Marche contre la peur à Bruxelles. Tous unis contre la haine en France. Qu'est-ce qui ne va pas dans ces actions et dans leurs noms? - Mediapicking
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Marche contre la peur à Bruxelles. Tous unis contre la haine en France. Qu'est-ce qui ne va pas dans ces actions et dans leurs noms?

Dernière actualisation : 04/09/2017, 16:59

Bruxelles sous le choc après les attentats. Les hommages se poursuivent, plus ou moins dans l’unité. Place de la Bourse, il y a des bougies, du recueillement et Johnny Hallyday. Mais "on a foiré le 11 janvier belge", se sont écriés les deux humoristes Charline Vanhoenecker et Alex Vizorek sur France Inter le 29 mars.

Il faut dire que la « marche contre la peur » qui était prévue le dimanche 27 mars a été reportée. En lieu et place, 450 hooligans ont déferlé, puis se sont fait repousser au canon à eau. Ils font, depuis, l’objet d’une nouvelle polémique entre politiciens belges. La vie continue donc, un peu comme avant.

Ce qui m’interpelle dans cette histoire, c’est le nom de cette manifestation : « marche contre la peur ». A la fois slogan, hashtag, mot d’ordre et cri de ralliement. Il fait écho, en France, à un autre nom sur un sujet très proche, le nom de la campagne lancée par le Service d’Information du Gouvernement à l’occasion de la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme : « Tous unis contre la haine ».

Les deux noms ont en commun de dire une opposition à quelque chose d’indéfini. Qu’est-ce qui ne va pas dans le choix de ces noms ? Qu’est-ce qui ne va pas dans cette manifestation qui n’a pas eu lieu et dans cette campagne de communication sur un sujet capital ?

A Paris, tous en terrasse !

Commençons par Bruxelles et par la « marche contre la peur ». On entend souvent que les terroristes veulent nous terroriser et qu’une réponse à leur apporter est de montrer que nous ne sommes pas terrorisés, par exemple en ne changeant pas nos habitudes de vie ou en allant « tous en terrasse », slogan lancé à Paris après les attentats de novembre 2015.

On a aussi entendu, après ces attentats, le slogan « même pas peur », qui évoque « même pas mal », ce cri d’enfants après une bagarre. Le slogan a peut-être rassuré ceux qui l’ont clamé, mais il était maladroit car il sonnait comme une invitation aux terroristes à frapper plus fort la prochaine fois. Un point important est qu’en France, « même pas peur » n’a jamais été un mot d’ordre pour une manifestation.

Marcher contre la peur de quoi ? De qui ?

A Bruxelles, ceux qui ont lancé un appel à manifester, ont mis la peur au cœur de cet appel. Mais refuser d’être terrorisé n’est pas la même chose que refuser la peur. On peut aller en terrasse, tout en ayant peur. On peut faire preuve de courage, tout en étant conscient des dangers et tout en ayant peur des dangers. La peur est un sentiment humain. S’opposer à une part de notre humanité, n’est-ce pas faire le jeu des terroristes qui nous attaquent et qui disent, eux, ne pas avoir peur de mourir ?

Côté terroristes, ni peur de tuer, ni peur de mourir. Et nous, de notre côté, de quoi ou de qui avons-nous peur ? Et contre quelle peur étions-nous appelés à marcher ? Après le mot « peur », il manque des points de suspension. Le slogan est générique. Il permet à chacun de compléter avec les mots de son choix. Il permet aussi de ratisser large, au risque de grands malentendus. Surtout, il ne veut pas dire grand-chose tant que l’objet de la peur n’est pas nommé.

Manifester sans cliver

Si la manifestation avait eu lieu, des personnes auraient peut-être marché, côte à côte, contre la peur de mourir et contre la peur de vivre. Contre la peur du terrorisme et contre la peur d’atteintes aux libertés individuelles. Contre la peur du djihadisme et contre la peur de l’islam. Comme la manifestation n’a pas eu lieu, l’organisation Etat Islamique en déduira probablement que nous avons eu peur de manifester contre la peur. Le message est catastrophique, mais pourquoi s’être laissé embarquer dans un slogan sur la peur ?

En fait, pourquoi un slogan indéfini a-t-il réussi à fédérer un public sur les réseaux sociaux et à s’installer dans les médias ? Probablement parce qu’il était indéfini, parce que le temps du deuil et des blessures n’était pas terminé et parce que de légitimes motifs d’opposition auraient été moins fédérateurs et plus clivants.

Il y a, pourtant, l’embarras du choix quand on veut manifester contre quelque chose. La marche aurait ainsi pu être contre le terrorisme (mais il aurait alors fallu le qualifier), contre l’islamisme (à dissocier de l’islam), contre les failles policières et judiciaires (mais c’est encore trop tôt, laissons-leur une chance de se rattraper), contre le communautarisme ou contre les politiques clientélistes,

Dans un registre plus consensuel, la marche aurait pu avoir lieu en hommage aux victimes des attentats. Avec de mauvaises raisons, tout le monde a préféré un appel à marcher contre la peur. Seul point positif de cette histoire : la chronique très drôle de Charline Vanhoenecker et Alex Vizorek.

Tous unis contre la haine de qui ?

A Paris, le slogan « Tous unis contre la haine » donne, lui aussi, l’impression d’un mot d’ordre générique et indéfini, auquel il manque des points de suspension et que chacun peut remplir, à la carte, en fonction de ses affinités, centres d’intérêts, inquiétudes ou identités. On devine la volonté d’éviter un long slogan où il aurait fallu faire entrer au forceps le racisme, l’antisémitisme et les actes antimusulmans, si l’on se réfère uniquement aux messages des six spots de la campagne.

Pour autant, que signifie « être contre la haine » ? Pas grand-chose tant qu’on ne dit pas qui est l’objet de la haine. Il ne suffit pas, en effet, de dire « haine » pour évoquer le racisme ou l’antisémitisme. Ceux-ci ne sont que des sous-ensembles de la haine. Il en est de même pour l’homophobie, la xénophobie et la haine des Musulmans. Un autre sous-ensemble réunit tous ceux qui répètent en boucle « j’ai la haine ». Il peut présenter des intersections avec les autres sous-ensembles cités.

Communiquer sans cliver

Comme à Bruxelles avec la « marche contre la peur », on se retrouve en France avec un slogan indéfini… probablement parce qu’il est indéfini, parce qu’il est supposé ratisser large et parce qu’il évite une concurrence des victimes et tous les mauvais procès qui vont avec cette concurrence.

Et comme à Bruxelles, un slogan ne nommant pas les victimes de la haine est probablement plus fédérateur et moins clivant que des appels à être unis contre la haine des Arabes, des Noirs, des Juifs, des Musulmans, mais aussi des Roms, des Asiatiques, des réfugiés, des homosexuels… et des Blancs.

L’inconvénient d’un slogan indéfini est qu’il peut facilement être retourné contre ses créateurs. Suite à des propos polémiques de Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, le gouvernement en a fait l’amère expérience le 30 mars : de nombreux Internautes se sont alors « tous unis contre la haine du gouvernement », devenu l’auteur de propos racistes.

Après le slogan, la campagne elle-même pose problème.

Certains considéreront que j’ergote sur la signature d’une campagne d’intérêt général dont les six spots visent explicitement à lutter contre le racisme, l’antisémitisme et les actes antimusulmans.

Ces spots sont, tous, construits sur un décalage entre des images très violentes « inspirées de faits réels » et des propos conviviaux, tenus lors de repas, lourds de préjugés racistes, antisémites ou antimusulmans. Ils veulent alerter sur une mécanique infernale : « ça commence par des mots, ça finit par des crachats, des coups, du sang ». Ils terminent sur une interpellation : « Réagissons. Tous unis contre la haine ».

Problème : les spots ne sont pas exempts de critiques, comme en témoigne l’article de Philippe Bilger dans Le Figaro : « Les ‘petits blancs’ toujours coupables, jamais victimes ? ». Je souhaite, pour ma part, souligner trois points.

Une efficacité limitée

En premier lieu, la publicité joue sur l’identification. A qui s’identifient les téléspectateurs ? Quasiment personne aux auteurs des violences (heureusement !). Très peu à la voix off qui interpelle les autres convives et qui les incite à prendre conscience de leur racisme (de tels personnages sont, hélas, très rares). En fonction des spots, les Arabes, Juifs, Musulmans ou Noirs aux victimes.

Reste la grande majorité des téléspectateurs. Il leur reste les voix off exprimant des préjugés racistes. Ces téléspectateurs vont probablement ne pas se sentir concernés et rejeter le message des spots, au motif qu’ils n’iront jamais jusqu’à commettre de telles horreurs et qu’ils sont libres de tenir de tels propos (les esprits sont, hélas, très confus en matière de liberté d’expression). Résultat : des spots peu efficaces.

Un déni des réalités

En deuxième lieu, la campagne consacre deux de ses six spots à la lutte contre l’antisémitisme (les Juifs sont la cible de 50% des actes racistes commis en France).

Un spot montre une synagogue recouverte d’un tag « mort aux Juifs », l’autre montre une agression par des jeunes en capuches, qu’il est impossible d’identifier. Or de nombreux actes antisémites sont commis par de jeunes musulmans et les préjugés antisémites sont plus présents chez les Musulmans que dans le reste de la population (cf. étude IPSOS pour la Fondation du Judaïsme Français en janvier 2016).

La campagne aurait pu consacrer l’un de ces deux spots à ces réalités. Elle choisit, au contraire, de faire l’impasse sur l’antisémitisme chez les Français musulmans, alors même qu’elle n’a aucun souci à stigmatiser les autres Français et à les présenter comme des racistes et des antisémites. Ses auteurs ont peut-être un problème à admettre que des victimes du racisme peuvent aussi être des auteurs d’actes racistes.

Un message réducteur et insuffisant

En troisième lieu, l’interpellation finale des spots (« Réagissons. Tous unis contre la haine ») pose question à cause du décalage entre le son (les voix off conviviales) et les images de violence. A quoi nous demande-t-on de réagir ? Au son ou à l’image ? Aux préjugés ou aux violences ? Ici, la campagne est explicite. Elle vise les propos racistes puisque ceux-ci, par une mécanique infernale, se transforment en violences.

C’est, hélas, réducteur et insuffisant. En amont, la campagne ne lutte pas contre les préjugés racistes, leur formation et leurs causes. En aval, elle ne lutte pas, non plus, contre les violences racistes. Or, en ce domaine, il y a urgence car on a l’impression qu’en France, ceux qui « ont la haine » sont de plus en plus nombreux. Et les images des spots montrent qu’ils sont de plus en plus violents.

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