posture favorable de Gilles Bouleau à son encontre, Alain Juppé est en grande forme. Il apparaît souriant et pédagogue. Il donne l’impression qu’avec lui, les choses seront simples et apaisées.
Une minute en télévision, c’est long. Alain Juppé rythme ses réponses en se posant à lui-même des questions (« Les professeurs sont-ils bien payés en France ? Non »). Il leur donne du vécu grâce à sa posture d’écoute (« j’ai consulté les professeurs », « je veux écouter les gens ») et à des anecdotes signifiantes (le professeur qu’il a rencontré hier et qui ne connaissait pas encore son affectation).
D’une certaine façon, Alain Juppé reprend, à sa sauce et avec bonheur (sans que cela soit surjoué ou mécanique), deux procédés très utilisés par Nicolas Sarkozy, la question que l’on se pose à soi-même et l’anecdote signifiante, ainsi que la démocratie participative de Ségolène Royal.
Nouvelle image, nouveau récit : la stratégie d’Alain Juppé
L’interview sur TF1, de même que les longs articles dans Le Parisien, Le JDD et Le Monde, sont au service d’une stratégie de communication poursuivant au moins deux objectifs. Consolider la nouvelle image de l’homme sage, heureux et rassembleur, qui doit remplacer l’image de l’homme pressé, froid et arrogant. Entretenir la position de favori dans l’opinion et pour les primaires en apparaissant à la fois proche des Français et au-dessus des autres acteurs politiques.
Alain Juppé sait qu’il a besoin, pour cela, de présenter un nouveau récit de sa vie et de construire de nouveaux liens avec les Français. D’où les évocations de ses parents, de son enfance, de ses études, de son expérience d’enseignant… « Il doit tout à ses parents et à ses professeurs » écrit ainsi le JDD. D’où, aussi, ses phrases sur l’amour, reprises en titre par le JDD et LeMonde.fr : « J’aime qu’on m’aime et je souffre quand on me déteste » et « Oui, j’ai envie d’être aimé ».
Dire au JDD « je refuse le storytelling », c’est déjà faire du storytelling.
Des propositions sur l’école ni questionnées, ni expertisées
En résumé, Alain Juppé est en forme, a une stratégie de communication et bénéficie de la bienveillance de plusieurs médias. Tout ce qu’il dit n’est ni questionné, ni expertisé. Où sont les avis des acteurs et des experts de l’éducation ? Où sont les analyses des journalistes spécialisés dans l’éducation ?
Que l’on soit d’accord ou non avec ses propositions, Alain Juppé tient de nombreux propos qui appellent des questions. Par exemple, quelles lignes réduire si l’on augmente de 10% les salaires des enseignants du premier degré sans augmenter le budget de l’Education Nationale ? Comment affecter des enseignants des collèges et lycées vers les écoles maternelles et élémentaires ? Quand a lieu l’entretien d’embauche ? Avant, pendant ou après les concours ? Comment convaincre les enseignants expérimentés d’aller ou de retourner dans les réseaux d’éducation prioritaire ?...
L’heure est à la bienveillance.
La réponse à TF1 et au Monde sur les migrants est, elle aussi, étonnante, mais n’a suscité aucune réaction des journalistes : « il n’y a pas suffisamment de contrôles aux frontières extérieures de l’Europe et pas assez de négociations avec les pays sources ». Que faire quand les migrants fuient des pays en guerre ? Et que négocier avec les présidents de l’Erythrée ou de la Syrie ?
La route est longue jusqu’aux primaires de fin 2016. Espérons que le débat, l’expertise et la critique retrouveront bientôt leur place dans les interviews d’Alain Juppé !
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