Robert Ménard, maire de Béziers très proche du FN, était l’invité politique de France Info le 29 janvier matin. Son interview dure près de 14 minutes. Avant de l’écouter, j’ai en tête que Robert Ménard est à l’origine de plusieurs polémiques à fort écho médiatique. J’ai envie d’en savoir plus sur la gestion par un proche du FN d’une ville de 75.000 habitants. J’imagine que, comme moi, Jean-François Achilli et les autres journalistes en studio ne portent pas dans leurs cœurs celui qu’ils interviewent. J’espère une interview rugueuse qui pointera les échecs et les travers de Robert Ménard.
Problème ! A l’antenne, il se passe globalement le contraire. L’interview ne relève pas d’une entreprise de banalisation du FN et du maire de Béziers. Elle tourne à l’entreprise de promotion de Robert Ménard, même s’il ne s’agit nullement de l’intention des journalistes de France Info qui sont en studio avec lui. En fait, l’interview met en scène, chez Robert Ménard, sept qualités que de nombreux acteurs politiques aimeraient se voir attribuées. Quelles sont ces qualités ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans la conduite de l’interview ? Qu’est-qui aurait pu être fait ?
L’art de se mettre en scène dans une interview
N’en déplaise à Jean-François Achilli, Robert Ménard fait une promenade de santé sur France Info. L’interview lui permet de se positionner comme un élu :
A l’écoute de ses administrés. Il dit recevoir « sans arrêt à [sa] permanence des femmes dont [il se] demande pourquoi elles ne quittent pas le mec qui est en train de lui taper dessus ». Il entend les parents qui lui demandent des policiers à la sortie des écoles, puisque le pays est en guerre.
Proche des gens simples et se référant à eux, par opposition aux élites. Il invite les journalistes à venir à Béziers, défend les 30% de Français qui votent FN et leur oppose les « 9/10e des journalistes [qui] vivent offshore par rapport à ce pays ». « La classe politique et la classe médiatique, c'est la main dans la main ».
Plein de bon sens et revendiquant des mesures de bon sens, lorsqu’il explique qu’il est normal qu’il connaisse le nombre de repas sans porc dans les cantines scolaires ou lorsqu’on l’interroge sur l’obligation, pour les habitants de Béziers, de nettoyer le trottoir devant leur pas-de-porte.
Honnête, disant les choses telles qu’elles sont, par opposition à ceux qui sont dans le déni ou l’hypocrisie. Il quantifie les enfants issus de l’immigration dans certaines écoles. Il fustige les donneurs de leçon qui scolarisent leurs enfants dans le privé ou demandent des dérogations à la carte scolaire.
Tolérant, soucieux de l’intérêt de tous. « Je suis tolérant, je ne veux pas imposer du porc à tous les gosses, je comprends qu’un enfant musulman ou un enfant juif ne veuille pas manger du porc ». « Quand dans une école, 90% des enfants sont issus de l’immigration, ne pas le dire, c’est sacrifier ces enfants ».
Respectueux de la justice. A la première question sur sa « garde biterroise », il répond « je suis républicain et j’attends les décisions de justice ». A la seconde question, il ajoute « n’allez pas trop vite en musique, la justice, ça se respecte, on a un procès en appel ».
Force de proposition, participant au séminaire stratégique du parti dont il est le plus proche, prenant des positions claires sur les changements à apporter : nom, ouverture et démocratie du parti, abandon de la sortie de l’euro, qui est encore perçue comme l’une des mesures-phares du FN en économie.
Robert Ménard sympathique ? On se pince !
Robert Ménard parle avec un accent chantant qui apporte de la chaleur et de l’authenticité et qui marque sa distance avec l’establishment. Quand on écoute l’interview sur France Info, difficile de ne pas le trouver franc, sincère, honnête et sympathique. On se pince ! Comment en est-on arrivé là ? Une explication est à chercher dans les questions qui posées à Robert Ménard. Beaucoup de questions lui ouvrent un boulevard.
Il y a d’abord les questions qui portent sur des sujets mettant d’accord une large majorité de Français, par exemple la demande de grâce pour Jacqueline Sauvage ou la démission de Christiane Taubira. Ces questions, en début d’interview, permettent à Robert Ménard d’aller dans le sens de nombreux auditeurs. Si Robert Ménard est satisfait de la démission de Christiane Taubira, il a beau jeu d’ajouter que 73% des Français sont également satisfaits de cette démission.
Robert Ménard joue à domicile, sur son terrain.
Il y a ensuite les questions qui surfent sur des polémiques allumées par Robert Ménard et qui vont sur des terrains qui lui sont familiers puisqu’il les a choisis. C’est la question sur les statistiques ethniques dans les écoles. C’est encore la question sur la garde municipale. Robert Ménard a beau jeu de rappeler ici que « la justice a tranché » et qu’il n’y a pas de statistiques ethniques à Béziers. Il a, sur ces deux sujets, un argumentaire rodé de banalisation, qui le présente à l’écoute de ses administrés.
Il y a encore les questions d’actualité qui lui permettent de jouer le peuple contre l’élite et d’apparaître comme vertueux quand l’élite est corrompue. C’est la question sur la carte scolaire. C’est surtout la question sur les propos de Laurent Ruquier : « si le FN passe, je me tire ». Jean-François Achilli pensait-il qu’une expatriation de Laurent Ruquier affecterait Robert Ménard et le ferait revenir sur ses engagements ? A un jour près, il y aurait eu, dans l’interview, une question sur les mensurations des nouvelles poupées Barbie.
Robert Ménard joue le peuple contre les élites.
Robert Ménard utilise des questions attendues, donc préparées, pour installer sa grille de lecture au fil de l’interview. Cette grille repose sur un clivage : le peuple contre les élites. Plusieurs fois, Robert Ménard parle au nom des habitants de Béziers et invite les journalistes en studio – journalistes parisiens, « offshore par rapport au pays » – à venir se rendre compte, par eux-mêmes, de la situation à Béziers.
Les journalistes n’ont rien à lui opposer, ils ne peuvent se faire le relais d’aucune personne sur place, ils vont donc laisser s’installer un discours où le vrai et le réel leur sont inconnus. Ils aggravent leur cas en semblant surpris que des demandes de dérogation à la carte scolaire viennent aussi de journalistes et d’élus de gauche.
La fin de l’interview est un feu d’artifice. D’abord, sa réponse à Laurent Ruquier : « il y a une classe méprisante pour les autres. Il y a des gens qui ne peuvent pas partir. Il y a des gens qui n'ont pas de boulot. Il y a des gens qui ont besoin de s'en sortir. Et en plus, quel mépris ! Mais on nom de quoi, de qui ? Il incarne quoi ? ». Ensuite, quand il pointe la collusion entre journalistes et politiques : « on s'aime tellement qu'on finit souvent dans les mêmes lits, si j'en crois un certain nombre de choses ». Les journalistes s’offusquent. Il met alors les rieurs de son côté, tout en rappelant, en creux, que François Hollande eut pour compagne une journaliste : « Vous... Je n'ai pas dit que vous couchiez avec le chef de l'Etat ».
Ne plus poser des questions qui lui ouvrent des boulevards
L’interview rend Robert Ménard plutôt sympathique. On peut le regretter, ce qui est mon cas, mais il ne sert à rien de le nier ou de prétendre le contraire. Alors, qu’est-ce qui aurait pu être fait pour éviter ce résultat qui n’est probablement pas l’objectif poursuivi par les journalistes de France Info ?
Rétrospectivement, une première réponse vient vite : ne pas poser à Robert Ménard des questions qui lui ouvrent des boulevards. Plus facile à dire qu’à faire ! Cela suppose une plus grande préparation de l’interview et une meilleure connaissance de la situation à Béziers.
Il ne s’agirait pas, pour autant, d’aller chercher toutes les polémiques qui se déroulent sur des terrains choisis par le maire… et qui n’ont pas été évoquées pendant l’interview, par sagesse ou manque de temps : lettre ouverte de professeurs d’histoire, annulation d’une conférence de Tariq Ramadan, expulsion d’une association antiraciste, « garde musulmane » assurant la protection des églises le soir de Noël…
Mieux préparer les interviews : un enjeu de démocratie
Il s’agirait, au contraire, de sortir des terrains choisis par Robert Ménard et d’aller sur des terrains qui le mettent en difficulté, tout en assumant et en préparant la confrontation. Il s’agirait, pour cela, de poser des questions précises sur des sujets que l’on maîtrise et sur lesquels on a « des billes », afin de ne pas le laisser installer ses vérités.
Il s’agirait aussi de casser le clivage entre des journalistes à Paris et un maire qui connaît son terrain, d’opposer à la réalité locale de Robert Ménard d’autres réalités locales, portées par d’autres acteurs locaux. Il s’agirait encore de faire le bilan de sa gestion municipale. Concrètement, qu’est-ce qu'il a amélioré à Béziers ? Aménagement, sécurité, entreprises, fiscalité locale… Quels sont ses résultats ? Avec qui dirige-t-il la ville ? Comment traite-t-il ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ?
Tout ceci suppose, certes, un très gros travail de préparation en amont, mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle puisque sans ce travail, Robert Ménard apparaît franc, sincère, honnête et sympathique ?
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