François Hollande à la télévision. Des objectifs atteints, mais le problème est ailleurs. - Mediapicking
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François Hollande à la télévision. Des objectifs atteints, mais le problème est ailleurs.

Dernière actualisation : 15/04/2016, 18:25

François Hollande a fait son retour à la télévision. Ceux qui espéraient le début d’une tournée d’adieu jugeront que cet homme n’a décidément aucune grandeur. A l’issue de ces Dialogues Citoyens, on a davantage l’impression que François Hollande voudra remettre le couvert en 2017. Les commentaires : « incorrigible » dans Le Figaro, « caboteur » (à ne pas confondre avec cabotin) dans Le Monde, « inaudible » et « tragique » dans Le Point… Ceux qui portent un regard négatif sur ce quinquennat (ils sont ultra-majoritaires) vont utiliser l’émission comme nouvelle pièce à charge contre le Président.

L’audience est faible : 3,5 millions de téléspectateurs. Viendront vite les résultats des sondages. Mais tout le monde sait bien qu’une émission de télévision ne suffit pas pour remonter dans l’opinion. En attendant ces lectures quantitatives, je vais y aller, moi aussi, de mon commentaire. A contre-courant, je considère que François Hollande a coché, sur France 2, plusieurs de ses objectifs de communication. Pour autant, le format d’une grande émission pose problème et il manquait, hier soir, l’essentiel. Commençons par les objectifs de communication.

Objectif n°1 : je suis président, j’assume et je descends dans l’arène.

François Hollande est président. Il ne faut surtout pas l’enterrer prématurément. Au-delà des chiffres d’audience, son émission est l’événement TV de la semaine. Les coulisses, le casting et le conducteur s’étalent dans les médias depuis plusieurs jours. L’acteur principal et les « guest stars » (ces Français sélectionnés, exhibés et coachés, dont le nombre est passé brutalement de six à quatre) n’ont laissé personne indifférent. On est intéressé par la parole d’un président qui bat des records d’impopularité. On est curieux de voir l’animal. Une chose est sûre : si François Hollande est descendu dans l’arène, c’est la preuve qu’il est vivant et qu’il bouge toujours.

Objectif n°2 : j’ai un cap, il est de gauche et je le tiendrai jusqu’au bout.

François Hollande affirme qu’il a un fil conducteur : « moderniser le pays et protéger le modèle social ».

Il cherche, avant tout, à s’adresser aux salariés qui étaient le cœur de son électorat. Il s’adresse à eux avec des mots « de gauche » qui sont supposés rassurer : recrutement en CDI, « protéger contre les aléas de la vie », « pas de cadeau aux patrons, mais aux entreprises »… Il comprend « la jeunesse qui n’est jamais satisfaite ». Il poursuivra les réformes jusqu’au bout de son mandat.

Tout est dit dès les premières minutes de l’émission. Face à une cheffe d’entreprise qui veut des CDD et des stagiaires, il se posera en rempart contre les excès de la précarité, même s’il laisse en pointillés le clivage idéologique qui les sépare.

Objectif n°3 : j’ai beaucoup agi et j’exerce moi-même mon droit d’inventaire.

On a souvent reproché au chef de l’Etat et au Gouvernement de ne pas savoir faire la pédagogie et la promotion de leurs actions. Sur France 2, François Hollande a une capacité impressionnante à lister des dispositifs techniques qui sont supposés être la preuve de sa capacité à agir, à moderniser et à protéger. Face à chaque citoyen, il commence toujours par répondre en biais, en accumulant les chiffres et les satisfécits, histoire de poser un cadre général qui lui soit plus favorable.

On pourra toujours supputer que France 2 et l’Elysée ont travaillé ensemble sur le conducteur. En même temps que la promotion de ses actions, François Hollande avait clairement la volonté de commencer son propre inventaire. Il était opportunément servi, pour cela, par la première question posée par Karim Rissouli et attribuée aux Internautes.

Objectif n°4 : je suis le chef chez moi et je fige le calendrier pour 2017.

François Hollande sait qu’il ne règne plus que sur une poignée de membres de sa majorité. Il ne s’est donc pas aventuré en terres hostiles et personne ne l’a interrogé sur une primaire à gauche. Il a néanmoins utilisé l’émission pour rappeler qu’il était le chef chez lui. Manuel Valls et Emmanuel Macron ont, tous deux, été recadrés en alternant mots fermes et mots aimables.

François Hollande a également utilisé l’émission pour dire qu’il déciderait, fin 2016, s’il est ou non candidat en 2017, au motif qu’il a été élu pour un quinquennat et qu’il se refuse à faire un bilan sur la courbe du chômage après seulement quatre ans à l’Elysée. Le calendrier est maintenant figé. A gauche ou chez les Verts, ceux qui déclarent leur candidature avant fin 2016, devront reconsidérer leur position en fonction du choix de François Hollande et de leur responsabilité dans la perspective d’un nouvel 21 avril 2002.

Objectif n°5 : je suis courageux et je souffre pour vous.

François Hollande dessine, par petites touches, un nouveau personnage : celui d’un président à la fois courageux, tragique et presque christique. Il a le courage de descendre dans l’arène de cette émission de télévision, tout comme il a eu le courage d’aller à Charlie Hebdo et au Bataclan, très vite après les attentats.

Il a vu la mort. Il affronte les épreuves. Il vit tout le temps avec la tragédie. Il souffre lorsque trois militaires meurent après l’explosion d’une mine au Mali. Il souffre avec nous, il souffre pour nous et il a le courage de souffrir pour nous décharger de nos souffrances. Il est le père protecteur à la fois contre les attentats et contre le démantèlement du modèle social. Il est aussi le fils, prêt à vivre avec la mort pour nous sauver. On voit ainsi se dessiner le personnage qui se prépare à mener campagne en 2017.

L’erreur de l’édredon à la télévision

On peut cocher ses objectifs et oublier l’essentiel. Résultat : ça ne marche pas. C’est la mésaventure qui frappe François Hollande depuis déjà quelques temps.

Sur France 2, François Hollande et ses conseillers ont oublié que la télévision était un média chaud qui véhicule des émotions et qui se prête mal aux exposés techniciens. Pendant toute l’émission, François Hollande s’est transformé en super-édredon : il a souvent dit à ses interlocuteurs qu’il les écoutait attentivement, il a absorbé et neutralisé la colère ou la déception de leurs propos, puis il leur a répondu sur un ton égal, sans montrer d’affect, ni rendre de coup.

Au fil de l’émission, il est apparu que contrairement à ce qu’il disait, François Hollande n’entendait pas véritablement les questions posées et n’était pas en communication et, encore moins, en empathie avec les citoyens qui l’interrogeaient. Difficile, dans ces conditions, d’exprimer des émotions, de capter l’attention, de dire des choses marquantes, bref de faire le show. Erreur tragique en télévision !

En fin d’émission, Léa Salamé lui a même demandé si la première qualité d’un chef d’Etat était l’indifférence, tant elle avait l’impression que tout glisse sur lui. Il a fallu attendre cette ultime question pour voir enfin une émotion, celle du tragique, lorsqu’il a évoqué, un à un, les trois militaires morts au Mali cette semaine. C’était réussi, mais c’était tard et puis, s’il est une chose que personne ne veut voir dans nos sociétés occidentales, c’est la mort. Pas sûr que cela fasse envie !

Un format TV qui a perdu son sens

Le problème ne se limite peut-être pas aux carences émotives que les supporters de François Hollande qualifieront de retenue, pudeur et dignité, à l’opposé des excès de Nicolas Sarkozy. Et si le problème était aussi dans le format de la communication, une émission de télévision de près de deux heures ?

Il est loin le temps du « fenestron », le mot qu’utilisait Jacques Pilhan pour désigner le téléviseur. Dans son livre sur le conseiller en communication de François Mitterrand et Jacques Chirac, le journaliste François Bazin écrit : « la télévision, pour [Jacques Pilhan], c’est ce qui unifie. Le JT est une grand-messe, donc une communion. […] Quand Jacques Pilhan pense aux Français, il les imagine devant leur poste de télévision, à l’heure du dîner familial. Tout le reste en découle » (Le Sorcier de l’Elysée, Plon).

Encore aujourd’hui, la communication présidentielle est souvent pensée à l’aune de l’émission « Ça nous intéresse, Monsieur le Président ». Mais à l’ère des réseaux sociaux où tout le monde dialogue avec tout le monde 7 jours sur 7 et quasiment 24 heures sur 24, une longue émission de dialogue avec le Président, une fois par an ou une fois tous les deux ans, a-t-elle encore de la force et du sens ? Pourquoi s’étonner alors que l’audience est faible ?

Ça va mieux, un mauvais titre pour un mauvais film

Quand tout le monde dialogue avec tout le monde, on zappe, on tweete, on poste, on décode, bref on est multitâches et on a du mal à rester deux heures devant un spectacle long et ennuyeux. Alors, on s’accroche à la phrase qui tourne en boucle dans les médias, comme un condensé de l’émission. Et cette phrase devient l’émission toute entière. Hier, François Hollande a dit : « ça va mieux ». Mais le Président est-il aveugle ? Est-il dans le déni ? Ne voit-il donc pas que ça ne va pas mieux ? Ensuite, c’est cuit.

Le format de ces rendez-vous présidentiels dans le « fenestron » a probablement vécu. Pour ceux qui remplissent aujourd’hui les mêmes fonctions que Jacques Pilhan et Gérard Colé en 1985, la question n’est plus de décider si le Président sera interviewé par des journalistes ou s’il dialoguera avec des citoyens, combien il y aura d’interviewers et qui sera sélectionné, comment donner du rythme à l’émission et quelle en sera la scénographie.

La question est de penser chaque décision politique en même temps que sa communication et de réaliser, à l’échelle d’un quinquennat, un film solide et cohérent, aux personnages attachants, donnant envie de voir la suite. Quand tout le monde dialogue avec tout le monde en permanence, il est très difficile de rattraper le temps perdu et il est extrêmement rare de faire un bon film avec deux heures de dialogue autour d’une table.

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