Jungle de Calais. L'appel des 800 dans Libé: appel narcissique ou appel du vide? - Mediapicking
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Jungle de Calais. L'appel des 800 dans Libé: appel narcissique ou appel du vide?

Dernière actualisation : 24/10/2015, 10:57

Libération a publié, le 21 octobre, « l’Appel des 800 » ou « Appel de Calais » avec, en Une, cette interpellation : « Sortez la jungle de Calais de l’indignité ».  Les 800, ce sont 800 artistes, cinéastes, écrivains, intellectuels…  Le même jour, Bernard Cazeneuve visitait la jungle de Calais pour la 7ème fois et y faisait de nouvelles annonces combinant, selon ses propos, « humanité et fermeté ».

Deux jours plus tard, près de 25.000 personnes (versus 72.000 habitants à Calais) ont signé l’appel tandis que les 300 commentaires postés sur le site de Libération sont, en grande majorité, négatifs : les 800 seraient, au choix, des bobos, des nantis ou des parasites vivant d’argent public, invités à accueillir chez eux des exilés de la jungle de Calais.

Pourquoi s’arrêter sur cette pétition ? Parce que sur un sujet dramatique, on aura rarement fait un texte aussi vide, narcissique et contreproductif qui, dézinguant tout le monde, vire au populisme. Je vais encore me faire des amis, mais tant pis. Annonçons d’emblée la couleur afin d’éviter malentendus et mauvais procès : je trouve honteux qu’il existe en France une jungle de Calais et d’autres campements du même type et j’adhère à l’humanité et à la fermeté prônées par le Gouvernement… pour peu que les deux mots soient suivis d’actions et de résultats.

Qui ignore qu’il existe une jungle à Calais?

L’appel de Calais a pour objectif, selon Libération, « d’alerter l’opinion publique sur le sort réservé aux migrants et réfugiés de la jungle de Calais ». Mais l’opinion publique et les médias ont-ils eu besoin de l’appel des 800 pour découvrir la jungle à Calais ? Non, bien sûr.

La jungle est un concentré d’images, d’émotions et d’histoires fortes. Les médias en sont friands. De nombreux reportages ont déjà été réalisés à Calais, ne serait-ce qu’à l’occasion des visites de Bernard Cazeneuve ou d’autres ministres. Une recherche avec les mots « Calais » et « jungle » sur les sites de TF1 et de France Télévisions fait ainsi remonter 34 reportages pour le premier et 36 pour le second.

Ne plus se taire et se sentir mieux

« Jusqu’à quand allons-nous nous taire ? » Les signataires de l’appel disent ne plus vouloir se taire. Mais quelqu’un le leur a-t-il demandé ? Des pressions sont-elles exercées sur eux ? Ont-ils payé de leur personne pour pouvoir signer cet appel ? Ici encore, la réponse est négative. Le texte a pour titre « l’appel de Calais », mais je veux bien parier que de nombreux signataires n’ont, de toute leur vie, jamais mis les pieds à Calais et a fortiori qu’ils ne se sont jamais rendus dans la jungle de Calais. Alors pourquoi dramatiser ainsi le propos ? Certainement parce qu’il faut crier fort pour attirer l’attention. Probablement aussi pour des raisons narcissiques : les signataires se sentaient mal de n’avoir rien fait jusqu’à présent et ils se sentent mieux depuis qu’ils ont signé l’appel.

L’appel du vide : demander une jungle digne

L’appel de Calais est vide. Les signataires ont signé l’appel uniquement pour « dire non à la situation réservée […] aux exilés de Calais » et pour demander au Gouvernement « un large plan d’urgence ». Concrètement, que proposent-ils ? Rien.  Que vont-ils faire ? Rien. A quoi s’engagent-ils ? A rien. Ils ont signé, cela ne leur a rien coûté, mais cela leur suffit. Ils n’iront ni à Calais, ni dans sa jungle. Ils ont une seule demande : « sortir la jungle de Calais de l’indignité dans laquelle elle se trouve ».

C’est creux, c’est tiède, c’est mou. Les signataires se sont résignés à l’existence d’une jungle à Calais. Ils n’en demandent ni la suppression, ni la fermeture. Alors qu’ils évoquent « une épidémie de gale dévastatrice », les « viols de femmes » et des « ratonnades organisées par militants d’extrême droite », ils n’ont aucune demande en matière de santé, de sécurité ou d’asile. Ils ne parlent pas, d’ailleurs, de l’avenir des exilés. Ils veulent seulement que la jungle devienne digne, probablement parce qu’ensuite, ils se sentiront mieux… sachant que « digne » est un mot-valise et que chacun peut y mettre le sens de son choix.

Un appel contreproductif car loin de Calais

L’appel de Calais n’est pas un appel lancé à Calais. C’est un appel porté par des personnalités parisiennes. Quelles que soient la qualité et la sincérité des signataires, la démarche est contreproductive. Elle fait l’hypothèse que des personnalités ont valeur d’exemple, de guide, de précurseur et qu’elles peuvent entraîner derrière elles l’opinion publique. Ici, cette hypothèse vole en éclats à cause du grand écart entre Paris et Calais. Du coup, les signataires apparaissent comme des donneurs de leçon, éloignés du terrain et munis de leur seule morale.

D’autres démarches auraient pu être envisagées. Par exemple, un appel lancé par des personnalités depuis la jungle de Calais, un appel publié par des médias du nord, puis relayé par des médias nationaux, un appel porté par des locaux qui travaillent dans la jungle, puis relayé par des personnalités qui ont pris le temps d’aller à Calais… Dans tous les cas, la capacité à convaincre et à entraîner passe par la légitimité du terrain. Mais ce schéma pose un problème : il oblige à sortir du narcissisme pour basculer dans l’engagement. Peut-être est-ce trop demander ?

Critiquer le gouvernement, puis se défausser sur lui

L’appel de Calais s’en prend au gouvernement qui « a décidé de se défausser sur les associations et les bonnes volontés ». Il indique : « Ce désengagement de la puissance publique est une honte dans un pays qui même en période de crise, reste la sixième puissance économique mondiale ».

Les signataires ne sont pas à une contradiction près. Ils accusent le gouvernement de se défausser, mais eux-mêmes se défaussent sur le gouvernement puisqu’ils ne font aucune proposition, que leur seule action est la signature de l’appel et que leur seule demande est adressée… au gouvernement. Notons au passage que l’appel qualifie de « honte », non pas la jungle, mais « le désengagement de la puissance publique ».

Un appel implicite à accueillir « les exilés d’où qu’ils viennent »

L’appel de Calais s’en prend également aux « discours réactionnaires et fascisants » : « Aujourd’hui leur propagande avance l’argument qu’il n’y aurait plus de place pour les exilés d’où qu’ils viennent, soi-disant au nom de la défense des plus pauvres des Français ». Il juge que la « mise en concurrence des indigences est ignoble » et qu’elle « nie notre humanité commune ». Implicitement, il dit qu’il y a de la place en France « pour les exilés d’où qu’ils viennent ». Il balaie d’un revers les réalités socio-économiques, au motif que la France « reste la sixième puissance économique mondiale ». Il récuse le volet « fermeté » de la politique du gouvernement, sans assumer explicitement cette opposition.

Encore un avatar de l’éthique de conviction

L’appel de Calais invoque « les valeurs constitutives de la France » et « nos valeurs communes d’asile et d’universalisme ». Etant certain d’avoir raison, il ne cherche pas à convaincre ceux qui n’adhèrent pas à son propos. Il se contente de les disqualifier. Après avoir indiqué qu’il ne signerait pas, Alain Finkielkraut a ainsi souligné sur RMC « le confort de l’éthique de conviction » des signataires.

L’appel critique ceux qui divisent, ceux qui « opposent des catégories toujours plus fragmentées ». Mais il divise, lui aussi. Il désigne un ennemi : ceux et celles qui refusent l’accueil en France des réfugiés, migrants et exilés. Il oppose à cet ennemi les associations, les bénévoles, les  hommes et femmes de bonne volonté « qui agissent depuis des années à panser toutes les misères de France ». Notons, au passage, le choix du verbe « panser » : panser, c’est soulager, ce n’est ni remédier, ni offrir une véritable solution.

Un appel qui vire même au populisme

Vide, narcissique, contreproductif, il y a pire. L’appel de Calais dérape lorsqu’il met dans le même sac tous les politiques : à la fois ceux « qui attisent le feu en soufflant sur les braises des divisions mortifères » et ceux « qui, par leur action ou leur manque d’action politique, accentuent la pauvreté des plus pauvres et sont incapables de lutter efficacement contre le mal logement ou la misère alimentaire ».

Il glisse ici vers le populisme qui rejette toute la classe politique : bien sûr les extrémistes qui n’ont jamais gouverné, mais aussi ceux et celles, réalistes, responsables et raisonnables, qui ont déjà gouverné.

Au final, la jungle de Calais et les exilés qui y vivent méritent mieux qu’une « feel good » pétition sans consistance rédigée avec la certitude d’avoir raison, virant au populisme et portée par des personnalités tellement loin de Calais.

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