Il est utile de regarder les 77 Unes du Figaro, du Monde et de Libération en novembre quand on veut comprendre les résultats du FN en décembre. Jusqu’au 13 novembre, les 33 Unes étaient surtout politiques, dans la perspective des élections régionales. Puis, la France a basculé dans l’horreur, l’urgence, le deuil, la guerre. Les 44 Unes suivantes reflètent cette rupture. 28 sont consacrées aux attentats et à leurs suites, 7 à la guerre contre l’Etat islamique (EI). Ces deux sujets ont supplanté tous les autres, avec 80% des Unes à partir du 14 novembre et 45% des Unes sur l’ensemble du mois.
En novembre, l’unité nationale, déjà très sollicitée en janvier, a fait son grand retour. Elle a mis un étouffoir sur les élections régionales. La campagne a disparu de la Une des journaux. Aujourd’hui, c’est le parti qui progresse sans faire campagne qui apparaît comme le principal bénéficiaire de cette disparition.
Ne nous mentons pas : le FN était déjà très haut avant les attentats. Ceux-ci lui ont apporté les quelques points supplémentaires qui lui manquaient pour garantir une, deux ou trois victoires, que les camps adverses choisissent le maintien, la fusion ou le retrait. Voyons comment et pourquoi, à la lumière des Unes du Fig, du Monde et de Libé.
Avant les attentats, pilonnage du Figaro sur Hollande et Valls
Début novembre, le Hollande-bashing reprenait des couleurs (c’est fou comme les choses changent vite… dans un sens comme dans l’autre). Le Figaro est ici en première ligne. Il titre, le 2 novembre, « Hollande. L’échec de l’hyper-communication », puis le 5, « Le sauve qui peut » sur une photo de François Hollande et Manuel Valls. Il pilonne sur son sujet « préféré » (« La France en panne de solutions face à l'afflux de migrants », le 12), sur ses ministres « préférés » (Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem), sur les deux têtes de l’exécutif (« Impôts. Les Socialistes bousculent Hollande et Valls », le 13)… tout en saluant, le 11, la dernière transgression d’Emmanuel Macron : « Fonctionnaires: Macron brise un nouveau tabou ».
Dilemme et papillonnage au Monde et à Libération
Le Monde et Libération sont à la fois critiques et résignés. Libération demande en Une « Régionales. Déclic ou grosse claque? » le 2 novembre, puis « Régionales. Faudra-t-il voter à droite ? » le 13. Le 25 octobre, Le Monde avait acté la défaite et le dilemme du PS : « aider la droite ou favoriser le FN ». Il note, le 6 novembre, que le FN change de discours sur l’économie. A quelques heures des attentats, il s’interroge sur « la stratégie énigmatique de Manuel Valls » contre le FN.
En attendant les régionales et pour ne pas lasser le lecteur en lui servant, tous les jours, la COP21, ses méandres et l’impérieuse nécessité de sauver la planète, Le Monde et Libération papillonnent d’un sujet à l’autre, d’un drame ou scandale à l’autre : Sud Soudan, Vatican, Volkswagen… pour le premier, le film « Le fils de Shaul », la mort de réfugiés (« Chaque jour, deux Aylan »), Luxleaks… pour le second. Les deux quotidiens se retrouvent pour un hommage en Une à André Glucksmann.
Avant les attentats de Paris, il y eut le crash d’un avion russe en Egypte, puis l’attentat de l’EI à Beyrouth. Deux signaux faibles d’une menace à ne pas oublier… et qui se rapprochait de la France. L’avion russe fit uniquement deux Unes (Le Figaro et Libération). L’attentat à Beyrouth est, quant à lui, passé directement dans les pages intérieures.
Des Unes de deuil, de guerre, montrant Hollande et tendant un miroir à la France
Après le 13 novembre. La nation est en deuil, la nation est en guerre et, surtout, la nation est unie. François Hollande reprend la main, il décide, surprend, discourt, voyage, rend hommage. Les Unes rendent compte de la geste présidentielle. François Hollande est donc, sans surprise, n°1 en novembre pour les photos en Une. Il compte 7 photos, loin devant André Glucksmann (4 photos) et Angela Merkel (3 photos).
Au début du mois, il était photographié avec Manuel Valls car les critiques ciblaient alors les deux têtes de l’exécutif. A partir du 14 novembre, il apparaît seul, dans l’exercice de ses pouvoirs, ou en compagnie des « grands » de ce monde : Angela Merkel, Barack Obama, Xi Jinping.
Les Unes montrent une France sur tous les fronts. Ce titre apparaît en Une du Figaro et du Monde. Les Unes tendent aussi un miroir à la France : c’est « Le chagrin et la colère » et « Les Français prêts à limiter leurs libertés pour plus de sécurité » dans Le Figaro, « Ecrire contre la terreur » et « La France d’après » dans Le Monde, « Génération Bataclan » et « Une semaine après. Et vous, ça va? » dans Libération.
A l’international, les Unes se focalisaient en octobre sur la Syrie, sur l’offensive russe dans ce pays et sur les désaccords concernant Bachar Al-Assad. En novembre, les Unes ont basculé dans la guerre contre l’EI. « La France à la pointe du combat contre Daech », titre Le Figaro, avant d’accuser : « La Turquie sabote la coalition contre Daech ». Le Monde présente le projet de François Hollande d’une grande coalition. Libération explique les ressources financières de l’EI et s’interroge sur nos vrais alliés dans ce combat.
Une actualité et des questions qui crédibilisent le FN
Lorsqu’ils ne relaient pas la geste présidentielle et lorsqu’ils ne communient pas à l’unisson de la nation, Le Figaro, Le Monde et Libération ouvrent de nouveaux angles. Qui est l’ennemi ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Ces questions sont légitimes. Il est intéressant de constater que leurs réponses apportent, toutes, de l’eau au moulin du FN, sans que celui-ci ait besoin de parler.
Qui est l’ennemi ? François Hollande désigne le djihadisme. Manuel Valls cible l’islam radical, le salafisme, l’islamo-fascisme. L’ennemi est désormais nommé, traqué, perquisitionné, surveillé… « La France met les imams radicaux sous surveillance » dans Le Figaro. « La traque des djihadistes » dans Le Monde. « Belgique. Dans la fabrique djihadiste » et « Attentats. Le terreau salafiste » dans Libération. Difficile, ensuite, d’être surpris quand des électeurs choisissent de voter pour le parti qui tape le plus fort sur cet ennemi.
Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Après les attentats de janvier, qu’est-ce qui a rendu possible de nouveaux attentats en France ? Le Figaro, Le Monde et Libération apportent, chacun, leurs réponses. « Attentats: les ratés de la lutte antiterroriste » et « Terrorisme: l'Europe sans frontières en accusation » pour le premier, « Le virage sécuritaire de Hollande » et « Après les attentats, l'Europe se referme » pour le deuxième, « Renseignement. Pourquoi on les a ratés » pour le troisième. Ici encore, difficile d’être surpris quand des électeurs choisissent de voter pour le parti qui prône, depuis longtemps, un virage sécuritaire et la fermeture des frontières et qui ne peut pas avoir commis d’erreur puisqu’il n’a jamais été au pouvoir.
Pas besoin, pour le FN, de faire campagne
Pendant ce temps-là, les élections régionales et la menace du FN disparaissent quasiment de la Une des trois quotidiens. Pendant ce temps-là, le FN n’a pas besoin de faire campagne. Pendant ce temps-là, le FN progresse. Seul Le Monde titre en Une le 25 novembre : « Après les attentats, le FN en position de force ».
L’unité, très présente dans les discours politiques et en Une des médias, a perdu le pouvoir anesthésiant qu’elle avait en janvier. Peut-être, tout simplement, parce que les attentats de novembre ont montré que l’unité ne protégeait pas contre les attentats. Des électeurs ont alors choisi le FN et lui ont apporté les quelques points qui pourraient lui permettre de gagner quelques régions. Ils se sont laissé convaincre que seul le FN saurait les protéger. Il va maintenant falloir les convaincre du contraire. Pas simple !
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