Un immense paradoxe ressort de l’actuelle campagne pour l’élection présidentielle : une élection qui était imperdable pour la droite devrait être perdue par le candidat de la droite. Le Figaro refuse ce scénario. Le 7 mars, au lendemain de l’annonce par Alain Juppé qu’il ne jouerait pas le plan B, le journal affichait en Une : « Fillon impose sa candidature à la droite ». Ce jour-là, l’édito était intitulé « En campagne, et vite ! ».
Depuis, les éditorialistes du Figaro se relaient pour convaincre les Français, et a minima leurs lecteurs, qu’il n’y a qu’un candidat qui vaut la peine d’être élu : François Fillon. Ils communiquent sur deux registres : des messages positifs pour valoriser le projet de leur champion, des messages négatifs qui tirent à vue sur ses deux concurrents les plus directs, Marine Le Pen et surtout Emmanuel Macron.
Les titres des éditos donnent un avant-goût : « L’Auberge Macron » (8 mars), « Saut sans parachute » (9 mars) à propos du projet FN de sortir de l’euro, « Courte échelle pour le FN ? » (11 mars) sur les risques d’une victoire de Macron en 2017, « Le piège » (13 mars), « Tolérance zéro » (18 mars) pour une nouvelle politique de sécurité ou « Test de crédibilité » (20 mars) à propos du premier débat TV.
Le piège, c’est Le Pen et Macron pour Le Figaro.
Dans l’édito intitulé « Le piège », Paul-Henri du Limbert semble faire sien le slogan de mai 68 : élections, piège à cons. On tend un piège aux Français en leur imposant de choisir entre Le Pen et Macron. On tend un piège à la droite en la privant de second tour dans une élection jugée imperdable il y a deux mois.
« Avec Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le PS et le FN se sont simplement ‘relookés’. Personne n'est obligé de tomber dans le piège ». L’éditorialiste invite les lecteurs du Figaro à retrouver leurs esprits et à se concentrer sur les vrais enjeux, « plus le premier tour approche ». Il les y invite en démasquant Macron, le candidat de la fausse réforme et de la continuité avec Hollande, puis Le Pen, la candidate d’un saut dans l’inconnu qui « conduirait inévitablement la France en deuxième division ».
D’une certaine façon, Paul-Henri Limbert a raison : cette élection qui était imperdable pour la droite est effectivement piégée, mais le piège n’est ni dans un second tour Le Pen-Macron, ni dans leur « relooking ». Il y a, en fait, plusieurs pièges et leur auteur est, le plus souvent, François Fillon lui-même. En s’acharnant à être candidat et en tuant dans l’œuf toute autre solution, celui-ci a construit au moins quatre pièges qui se referment aujourd’hui sur la droite et qui lui promettent une élimination au premier tour.
Le piège du candidat démasqué et rejeté pour ce qu’il est.
Le premier piège est le rejet du vrai François Fillon, celui que les Français découvrent depuis le 25 janvier, un candidat mis en examen, aux antipodes de l’intégrité affichée pendant près de trois décennies. C’est le rejet d’un homme, un rejet si fort qu’il fait passer loin derrière sa ligne politique et son projet pour la France. Ce piège-là, il ne tenait qu’à François Fillon de le déjouer en se retirant de la course.
Les éditorialistes du Figaro se font ici elliptiques. Le 13 mars, Paul-Henri Limbert parle d’un « Fillon bashing qui accapare déraisonnablement les esprits ». Le 20 mars, Gaëtan de Capèle renchérit : « Et si, au lieu de prendre de grands airs pour commenter, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, des faits qu'il appartiendra à la justice d'apprécier, l'on s'intéressait enfin à l'essentiel ? »
Le 18 mars, Le Figaro publiait opportunément un sondage sur les Français et la sécurité, un sondage Odoxa montrant que Fillon est, sur ce sujet, le candidat jugé le plus compétent (26% des Français) et le plus sérieux (24%). Impossible, pour autant, d’éluder un autre sondage Odoxa, publié la veille pour France Info.
Seuls 10% des Français jugent que François Fillon est honnête (-22 points par rapport au 27 janvier 2017, deux jours après les premières révélations). Et 75% des Français considèrent que François Fillon aurait dû renoncer à se présenter (+14 points par rapport au 3 février 2017).
Le piège de la crédibilité et de l’exemplarité
Le deuxième piège découle du rejet de la personne. Tout candidat à une élection a besoin d’être crédible et exemplaire s’il veut convaincre avant l’élection et s’il veut, une fois élu, faire adhérer les Français à des réformes qui demanderont des efforts. Sinon, pourquoi prêter attention à ses discours et à ses promesses ? Le Figaro dénonce un piège : ni Macron, ni Le Pen ne seraient crédibles.
Selon le journal, à écouter les soutiens de Macron, « il suffirait d'être un tout petit peu plus réformateur que le président sortant (il y a de la marge) et la France serait sauvée. Qui peut y croire ? » Côté Le Pen, Le Figaro se focalise sur l’abandon de l’euro, un abandon aux « conséquences vertigineuses ».
Après avoir exposé son ni-ni (ni Macron, ni Le Pen), Le Figaro juge que « le programme de François Fillon est le seul qui puisse éviter [la] relégation [de la France en deuxième division] ». Ce faisant, il oublie l’essentiel : qui peut croire Fillon aujourd’hui ? Peu importe le programme quand celui qui le porte s’est privé, tout seul, de crédibilité et d’exemplarité. En maintenant sa candidature, Fillon piège son camp et son programme en les privant d’un candidat capable de convaincre au-delà d’un noyau dur minoritaire d’irréductibles.
Le piège de la confusion morale et de la porosité
Le Figaro fait feu de tout bois. Il reprend à son compte l’argument UMPS du FN (édito du 11 mars) : « en pratiquant la ‘confusion gauche-droite’, l'ex-ministre de l'Économie fait […] la courte échelle au Front national », puis « la victoire d'Emmanuel Macron en 2017 impliquerait un affaiblissement durable de la droite républicaine, mais propulserait, à coup sûr, le Front national en orbite élyséenne pour 2022 ».
Le journal dénonce une confusion politique, mais oublie la confusion morale dans laquelle François Fillon plonge la droite républicaine qui continue de le soutenir. Cette confusion morale est un piège bien plus redoutable. Elle crée des passerelles avec Marine Le Pen et le FN, au motif qu’eux aussi s’attaquent aux juges et aux médias. Les deux candidats sont mis en examen. Le même référentiel moral vaut donc pour eux deux : puisqu’elle se maintient, il n’y a aucune raison pour qu’il abandonne.
En se maintenant, en érigeant le peuple français en arbitre absolu, en sombrant dans le déni, le mensonge et la radicalité, Fillon piège à nouveau son camp car il rend encore plus poreuse la ligne qui, jusqu’ici, séparait le FN et la droite républicaine.
Ni Le Pen, ni Fillon. Le piège du vote utile.
Le maintien de Fillon pose un quatrième piège, un piège à la fois moral et tactique qui devrait être fatal à la droite. Le Figaro dénonce le double piège de Le Pen et Macron, mais oublie le piège du vote utile dès le premier tour, lorsque le seul enjeu est de désigner l’adversaire de Marine Le Pen.
Des électeurs refusent d’être confrontés à l’alternative Fillon-Le Pen au second tour car ils ne pourraient alors voter ni pour l’un, ni pour l’autre. Ce serait, pour eux, bonnet blanc et blanc bonnet, non pas en économie, mais dans le rejet que leur inspirent les deux candidats. Ils pensent, de plus, que de nombreux électeurs partagent ce rejet et que cela mènerait Marine Le Pen à la victoire.
Voulant se prémunir de cette victoire et d’un choix impossible entre Le Pen et Fillon, ils voteront Macron au premier, puis au second tour simplement parce que le maintien de Fillon enlève tout sens à un front républicain en faveur du candidat de la droite. Fillon achève ici de piéger son camp.
Après la présidentielle, les législatives
Cette élection présidentielle est donc piégée. C’est une cause entendue, même si le piège n’est pas celui que dénonce Le Figaro. Il reste un piège dont on a encore peu parlé, à trop se focaliser ainsi sur la présidentielle et à considérer que les Français, cohérents, donneront une majorité au prochain président.
Tout à son plaidoyer pro-Fillon, Le Figaro publiait, le 13 mars, un article intitulé « La garantie d’une majorité, l’atout de Fillon » face à Le Pen et Macron qui, eux, seraient sans majorité : « logiquement à l'abri d'une cohabitation, le candidat LR peut garantir que c'est bien son projet et pas un autre qu'il mettra en œuvre s'il est élu président ».
L’article s’emploie à balayer une hypothèse portée par « plusieurs élus, dirigeants ou militants de l’actuelle opposition » : « élu président, l'ancien ministre de l'Économie pourrait obtenir une majorité de droite et être ainsi obligé d'appliquer le programme de l'ancien premier ministre alors que celui-ci, à cause de son ‘affaire’, n'en aurait plus l'autorité ou la légitimité ». Mais pourquoi serait-ce uniquement une hypothèse ?
La cohabitation pour sortir du piège Fillon
Fillon a piégé son parti et son camp pour la présidentielle : impossible de se débarrasser de lui jusqu’au soir du premier tour. Pour autant, le calendrier électoral ne s’arrête pas au premier tour. Enjamber la présidentielle et tout miser sur les législatives, peut-être est-ce la stratégie de tous ceux à droite qui ont fait leur deuil d’une élection présidentielle imperdable. Une cohabitation dès le début du prochain quinquennat pourrait ainsi être l’ultime rebondissement d’une campagne électorale inédite.
Ce serait un piège pour le vainqueur de la présidentielle, mais aussi un piège pour Fillon qui serait poursuivi par les juges, tandis que son camp, majoritaire à l’Assemblée, composerait le gouvernement et appliquerait son programme. Il y a décidément plein de pièges dans cette campagne, mais étonnamment, ce n’est pas sur ces pièges-là que Le Figaro entend attirer l’attention de ses lecteurs.
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