Manuel Valls était face à Jean-Jacques Bourdin le 15 octobre 2015 sur RMC et BFM-TV. Comme à son habitude, Jean-Jacques Bourdin a enchaîné les séries de questions, comme d’autres les coups de poing. Le matin même, il est revenu sur cette interview en déclarant à RMC que Manuel Valls n’avait pas vraiment répondu à plusieurs questions.
Cette interview a été citée par plusieurs médias, dont France Info dans « Le Vrai du Faux » pour des propos faux sur le nombre de jours de grève. Elle présente plusieurs similitudes avec l’interview donnée à Olivier Mazerolle le 7 octobre sur RTL. Surtout, elle me semble concentrer les différents éléments qui font que la communication de Manuel Valls ne fonctionne plus
Une communication construite autour de trois verbes : assumer, réformer et respecter.
Manuel Valls structure son discours autour d’un triptyque : assumer, réformer et respecter. Il emploie ces verbes à tour de bras pour parler de lui et des autres. Il dit assumer ses responsabilités et l’exercice du pouvoir. Il veut réformer la société française et, dans le cas présent, Air France. Il dit respecter à la fois le dialogue social, les syndicats, la direction d’Air France, « les petits Air France » (ceux qui ont des petits salaires, par opposition aux pilotes) et l’indépendance de la justice.
Trois verbes abstraits qui sonnent creux.
Les trois verbes de Manuel Valls sont abstraits. De plus, ils ont le contenu que chacun veut bien leur donner.
Le verbe « assumer » renvoie à différentes actions en fonction du contexte, de celui qui parle et de celui qui écoute. Le verbe « réformer » désigne un changement, mais ne dit pas lequel. Il ne fixe ni objectif, ni perspective, ni projet commun. Le verbe « respecter » porte une ambiguïté puisqu’il désigne à la fois mes devoirs vis-à-vis des autres et mes attentes quant au comportement des autres à mon égard. Or l’écart peut être grand entre des devoirs que je minimise et des attentes que je maximise.
Résultat : la communication de Manuel Valls tourne à vide. Elle ne dit rien de concret, de nouveau ou de stimulant aux auditeurs qui ont déjà entendu la ritournelle, qui en sont fatigués et qui décrochent.
Trois injonctions de Manuel Valls à la société française
Manuel Valls ne se contente pas de dire qu’il assume, qu’il réforme et qu’il respecte. Il projette son triptyque sur les autres. Il attend des autres qu’ils assument comme lui, qu’ils participent à ses réformes et qu’ils respectent les mêmes choses que lui. Bref, il attend d’eux qu’ils adhèrent à sa vision du monde.
Illustration avec Air France. Manuel Valls déclare que « l’Etat est prêt à assumer ses responsabilités » en qualité de premier actionnaire et il assume avoir traité de voyous les personnes qui ont molesté des dirigeants de l’entreprise. Dans le même temps, il juge que « Air France n’a pas d’autre choix que de se réformer par le dialogue ». Il demande donc aux différentes catégories de personnel « d’assumer leurs responsabilités ». Menaçant, il ajoute : « si les pilotes n’assument pas, alors il y aura le plan B ».
Une communication qui divise
Que se passe-t-il quand on ne veut pas réformer ? Manuel Valls pose une alternative : « la réforme ou la rupture ». Il pose, en fait, un ultimatum et somme chacun de choisir son camp.
Manuel Valls fait cette réponse à deux reprises en début d’interview, quand Jean-Jacques Bourdin l’interroge sur les divisions de la gauche, puis sur les syndicalistes absents de la Conférence Sociale ou refusant de serrer la main à François Hollande. « Nous assumons le fait de gouverner, nous assumons l’exercice du pouvoir »… sous-entendu, les autres à gauche ne l’assument pas, ils sont donc contre nous et contre leur propre camp. Puis, « nous sommes face à un choix, nous réformons, les autres veulent la rupture »… sous-entendu, les syndicalistes dont parle Jean-Jacques Bourdin sont dans l’autre camp et sont donc nos adversaires. Il reprend également l’alternative « la réforme ou la rupture » dans sa conclusion.
Une communication qui ne donne pas envie.
La communication de Manuel Valls joue davantage sur le rejet que sur l’adhésion. Manuel Valls promet, certes, de réformer dans le respect, le dialogue et l’apaisement. Toutefois, au-delà des promesses, il ne dit rien qui donne envie d’aller vers ses réformes. Il se contente de réduire les choix à deux possibles (la réforme ou la rupture), d’invoquer Nicolas Sarkozy comme épouvantail de la rupture, puis de chercher une adhésion par défaut à ses réformes et à sa personne.
Puisqu’il ne peut pas fédérer son camp autour de ses idées et de ses projets, Manuel Valls joue l’affrontement et a donc besoin de désigner des ennemis. Au cours de l’interview, il s’en prend ainsi, à plusieurs reprises, à Nicolas Sarkozy et à Marine Le Pen, deux ennemis utiles car communs à tous les membres de son camp.
Une communication qui déshumanise
La communication de Manuel Valls sur-joue l’autorité. Elle est logiquement devenue froide, martiale… et autoritaire. Face à Jean-Jacques Bourdin, Manuel Valls a un visage tendu, fermé. Ni chaleur, ni empathie. Son visage n’exprime pas de sentiment. Manuel Valls entend incarner le pouvoir, l’autorité, l’efficacité. Il s’enferme dans le rôle du chef solitaire, au lieu de se poser comme leader d’une équipe. Il commet l’erreur de se déshumaniser. Pendant les 25 minutes d’interview, il esquisse une seule fois une émotion, lorsqu’il raconte sa visite à un policier gravement blessé et « la famille admirable [de ce policier] qui donne tout pour le service public ».
Manuel Valls aurait-il oublié qu’il faut donner à voir à la radio ? Qu’il faut y mettre en scène des histoires que les auditeurs peuvent visualiser et qui vont capter leur attention ? Aurait-il oublié que les messages passent mieux avec de la chaleur humaine, avec des émotions et à travers de courts récits symboliques ?
Une communication traditionnelle d’esquive et de langue de bois
En plus de tous les handicaps ci-dessus, la communication de Manuel Valls a recours à l’esquive et à la langue de bois, comme de très nombreuses communications politiques. Aujourd’hui, Manuel Valls a perdu son franc-parler transgressif. Il parle en politique et recueille, en retour, le désamour et la défiance qui frappent les politiques. Illustrations.
Manuel Valls prend la tangente lorsque Jean-Jacques Bourdin lui demande de clarifier son propos à propos d’Air France car des problèmes structurels veulent souvent dire « trop de personnel ». Il se réfugie derrière un objectif indéfini d’efficacité, qui ne veut rien dire pour les auditeurs, lorsque Jean-Jacques Bourdin lui demande si les Tribunaux Correctionnels pour mineurs vont être supprimés… et après lui avoir déclaré que « ces tribunaux n’apportaient pas la bonne solution ».
Interrogé sur son voyage en Arabie Saoudite et sur l’indécence de contrats avec un pays qui a exécuté 134 personnes depuis début 2015, il fait celui qui n’entend pas l’objection lorsque Jean-Jacques Bourdin rappelle que la France a refusé de vendre les Mistral à la Russie et qu'elle les a finalement vendus à un autre pays peu soucieux des libertés, l'Egypte.
Au final, le pire qui pourrait arriver à Manuel Valls serait de s’entêter dans cette communication. S’il a le talent et les ressources pour réformer sa posture, son discours et son image, il lui reste encore à trouver la lucidité de réaliser qu’il fait fausse route.
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