Communiquer sur la menace. Une mauvaise histoire belge. - Mediapicking
ATTENTATS
  • #Belgique
  • #Bruxelles
  • #ComdeCrise
  • #CharlesMichel
  • #OCAM
  • #Menace

Communiquer sur la menace. Une mauvaise histoire belge.

Dernière actualisation : 24/10/2017, 14:51
Embed from Getty Images

Bruxelles vit au rythme des évaluations de l’Organe de Coordination pour l’Evaluation de la Menace (OCAM) depuis samedi 21 novembre. Les images de la Grand Place désertes et le nom de Molenbeek ont fait le tour du monde. Les décisions sont inédites : fermeture des métros, des écoles, des centres commerciaux… Chaque jour, le Docteur OCAM délivre son diagnostic. Mais on ne le voit jamais et ce n’est pas lui qui prescrit les médicaments. Un dispositif qui présente plusieurs inconvénients, en particulier quand il s’agit d’informer le grand public sur une menace.

Présentation des acteurs

L’OCAM est une instance administrative composée d’experts et rattachée aux Ministères de la Justice et de l’Intérieur. Il travaille à partir d’informations transmises par plusieurs services de police (voir ici infographie). Il est chargé – comme son nom l’indique – d’évaluer la menace visant un événement, un lieu précis ou le pays tout entier. Il utilise une échelle de 1 à 4, dont les niveaux sont codifiés par un arrêté royal du 28 novembre 2006.

L’OCAM adresse ses conclusions au Centre de Crise qui est, lui, chargé d’élaborer des recommandations pour la gestion de la menace. Le Centre de Crise adresse, à son tour, ses conclusions au Conseil National de Sécurité, qui est réuni autour du Premier Ministre et qui doit décider des actions à mettre en œuvre.

Le dispositif belge ressemble à celui en vigueur en France en matière de risque sanitaire. Il dissocie l’évaluation du risque, qui est confiée à un groupe d’experts au sein d’une agence indépendante (par exemple, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire ou ANSES), de la gestion du risque qui relève du Gouvernement. Cette dissociation présente plusieurs avantages lorsqu’elle permet à l’évaluation du risque d’être mieux comprise et plus crédible puisqu’insensible aux considérations politiques.

Rappel rapide des derniers épisodes

Samedi 14 novembre, Charles Michel demande « à [ses] concitoyens d’éviter d’aller à Paris si ce n’est pas indispensable » et « lance un appel à ne pas tomber dans le piège de la peur ».

Lundi 16 novembre, l’OCAM relève de 2 à 3 le niveau de menace et le match Belgique-Espagne est annulé.

Jeudi 19 novembre, Charles Michel présente sa politique de lutte contre le terrorisme, mais ne dit rien sur un possible passage au niveau 4 et sur d’éventuelles dispositions exceptionnelles.

Samedi 21 novembre, le week-end commence avec l’annonce du niveau 4 à Bruxelles et du niveau 3 dans le reste de la Belgique. Métros et centres commerciaux ferment. Bruxelles commence à hiberner.

Dimanche 22 novembre au soir, Charles Michel annonce, lors d’un point presse, le maintien par l’OCAM des niveaux 4 et 3 ainsi que la fermeture, lundi, des écoles et universités.

Le même jour, un peu plus tard, le parquet fédéral présente le bilan des 19 perquisitions qui viennent de se terminer : 16 personnes en garde en vue et aucune arme saisie. 15 personnes seront libérées le lendemain.

Lundi 23 novembre au soir, même point presse que la veille, maintien par l’OCAM des niveaux 4 et 3, néanmoins Charles Michel annonce la réouverture des métros, écoles et universités à partir de mercredi.

Le 25 novembre, l’hibernation se termine avec le sentiment que l’information sur la menace a mal fonctionné : pourquoi une annonce surprise le 21 novembre ? Pourquoi des mesures d’exception à Bruxelles, mais pas en Flandre, sachant qu’une rue suffit souvent pour séparer les deux régions ? Pourquoi avoir tout fermé pendant quatre jours ? Et surtout, pourquoi tout rouvrir si le niveau de menace demeure à 4 et si aucun fait nouveau ne peut justifier de revenir au niveau 3 ?

L’OCAM ne communique pas directement.

Schématiquement, le dispositif belge fait intervenir trois organismes : l’OCAM évalue, le Centre de Crise recommande et le Conseil National de Sécurité décide. Chacun remplit sa mission, mais l’un d’entre eux ne communique pas : l’OCAM. On se retrouve ainsi dans un dispositif où tout repose sur l’évaluation et la conclusion d’un organisme qui ne s’exprime pas, qui n’a ni site web, ni compte Twitter, qui n’a pas de visage, qui ne donne pas d’interview et qui ne produit pas de document public.

Un tel silence n’existe pas dans les autres dispositifs qui dissocient l’évaluation et la gestion des risques. J’évoquai, plus haut, les risques sanitaires. Les agences et les experts qui sont chargés de l’évaluation de ces risques, assurent eux-mêmes la communication de leurs conclusions. De plus en plus souvent, ils communiquent aussi sur la méthode utilisée pour construire leurs conclusions.

Les effets négatifs du silence de l’OCAM

Ce silence de l’OCAM a plusieurs effets négatifs lorsqu’il s’agit d’évaluer la menace terroriste.

Premier effet. Le niveau de menace tombe sans explication, ni référentiel. Il n’y a ni pédagogie sur la décision, ni pédagogie, en amont, sur l’échelle et sur la méthode qui sont utilisées. L’annonce du chiffre est lapidaire. Elle a l’apparence de l’arbitraire. Elle prend par surprise, comme ce fut le cas samedi 21 au matin. Elle ne cherche pas à faire adhérer à sa vision de la situation.

Deuxième effet. Le Premier Ministre se retrouve à annoncer le chiffre du jour, sur une échelle de 1 à 4, au début de chacune de ses interventions en point presse. Il apparaît ainsi comme le porte-parole de l’OCAM, mais aussi comme un journaliste météo annonçant des températures sur lesquelles il n’a pas prise. On lui a fourni un texte qu’il ne peut ni commenter, ni critiquer. Il a beau être Premier Ministre, il doit faire avec ce foutu chiffre. Seul avantage, face aux critiques, il peut se défausser sur l’absent : l’OCAM.

Troisième effet. La distinction essentielle entre l’évaluation et la gestion de la menace est cassée en communication. Après avoir annoncé le chiffre du jour, le Premier Ministre poursuit, sans rupture, ni changement de rôle, avec l’annonce des recommandations et des décisions pour la gestion de la menace. Ses prises de parole créent une continuité et une confusion entre l’évaluation et la gestion. Elles ont créé une correspondance automatique entre le niveau 4 et la fermeture des métros et des écoles.

Au final, le dispositif de communication ne peut pas rester en l’état car cette histoire belge ne va pas s’arrêter ici. Si l’OCAM maintient au niveau maximal son évaluation de la menace terroriste à Bruxelles pendant quelques semaines ou plus, alors le Gouvernement aura besoin d’une nouvelle communication et d’une nouvelle histoire, le jour où il devra prendre, à nouveau, des mesures exceptionnelles d’hibernation. Espérons qu’il ne s’agira pas alors d’une mauvaise histoire belge.

Commentaires (2)

  • Emmanuel a écrit le 28/11/2015, 11:03
    Un peu marre de lire 4 fois dans le texte "une mauvaise histoire belge", il faudra combien de décennies pour que "nos petits voisins Français" changent de disque. Ceci dit, on a évité "des frites troip salées", on avance.... Sur le fond, je suis d'accord que ces chiffres 3 et 4 sont incompris et anxiogènes, peu importe qui l'annonce
  • Joël Amar a écrit le 28/11/2015, 11:21
    En réponse à Emmanuel. La "mauvaise histoire belge" apparaît uniquement dans le titre et la chute du texte (et non pas 4 fois). J'aurais pu peut-être en faire l'économie, je vous le concède car mon propos est, somme toute, éloigné de cette considération. Mon propos est de dire qu'une communication sur une menace fonctionne mal lorsqu'elle ne respecte pas la séparation entre l'évaluation et la gestion de la menace. Au-delà de ce propos, les politiques et journalistes français ont désigné la Belgique comme excuse ou prétexte au fait qu'ils n'ont pas vu venir les attentats du 13 novembre. Le procédé n'est pas glorieux. Je comprends qu'il excède des Belges.
Votre commentaire a bien été enregistré et est en attente de validation.